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Décentralisation - Avant-projet de loi Lebranchu : ce qu'en disent les associations d'élus locaux

Le gouvernement doit transmettre au Conseil d'Etat dans les jours qui viennent l'avant-projet de loi de décentralisation et de réforme de l'action publique, ce qui permet à la ministre de la Décentralisation d'envisager une présentation en Conseil des ministres en mars. La longue phase de concertation avec les associations d'élus locaux s'achève. Le gouvernement n'a pas ménagé ses efforts pour "favoriser" l'émergence d'un "consensus général", selon Marylise Lebranchu. Un exercice difficile, a-t-elle reconnu. Plusieurs associations ne cachent pas leur déception. L'Association des maires de France notamment parle de "recul" et pense déjà à la bataille parlementaire qui s'ouvrira fin mai. Tour d'horizon des positions exprimées par les uns et les autres.

Depuis que le contenu de l'avant-projet de loi se précise, l'Association des maires de France (AMF) témoigne de sa déception et de son inquiétude. "La place des communes dans cette nouvelle architecture territoriale est souvent ignorée ou réduite à la fonction d'exécutante", a fait savoir le comité directeur de l'association, le 14 février, en s'appuyant sur un document de travail présenté le 7 février par la ministre. Sur bien des points, l'Association des maires ruraux de France (AMRF) rejoint les critiques de l'AMF. Elle évoque "une attaque frontale contre la commune, quelle que soit sa taille".
Dès le 15 janvier, l'AMF disait sa satisfaction, certes, de voir le monde urbain "pleinement reconnu". "Il ne faut pas pour autant négliger le monde rural et péri-urbain", ajoutait-elle dans un communiqué. De son côté, l'AMRF parle d'un projet de texte qui "privilégie le fait urbain" et "ne reconnaît pas le fait rural". Et ce, alors même que les campagnes sont aujourd'hui le moteur de la croissance démographique française, souligne-t-elle en se référant à des données récentes de l'Insee.
Alors que le gouvernement prévoit le transfert automatique de certaines compétences communales aux intercommunalités et une mutualisation plus poussée à cet échelon, l'AMF réaffirme que "l'intercommunalité est un outil de coopération au service des communes" et qu'elle ne doit pas faire l'objet d'une "conception rigide et uniforme". L'AMRF est sur la même longueur d'ondes : l'avant-projet de texte organise, selon elle, "une rupture avec la logique volontaire qui a prévalu jusqu'à présent en matière d'intercommunalité".

Les communes sous tutelle ?

L'AMF estime que les communes doivent être mieux associées à l'élaboration et à la "gouvernance" des schémas régionaux et départementaux coordonnant les acteurs locaux. D'autant que ces schémas s'imposeront aux collectivités et groupements qui les approuveront. Mais ces derniers auront-ils vraiment le choix ? Pour tous ceux qui n'approuveront pas les schémas, les règles applicables aux financements croisés et à la participation minimale du maître d'ouvrage seront rendues plus contraignantes, selon l'exposé des motifs de l'avant-projet de loi, dans une version du 11 février diffusée par le magazine Acteurs publics. Cette logique conduit les responsables de l'AMF à s'interroger "sur ce qu'il reste du respect du principe constitutionnel de non-tutelle entre collectivités" et à déplorer en même temps une "vision technocratique, hiérarchisée et verticale de l'action publique".
L'AMF s'élève enfin contre l'attribution au président du conseil régional du pilotage des conférences territoriales de l'action publique qui seront des lieux de concertation entre les collectivités territoriales. La composition des nouvelles instances de dialogue local inquiète aussi l'AMRF : les maires ruraux n'y seront quasiment pas représentés, regrette-t-elle.
L'Assemblée des communautés de France (ADCF) salue à l'inverse des "avancées incontestables". Elle se réjouit tout autant du renforcement des compétences obligatoires des intercommunalités, de l'achèvement de la carte intercommunale dans la première couronne francilienne, que des améliorations juridiques et des incitations financières en matière de mutualisation des services. Concernant les conférences territoriales, elle souhaite qu'une composition restreinte offre "un cadre de travail opérationnel".

Départements : "notre message passe"

A l'instar de l'ADCF, les autres organisations du monde urbain estiment avoir été plutôt entendues par le gouvernement. L'avant-projet de texte instaure des métropoles dans toutes les agglomérations de plus de 400.000 habitants. Simple, ce critère de population convient aux maires de grandes villes. Mais il faudrait laisser une porte ouverte à certaines des agglomérations un peu moins grandes lorsqu'elles exercent de fait des fonctions métropolitaines, indique-t-on à l'Association des maires de grandes villes (AMGVF), en citant les exemples de Nancy et de Clermont-Ferrand. Les maires de grandes villes regrettent par ailleurs que l'avant-projet de texte ne pose pas le principe de l'élection au suffrage universel direct, à partir de 2020, des conseillers des métropoles et des communautés urbaines.
Les métropoles seraient des établissements publics de coopération intercommunale disposant de compétences élargies, mais pas autant que les maires de grandes villes le souhaitent. Elles interviendraient dans le domaine du développement économique par le versement des aides aux entreprises et le copilotage des pôles de compétitivité avec les régions.
Du côté de l'Assemblée des départements de France (ADF), on se veut plutôt serein. Si un temps, le gouvernement a donné l'impression de privilégier le renforcement de la région, on ne peut dire aujourd'hui que le département soit oublié. Le rôle de celui-ci en matière d'action sociale et de prise en charge de la dépendance est reconnu et renforcé. Le département deviendrait, par ailleurs, le chef de file des collectivités dans les domaines de l'aménagement numérique et de la solidarité territoriale. Compte tenu de leurs fragilités budgétaires, les départements seront cependant vigilants sur les conditions financières des nouveaux transferts, tels que celui des établissements et services d'aide par le travail (Esat). Un dossier qu'ils relient à l'amélioration du financement de leurs compétences sociales sur laquelle planchent conjointement le gouvernement et l'ADF.
L'avènement de métropoles ayant une taille critique suffisante est considéré comme nécessaire. Sans être forcément opposée au transfert de certaines compétences à ces nouvelles entités, l'ADF dit sa préférence, globalement, pour une "contractualisation" entre la métropole et le département. S'agissant du cas particulier de la métropole lyonnaise qui se substituerait au département du Rhône sur son territoire, le président de l'ADF, Claudy Lebreton, a souhaité que la population locale soit consultée, rappelle son entourage.

Les régions veulent plus d'audace

La stratégie offensive adoptée dès l'été dernier par les régions et les marques tangibles de reconnaissance qu'elles ont obtenues dans la foulée pouvaient laisser penser que le futur texte de loi allait consacrer le rôle de la région dans l'organisation décentralisée de la France. A ce stade, l'ARF se dit déçue. D'abord sur "l'esprit de la décentralisation", l'avant-projet de texte ne va pas assez loin. L'association note un "recul" par rapport au document remis plus tôt aux associations d'élus et encore plus au regard des 15 engagements pris par le président de la République au mois de septembre. S'agissant de la région elle-même, elle devient le chef de file dans les domaines du développement économique, du tourisme et du transport. Il s'agit certes d'une "avancée". Mais les présidents de région se demandent comment tout cela va se traduire dans les faits. De plus, ils voudraient être de vrais "pilotes" dans leurs domaines de compétences. Or, "le bâton et la carotte des subventions ne suffisent pas. La façon dont les régions vont pouvoir entraîner les autres collectivités est perfectible", pointe l'ARF. Laquelle s'inquiète aussi de ne pas trouver dans l'avant-projet de texte de solution aux éventuelles situations de blocages.
L'association espère à présent que le projet de loi, même perfectible, ne va pas être "détricoté" lors de la discussion parlementaire. Elle se souvient qu'en 2004, le "lobbying" des départements avait très bien fonctionné lors de l'examen au Parlement du projet de loi Raffarin qui, au départ, devait renforcer la région, rappelle-t-on à l'ARF. On en saura déjà un peu plus fin mai lorsque débutera la première lecture du texte au Sénat. L'Assemblée nationale discuterait du projet de loi en juillet, lors d'une session extraordinaire, le vote définitif étant envisagé à l'automne.

Thomas Beurey / Projets publics

Répartition des compétences : difficile de mettre tout le monde d'accord
Au chapitre des compétences, le développement économique, jusqu'à présent partagé entre toutes les catégories de collectivités, va être placé sous la responsabilité de régions "chefs de file". Les départements n'en feront pas un casus belli s'ils conservent la possibilité d'intervenir dans le développement des petites entreprises, notamment celles de l'artisanat, ainsi que dans les champs de l'insertion par l'activité économique et de l'économie sociale et solidaire. Même chose du côté de l'ADCF. "Ce n'est pas toute l'économie qui est régionalisée", fait-on remarquer. De leur côté, les maires de grandes villes réclament une véritable participation à l'élaboration des schémas régionaux, selon des conditions qui restent largement à préciser dans le texte, selon eux.
Sur la compétence tourisme aussi, ils émettent des critiques. Le 6 février, une délégation de leurs représentants a demandé à la ministre, Sylvia Pinel, de "garantir la liberté d'action des communes et EPCI en matière de tourisme", alors que la version du texte qui circule érige la région au rang de chef de file dans ce domaine.
Le logement s'annonce aussi comme un terrain délicat. Ne voulant pas de "demi-mesures", les maires de grandes villes plaident pour des transferts aux métropoles (notamment des aides de l'Etat pour la construction et la rénovation des logements). De son côté, l'ADF veillera à ce que soit garantie une bonne "articulation" entre la construction dans les grandes agglomérations et la construction dans les autres territoires.
Le transfert de l'élaboration des PLU aux intercommunalités entraîne une levée de boucliers des maires ruraux. De son côté, l'AMF ne veut pas d'un transfert automatique et insiste sur la nécessité d'une élaboration avec les communes. L'ADCF se veut rassurante à cet égard: "les communautés qui conçoivent déjà un PLU associent naturellement leurs communes à cet exercice", souligne l'un de ses responsables. T.B. 

 

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