Thierry Repentin : "Je récuse complètement l'idée que les maires ne veulent plus construire de logements"
A l'approche du congrès des maires et à l'heure où l'on parle beaucoup du rôle des élus dans la nécessaire relance de la construction de logements – ainsi que dans la difficile conciliation de cet impératif avec l'objectif de "zéro artificialisation" –, Thierry Repentin, maire de Chambéry, président de la commission d'application de l'article 55 de la loi SRU, ancien ministre, ancien président de l'USH et co-président du groupe de travail logement de l’AMF, revient pour Localtis sur cette actualité. Sans oublier l'enjeu de la rénovation énergétique, sachant que Thierry Repentin est aussi président de l'Anah.
Localtis - Qu'en est-il de la réalité du discours sur les maires qui refuseraient de construire du logement ?
Thierry Repentin - Effectivement, il y a le discours et la réalité ! Je récuse complètement l'idée que les maires ne veulent plus construire de logements. Il peut certes y avoir, ici où là, quelques maires malthusiens, ou d'autres qui veulent rééquilibrer entre logement social et logement privé. Mais, globalement, les maires sont conscients de la nécessité de construire pour loger la population. Cela ne veut toutefois pas dire construire n'importe comment. Il s'agit de concilier la nécessité de produire du logement et celle de préserver l'environnement et le cadre de vie. Or il y a parfois une incompréhension du public sur les documents d'urbanisme – particulièrement complexes –, sur les Scot, sur les plans locaux d'urbanisme intercommunal Habitat et Déplacements, les PLUi HD... et surtout sur la forme concrète que vont prendre ces documents et leurs prescriptions.
Les collectivités ont-elles été entendues par la commission Rebsamen ?
La commission a repris plusieurs propositions formulées par l'AMF, en particulier sur la compensation de l'exonération de la TFPB. Elle a aussi pris une position forte sur la nécessaire réhabilitation de l'acte de construire dans le discours public. Car, face à la réglementation toujours plus complexe et à la pression de l'opinion, c'est un acte de plus en plus difficile.
Que penser de la récente polémique sur les maisons individuelles ?
Personne ne peut affirmer qu'il y aurait une forme unique et vertueuse de construction et qu'un segment entier du logement devrait sinon disparaître, du moins cesser de se développer. Pour autant, les propos de la ministre du Logement ont le mérite de poser un débat qui ne sera pas facile, comme on le voit avec les réactions à son intervention. Il faut se faire à l'idée qu'il faudra construire différemment, en préservant les espaces dédiés à d'autres usages, et notamment aux espaces naturels et aux activités agricoles. Nous avons aujourd'hui des textes qui nous disent "zéro artificialisation nette" en 2050, le fameux ZAN. Cela nous oblige à repenser un certain nombre de choses. Il faudra réfléchir à la densité souhaitable et chercher des solutions innovantes, comme la restructuration de lotissements anciens ou des mesures pour limiter les déplacements pendulaires domicile/travail.
Plus largement, comment réconcilier les Français avec la construction de logements ?
Ce n'est pas simple ! Comme maire de Chambéry, je dois argumenter en permanence et convaincre chaque semaine que le permis de construire que j'ai délivré respecte le droit de l'urbanisme et concilie logement et préservation des espaces, des îlots de fraîcheur, des mobilités douces... Les maires font face, de plus en plus, à des mobilisations de voisinage et des recours dans l'environnement immédiat. Face à cela, on doit tenir un discours de réalité et rappeler la finalité des permis. J'ajoute que certaines décisions nous compliquent la vie. Par exemple, la suppression de la taxe d'habitation est une faute politique. Au-delà des questions budgétaires, elle rompt le lien entre le logement et la collectivité et rend donc plus difficile de justifier de nouvelles constructions.
Les mesures annoncées par le Premier ministre devant le congrès de l'USH, dont la compensation de l'exonération de TFPB, sont-elles de nature à relancer la construction de logements sociaux et intermédiaires ?
Ces décisions vont dans le bon sens, même s'il faut rappeler que l'exonération de la TFPB est une décision unilatérale de l'État, qui pèse sur le budget des communes. Mais il faut être conscient que ces mesures ne produiront pas d'effets immédiats, car elles portent uniquement sur les logements neufs. Compte tenu des délais d'autorisation et de réalisation des constructions de logements sociaux, il faudra sans doute quatre ans pour en voir les effets concrets sur les finances des communes. Dans ces conditions, j'estime que l'AMF se montre raisonnablement pessimiste lorsqu'elle estime que l'objectif des 250.000 logements sociaux sur 2021-2022 sera très difficile à tenir. J'ajoute que la compensation de l'exonération de TFPB – qui n'est pas une mesure pérenne – n'épuise pas le sujet. Les collectivités attendent aussi un retour de l'État dans le financement des aides à la construction, alors que des mesures comme la RLS – la réduction de loyer de solidarité – et la baisse des APL ont fragilisé les bailleurs sociaux.
Et les contrats de relance de la construction, également annoncés devant le congrès de l'USH ?
Pour l'instant, je suis assez perplexe : on ne sait pas ce que recouvre ce contrat. Si on fait référence à une mesure du type de la prime aux maires bâtisseurs, il faudrait être sûr qu'il s'agit d'une mesure pérenne. En outre, il serait bon de prévoir une majoration pour les communes qui produisent du logement social, car ce sont des opérations plus difficiles à équilibrer et qui engendrent un niveau de service public pour les familles accueillies très sollicitant pour les budgets communaux.
Vous présidez aussi l'Anah. Comment l'Agence s'organise-t-elle pour accompagner la montée en charge très rapide de MaPrimeRénov' et tenir les objectifs ambitieux de la loi Climat et Résilience ?
L'Anah connaît une véritable explosion du nombre de dossiers de rénovation énergétique : 70.000 dossiers en 2016 et sans doute plus de 700.000 cette année ! C'est du jamais vu. Ces résultats exceptionnels sont obtenus grâce à la très grande agilité de l'Agence et de ses personnels, mais aussi grâce à un effort budgétaire sans précédent. Et la dynamique se poursuit avec la mise en place, au 1er janvier 2022, de France Rénov', le service public de la rénovation de l'habitat. Son grand mérite est de réunir plusieurs opérateurs – l'Anah et le réseau Faire de l'Ademe – sous une marque commune. Avec France Rénov', les Français sauront qu'ils peuvent compter sur un opérateur indépendant, un véritable tiers de confiance, qui va les conseiller et les appuyer tout au long de leur parcours de rénovation énergétique, avec des aides adaptées aux revenus et à la typologie de l'habitat de chacun.
Quel peut être le rôle des collectivités dans l'accélération de la rénovation énergétique ?
Il est essentiel. Il ne faut pas oublier que l'explosion de la rénovation énergétique tient aussi à l'engagement des collectivités, notamment à travers le programme Sare – le Service d’accompagnement à la rénovation énergétique –, co-porté par l'Ademe et par les collectivités. Celles-ci sont également des vecteurs d'information, de communication et de financement de la rénovation énergétique. Nombre d'entre elles ont en effet mis sur pied des aides spécifiques ou bonifient celles de l'Anah. L'intérêt de France Rénov' et de Mon Accompagnateur Rénov' – le conseiller qui va accompagner les ménages – est de fédérer ces différents dispositifs et de les rendre plus lisibles.