Bouteilles en plastique : contre la "fausse consigne", les associations d'élus présentent 14 propositions

Fermement opposées au projet de consigne sur les bouteilles en plastique, qui fait l'objet d'une concertation depuis fin janvier, les associations d'élus ont présenté ce 18 avril 14 propositions destinées selon elles à "lutter efficacement contre la pollution des emballages plastiques" sans perturber le geste de tri et la dynamique du service public de gestion des déchets.

"Arnaque intellectuelle, aberration, 'greenwashing', fausse consigne, démantèlement du service public de collecte et tri des déchets"... Les associations d'élus* ont réitéré ce 18 avril, à la veille d'une réunion au ministère de la Transition écologique, leur vive opposition à la mise en place d'une consigne sur les bouteilles en plastique, qui fait l'objet d'une concertation lancée fin janvier par le gouvernement (voir notre article du 31 janvier 2023) prévoyant six réunions nationales et une par région.  Alors que ces échanges doivent s'achever en juin, les maires et représentants d'intercommunalités, chargées de la gestion des déchets ménagers, ont dénoncé lors d'une conférence de presse au siège de l'Association des maires de France (AMF), une mesure selon eux "anti-écologique, sous couvert de vernis vert", qui déstabiliserait le système public de collecte des déchets sans améliorer celle du plastique.

"Fausse consigne"

La proposition de mise en place de ces consignes avait surgi lors des débats au Parlement sur la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) en 2019 et avait été retirée in extremis face à la levée de bouclier des associations d'élus. En remettant le sujet sur la table, le gouvernement a immédiatement suscité un front uni des associations d'élus opposées à ce qu'ils considèrent comme une remise en cause du geste de tri unique (voir notre article du 22 février 2023). Que recouvre cette consigne ? Pour les associations d'élus, il ne s'agit en réalité pas du tout d'un dispositif de "consigne pour réemploi" comme cela était le cas autrefois pour les bouteilles en verre, qui étaient retournées, lavées et reconditionnées mais d'une "fausse consigne" puisque la bouteille ne sera pas réemployée mais détruite pour être recyclée, exactement dans les mêmes conditions qu'en la jetant dans le bac jaune de collecte sélective. Pour Jean-François Debat, maire de Bourg-en-Bresse (Ain) et président délégué de Villes de France, "la consigne ne permet pas de réduire les déchets". "C'est une arnaque intellectuelle qui consiste à employer le mot 'consigne', perçu positivement dans l'opinion, pour une opération qui n'en est pas une", appuie-t-il. Selon les élus, cette "fausse consigne" consiste à "augmenter artificiellement le prix des boissons en bouteille plastique de 20 centimes et de ne rendre ces 20 centimes que si on ramène en magasin la bouteille usagée alors qu'il suffisait jusqu'ici de la mettre dans son bac jaune sans surcoût supplémentaire sur la boisson".

Pas de bénéfice écologique mais une "manne financière"

Ils battent aussi en brèche l'argument selon lequel elle permettrait de réduire la pollution plastique. Les bouteilles plastiques représentent "350.000 tonnes, soit moins de 1% des déchets ménagers, qui totalisent 39 millions de tonnes, et font partie des déchets plastiques les mieux valorisés, avec un taux de recyclage de 70% contre 23% pour les autres déchets plastiques", a rappelé Jean-François Vigier, maire de Bures-sur-Yvette (Essonne) et membre du bureau de l'AMF. Elle représente donc "peanuts" en matière de déchets tout en étant déjà "la meilleure élève", résume Jean-François Debat. "On n’a aucune corrélation entre la fausse consigne et la baisse de l’utilisation des bouteilles en plastique", ajoute l’élu qui accuse les metteurs sur le marché comme Coca Cola de vouloir "capter une manne financière sur le dos des consommateurs et des citoyens" "et le gouvernement d’avoir choisi ce "paravent" car il "n’a rien trouvé d’autre pour avancer sur les déchets". Quant au bénéfice écologique des consignes, il serait proche de "zéro", poursuivent les associations d'élus, citant l'exemple de l'Allemagne où la consigne a entraîné selon elles une "augmentation de la production et des ventes des bouteilles plastiques à usage unique".

Pour améliorer les taux de recyclage - les objectifs européens de taux de collecte des bouteilles plastiques sont de 90% en 2029 mais la France plafonne en dessous de 60%, les emballages plastique n'étant ni collectés, ni triés dans la plupart des poubelles de rue ou sur les lieux de travail -, le gouvernement ferait donc mieux, selon les maires, de se concentrer sur les autres emballages plastiques ou les "milliers de produits de grande consommation qui n'ont aucune solution de collecte sélective et de recyclage", tels que les pots de yaourts, les paquets de chips, les éponges, les jouets, les DVD, etc.

Manque à gagner de 320 millions d'euros pour les collectivités

Si pour le consommateur, l'opération semble être un jeu à somme nulle puisqu'il paierait 20 centimes de plus sa bouteille et se verrait ensuite restituer l'argent avancé après l'avoir fait "déconsigner" dans un automate, "c'est oublier que toutes les bouteilles ne seront pas forcément rapportées", notamment dans les zones rurales, souligne Jean-François Vigier, qui évalue à 400 millions d'euros le bénéfice qu'en tireraient les industriels de la boisson et à 320 millions le manque à gagner pour les collectivités.

Les maires accusent les industriels de la boisson de vouloir "s'accaparer une manne financière" alors que les collectivités ont investi dans de coûteuses machines. "Un centre de tri coûte environ 30 millions d'euros", rappelle ainsi Gilles Vincent, président d'Amorce. Pour les élus, la dépense qu'occasionnerait l'installation dans toute la France de 30.000 à 100.000 automates de consigne "paraît d’autant plus une gabegie que les Français continueront de payer leur taxe ou redevance d’ordures ménagères pour financer le service public de gestion des déchets qui continuera de collecter sélectivement dans le bac jaune les autres emballages." "On parle d’un milliard d’euros [pour déployer les automates]. Aujourd’hui, on est à 215.000 tonnes collectées, il faudrait parvenir à 315.000 tonnes pour atteindre 90%. Il faudrait donc dépenser un milliard d’euros en automates pour 100.000 tonnes de plus de collecte ? Ça n’a aucun sens !", fustige Jean-François Vigier. En outre, "en se limitant aux seules bouteilles en plastique (voire canettes en aluminium), cette fausse consigne prive les collectivités locales des seuls matériaux ayant une valeur permettant de réduire les coûts du service public de gestion des déchets au profit des contribuables", ajoutent les élus. "En subtilisant le seul gisement ayant de la valeur mais en laissant au service public les emballages sans valeur, les industriels de la boisson risquent de menacer l’équilibre économique de ce service public de salubrité et de première nécessité présent sur tous les territoires français et de provoquer une augmentation substantielle de la Taxe ou redevance d’enlèvement des ordures ménagères", préviennent-ils.

Risque de confusion

Enfin, alors que tous les emballages peuvent être jetés dans les poubelles jaunes depuis le 1er janvier 2023 (voir notre article du 3 janvier 2023), les élus redoutent que l'introduction d'une consigne ne crée de la confusion dans l'esprit des Français qui auront à gérer un "double flux" : d'un côté, des bouteilles (voire des canettes et des tetrapak) "consignées" qu’il faudrait mettre de côté et rapporter à pied ou en voiture à son lieu de vente (hypermarché, supermarché, commerces) sous peine de perdre les 20 centimes payés lors de leur achat, et de l'autre, tous les autres emballages "non consignés" qu’il faudra continuer à mettre dans le bac jaune. Autre risque en découlant, pointé par Daniel Cornalba, maire de L'Étang-la-Ville (Yvelines) et vice-président de l’APVF : celui de privilégier les grands supermarchés de périphérie où se trouveront l'essentiel des automates de déconsignation, au détriment des commerces de centre-ville et des efforts de revitalisation de ces derniers. En zone rurale et dans les territoires peu peuplés, "le modèle économique envisagé ne garantit pas que chaque Français aura une solution de déconsignation à proximité de chez lui", relèvent aussi les élus.

Pour atteindre l’objectif spécifique de 90% de collecte pour recyclage des bouteilles pour boisson en plastique (315.000 tonnes par an), "mais surtout (…) réduire massivement la pollution induite par l’ensemble des déchets plastiques (5 millions de tonnes) et enfin atteindre les principaux objectifs de la France en matière d’économie circulaire sur les déchets ménagers (38 millions de tonnes)", les maires formulent 14 propositions (lire notre encadré ci-dessous).  Parmi celles-ci figurent la promotion de la consommation d'eau du robinet pour diviser par deux les bouteilles plastiques en 2030, l'augmentation de la fréquence des collectes ou la mise en place d'une collecte sélective de tous les emballages consommés hors domicile. Les élus remettent aussi en avant des mesures qu'ils défendent depuis longtemps comme la création d’une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) amont pour les produits qui ne sont pas concernés par les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) et l’affectation des recettes de la TGAP déchets aux projets d’économie circulaire des collectivités.

Appel au gouvernement

"La seule consigne, c'est pas de consigne !", a conclu Jean-François Vigier. Si le gouvernement peut théoriquement passer par la voie réglementaire pour faire aboutir son projet, les associations de collectivités ont bon espoir de le faire renoncer. "Le contexte actuel fait que s'il veut retrouver la concorde nationale et ne pas retomber dans des débats difficiles, il doit revoir la disposition", estime le représentant de l'AMF. "Si ça passe, les lobbies auront été plus que la raison et l'intérêt général", juge Jean-François Debat.

*Association des maires de France (AMF), Intercommunalités de France, Amorce, Association des maires ruraux de France (AMRF), ANPP-Territoires de projet, Association des petites villes de France (APVF), Cercle national du recyclage (CNR), Départements de France, France urbaine et Villes de France.

Les 14 propositions de la plateforme des associations de collectivités locales

  • "Mettre en place des actions concrètes pour respecter l’objectif français de division par deux des bouteilles plastiques d’ici 2030" : promotion de la consommation d’eau du robinet, déploiement de fontaines à eau dans les espaces publics, renforcement des politiques en faveur de l’accès à une eau potable de qualité, création d’une offre de boissons en vrac sans emballages, mise en place de dispositifs incitatifs au redéploiement de bouteilles lavables et réemployables/réutilisables consignée, élaboration de trajectoires de réduction des quantités de bouteilles en plastique d’ici à 2030 qui traduisent la contribution de chaque entreprise à cet objectif.
     
  • "Un geste de tri 'partout, pour tous et tout le temps'" : mettre en place d'ici 2025 une collecte sélective des bouteilles plastique et de tous les emballages consommés hors domicile, dans les espaces publics, les établissements recevant du public, dans toutes les formes d’hébergements et de transports, sur les lieux de travail, en le finançant par la REP. En développant la collecte et le recyclage de tous les emballages non ménagers s’assurant enfin de la mise en œuvre des mesures prévues par la législation : tri sept flux dans les entreprises, REP déchets d’emballages de la restauration ou déchets d’emballages commerciaux et industriels et veiller à une traçabilité complète.
     
  • "Mobiliser massivement les Français autour de l’extension du geste de tri simplifié à tous les emballages" : déploiement de campagnes nationales régulières de communication covalidées avec les représentants des collectivités compétentes en matière de gestion des déchets, afin d’accompagner l’évolution du geste de tri, notamment la collecte de tous les emballages dans le bac jaune.
     
  • "Développer des modalités de collectes incitant à davantage de performances" : augmentation de la fréquence des collectes et de la taille des bacs dans les habitations lorsque cela est possible, densification des points d’apport volontaires, organisation de collectes spécifiques et adaptées aux grands cartons…
     
  • "Rendre les objectifs plus ambitieux et plus contraignants pour les éco-organismes en matière de collecte sélective et de tri de tous les emballages plastiques (et par résine) et faire respecter strictement leurs obligations avec des sanctions automatiques en cas de non-respect du cahier des charges".
     
  • "Améliorer le cadre juridique et administratif de la tarification incitative".
     
  • "Expérimenter des dispositifs diversifiés de gratification sur la collecte sélective des emballages en coordination étroite avec le service public de gestion des déchets, dans les territoires les moins performants". Sont particulièrement visés l'habitat collectif et l'habitat social.
     
  • "Mettre en place une procédure simplifiée et automatique pour appliquer des sanctions administratives en  cas  de non- respect du règlement de collecte concernant les emballages".
     
  • "Porter une ambition forte à l’échelle européenne en matière de prévention, réemploi et recyclage".
     
  • "Renforcer la régulation sur la mise sur le marché des emballages en plastique".
     
  • "Développer un plan national de lutte contre la pollution plastique sur le modèle du plan national climat".
     
  • "Faire de la lutte contre les déchets abandonnés et les dépôts sauvages une grande cause nationale".
     
  •  "Généraliser une forme d’éco-contribution (REP ou TGAP amont) sur tous les produits mis sur le marché ne bénéficiant d’aucune collecte sélective".
     
  • "Réformer la taxe générale sur les activités polluantes dans le domaine du traitement des déchets pour la rendre plus juste, plus incitative avec une recette affectée entièrement au développement de l’économie circulaire en particulier au déploiement du tri a la source des biodéchets".
 

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