ADF - Les départements reçus à l'Elysée : dix engagements
C'était donc à leur tour. "Après l'engagement des régions, l'engagement des départements", a d'ailleurs d'emblée relevé le Premier ministre à l'issue de la rencontre. Les présidents de départements étaient reçus par François Hollande ce 22 octobre à l'Elysée, en présence de Jean-Marc Ayrault et de plusieurs ministres, tout comme leurs homologues des régions l'avaient été le 12 septembre. Et comme les représentants des grandes villes ou agglomérations devraient l'être le 30 octobre. Pour la délégation pluraliste de l'Assemblée des départements de France (ADF), venue en nombre - voir liste ci-contre -, le fait d'être ainsi accueillie par le président de la République en début de mandat est en soi un "symbole fort", selon les termes de Claudy Lebreton, président de l'association. En outre, le fait d'avoir pu aboutir à la signature d'une "déclaration commune Etat-départements", comparable dans sa forme à celle signée le mois dernier par l'Association des régions de France, est visiblement perçu comme un élément très positif, sachant que le contenu de ce document faisait depuis plusieurs jours l'objet de négociations assez serrées entre Matignon et l'ADF. Enfin, cette déclaration conforte au moins en partie les présidents de conseils généraux sur deux points. D'une part, la reconnaissance du rôle non seulement social, mais aussi économique, que jouent les départements. D'autre part, la nécessité d'apporter une réponse au "déséquilibre croissant entre les recettes dont ils bénéficient pour financer les trois allocations individuelles de solidarité […] et le coût réel de ces prestations". Et c'est bien sur ce deuxième point que l'attente était la plus pressante. "C'est la première fois que l'Etat reconnaît officiellement que la question du financement concerne bien les trois allocations, et pas seulement l'APA ; l'impasse financière dans laquelle nous nous trouvons est également clairement reconnue", se félicite ainsi Michel Dinet, le président de Meurthe-et-Moselle, qui porte ce dossier à bout de bras depuis des années. "Sachant que l'on revient de loin… tout cela n'était pas gagné d'avance", ajoute-t-il.
170 millions... puis "des milliards"
Surtout, l'accord conclu lundi apporte deux premiers éléments de réponse à la problématique du financement. Tout d'abord, un fonds d'urgence de 170 millions d'euros va être mobilisé. Jean-Marc Ayrault avait déjà indiqué à l'ADF en juillet dernier qu'une mesure d'urgence serait prise, mais depuis, rien n'avait été lancé. Le gouvernement répond ainsi enfin à une demande notamment réitérée en septembre lors du congrès de l'ADF. Et reconduit ainsi le fonds exceptionnel mis en place en 2011, qui s'était alors élevé à 150 millions d'euros. Certes, Claudy Lebreton, qui rappelait lors du congrès de l'ADF que 450 millions d'euros de crédits non consommés par la CNSA étaient théoriquement disponibles, espérait peut-être davantage que 170 millions… Cette somme sera répartie entre les départements "les plus exposés" – on parle en général d'une trentaine de départements en situation particulièrement critique –, "sur la base d'un diagnostic partagé" qui sera engagé dès le mois de novembre, précise le texte de la déclaration commune (à télécharger ci-contre).
Au-delà de cette mesure ponctuelle, "pour 2014, c'est le chantier des ressources pérennes que nous voulons engager, dont celui du financement de la dépendance", a résumé Jean-Marc Ayrault dans la cour de l'Elysée à la sortie de cette réunion de plus de deux heures. Il s'agit d'ailleurs de l'"engagement n°1" de la déclaration : "L'Etat s'engage à créer les conditions de mise en place, à compter de 2014, de ressources pérennes et suffisantes permettant aux départements de faire face, dans un cadre maîtrisé, au financement des trois allocations individuelles de solidarité dont la loi leur confie la charge." "Là, il ne s'agit plus de millions mais de milliards d'euros", a commenté Claudy Lebreton. Un "groupe de travail" sera installé avant la fin de l'année, sous l'autorité du Premier ministre, pour "étudier les moyens d'assurer ce financement". Pour l'heure donc, aucune piste privilégiée n'a été avancée par le gouvernement ou le chef de l'Etat. Plusieurs élus ont toutefois rappelé leurs propositions. Y compris du côté des présidents de droite qui, on le sait, préconisent entre autres la création d'une deuxième journée de solidarité. "En soit, cet engagement est une véritable avancée. N'oublions pas que François Hollande a été président de conseil général et connaît donc bien le sujet. Mais la question est loin d'être réglée…", a d'ailleurs réagi leur porte-parole, Bruno Sido. Selon Claudy Lebreton, le chef de l'Etat se serait toutefois montré "attentif" à diverses perspectives évoquées par les élus : réactivation du fonds national de financement de la protection de l'enfance, proposition de loi Béchu (Christophe Béchu, président UMP du Maine-et-Loire) sur le versement au département des prestations familiales pour les enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance (voir notre article du 18 juillet ci-contre), assujettissement des retraités à la contribution de solidarité pour l'autonomie… De même, François Hollande aurait été "sensible" à l'idée de Claudy Lebreton d'imaginer, aux côtés de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale, "une nouvelle loi de finances des collectivités, inscrite en tant que telle dans le droit public".
La clause de compétence générale devrait s'avérer utile...
Quid des autres engagements contenus dans la déclaration commune ? Cette fois, ce sont surtout les départements qui s'engagent… Certes, l'ADF savait que cette rencontre à l'Elysée portait essentiellement sur "la manière dont les départements peuvent renforcer leur contribution à l'effort national contre les effets de la crise économique et pour l'emploi." Et obtient au passage quelques avancées, par exemple sur le fonds social européen (FSE), puisque "dans le cadre de la programmation 2014-2020, l'Etat proposera à partir du 1er janvier 2014 la conclusion de conventions globales pluriannuelles de gestion du FSE avec les départements, afin de permettre la mise en place d'actions d'accompagnement en direction des publics en insertion" et associera les départements à la préparation de cette programmation.
Plus globalement, à travers la liste des engagements, les départements voient leur place confortée dans des domaines aussi divers et importants que l'insertion, l'économie sociale et solidaire (ESS), "le développement des entreprises locales" et "la création d'emplois au sein des PME" (à traduire sans doute par : non, les régions ne seront pas les seules à s'occuper d'emploi et d'entreprises…), l'aménagement du territoire, le numérique et le très haut débit, la construction durable (collèges HQE), le logement, les infrastructures routières et ferroviaires… Dans ce contexte, pas étonnant que le chef de l'Etat ait rappelé le 5 octobre que la clause de compétence générale des départements ne pouvait être remise en cause !
Mais du coup, on leur demande beaucoup de choses. Notamment sur le front de l'emploi et, plus particulièrement, de l'emploi aidé. On attend ainsi des départements le recrutement en 2013 de 7.000 jeunes en emplois d'avenir au sein même de leurs services (services techniques, restauration collective, environnement…) et une hausse de 20% des jeunes accueillis en contrats d'apprentissage et en contrats aidés. Au-delà de leurs propres services, ils vont aussi signer dans les jours qui viennent "une convention-cadre pour accompagner le déploiement des emplois d'avenir au sein du secteur associatif, du champ médicosocial et de l'ESS". S'agissant d'ESS, la déclaration commune souligne d'ailleurs que les départements ne seront pas oubliés dans l'enveloppe de 500 millions d'euros que la future banque publique d'investissement (BPI) doit dédier à ce secteur.
En matière de logement, la déclaration prévoit que "les départements et leurs opérateurs s'engagent sur la période 2013-2017 à financer la construction de logements sociaux" et pourront à ce titre "notamment bénéficier, en plus des aides à la pierre, des prêts spécifiques mis en place par la Caisse des Dépôts". Enfin, sur le très haut débit, il est écrit que "les départements adopteront leur schéma directeur d'aménagement numérique du territoire (Sdant) d'ici au 1er juillet 2013" et que la stratégie nationale en cours d'élaboration par le gouvernement "précisera le rôle de chacun dans ces déploiements et [définira] les mécanismes de solidarité financière permettant d'assurer une péréquation entre zones denses et zones non rentables".
Tout cela fait dire à Claudy Lebreton que cette déclaration commune est marquée par un "triple A" pour les départements : "A comme accompagner la création d'emplois, A comme assumer les solidarités sociales, A comme aménager les territoires." Mais fait en revanche dire à Bruno Sido que "l'Etat s'est engagé sur un point, et les départements sur tous les autres". Et le président de la Haute-Marne de poursuivre : "Avec quel argent allons-nous faire ? Nous ferons notre possible, mais nous ne nous sentons pas liés par cette déclaration. Dans mon département par exemple, je fais déjà des collèges HQE et du très haut débit et je n'ai pas de ligne de TGV donc ça ira. Mais ce n'est pas forcément le cas de tout le monde. Les choses se feront à la carte."