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Congrès de l'ARF - Les régions à deux doigts de décrocher le gros lot

Les régions, qui tenaient leur 8e congrès à Lyon les 18 et 19 octobre, pensent avoir fait le plus dur en vue du nouvel acte de décentralisation. Marylise Lebranchu a accédé à la plupart de leurs demandes et leur propose même de pouvoir entrer au capital des entreprises. Etat et régions se disent en confiance mais achoppent encore sur un point : les futures "conférences territoriales de l'action publique" qui font craindre aux régions un "conseil régional bis".

Les régions se livrent à un exercice d'équilibriste à quelques semaines - ou quelques mois - du projet de loi sur la décentralisation. Après avoir bataillé des années contre "l'Etat jacobin", elles sentent leur "heure" venue, comme l'indique le titre de leur 8e congrès qui s'est déroulé les 18 et 19 octobre à Lyon : "Décentralisation : l'heure des régions." Il y a un an à Tours, elles n'avaient rien à perdre, mais cette fois-ci, elles ont tout à gagner. Ces derniers mois, elles ont déjà obtenu de nombreux gages de l'Etat, témoignant d'une nouvelle "relation de confiance". Il y a eu la déclaration commune signée à l'Elysée le 12 septembre en matière de développement économique (voir notre article du 13 septembre ci-contre), événement dont Alain Rousset, président de l'Association des régions de France (ARF), a rappelé l'importance lors de ce congrès : "Ces quinze engagements préfigurent un acte fort de décentralisation." Puis il y a eu le discours de François Hollande, le 5 octobre, dans le cadre des états généraux de la démocratie territoriale (voir notre article du 5 octobre ci-contre). "C'est le rôle de chef de file qu'il faut étendre à tous les domaines de l'action locale", avait-il dit, précisant notamment que la loi devrait "clairement confier aux régions l'ensemble des attributions qui sont encore celles de l'Etat en matière de formation professionnelle, d'orientation et de mise en cohérence des politiques d'accompagnement vers l'emploi". Les régions disent ne pas en vouloir davantage : "Nous demandons simplement d'appliquer le texte du président de la République, rien que le texte, mais tout le texte", a commenté Alain Rousset.

"Chance historique"

Alors que le Parti socialiste détient tous les rouages, une "chance historique" s'ouvre pour la décentralisation, ou plutôt la "régionalisation", a souligné le politologue Bruno Rémond, habitué de ces rencontres. Les membres du gouvernement étaient donc attendus avec impatience par plus de mille participants au congrès. Ils n'ont pas été déçus. La ministre de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique, Marylise Lebranchu, a accédé à quasiment toutes les demandes des régions. "On a bien entendu la demande d'un pas supplémentaire, d'un pas décisif", a-t-elle déclaré à la presse à l'issue du congrès. "Aujourd'hui s'ouvre le temps de renforcer les compétences, les outils et les moyens des collectivités, en particulier des régions", avait-elle lancé un peu plus tôt devant les congressistes, égrenant la formation professionnelle, l'orientation, l'accompagnement des demandeurs d'emploi et l'ensemble des politiques d'aides aux PME... Domaines dans lesquels les conseils régionaux n'ont pas encore "la plénitude" de leurs compétences. Mieux, alors que les régions auront une place de choix dans la future Banque publique d'investissement (BPI, voir notre article du 17 octobre ci-contre), Marylise Lebranchu a annoncé qu'elles pourraient prendre des parts dans le capital des entreprises "à la création, pendant une période de croissance, au moment d'un virage technologique ou de marché", sur le modèle des Länder allemands. La France a connu un précédent avec l'entrée dans le capital de la branche voiture électrique d'Heuliez (aujourd'hui Mia Electric) par la région Poitou-Charentes (voir notre article du 23 juillet ci-contre). Mais dans les conditions actuelles, la procédure est longue et nécessite le feu vert du Conseil d'Etat. Le dossier n'est "pas bouclé juridiquement", a précisé la ministre.
L'autre grande innovation serait de rendre les schémas régionaux prescriptifs, ce qui reviendrait à conférer aux régions un "pouvoir réglementaire" dans leurs domaines de compétence. Un point que la déclaration commune du 12 septembre n'avait pas tranché. La ministre de l'Egalité des territoires et du Logement Cécile Duflot a indiqué, jeudi, qu'elle y était favorable. "Il faut ouvrir le débat de l'opposabilité des schémas. J'ai entendu les craintes. Le travail sur les Scot a montré qu'il était utile pour les élus locaux d'avoir cette ligne directrice", a-t-elle justifié.

Rendre des comptes

Mais les régions devront se montrer à la hauteur des enjeux : "Cette responsabilité demandée imposera nécessairement, mais vous y êtes prêts, de rendre des comptes", a prévenu Marylise Lebranchu. Car le renforcement des régions n'est pas sans susciter des inquiétudes. La situation de faillite d'un certain nombre de provinces en Espagne ou en Italie qui en appellent aujourd'hui à l'aide à l'Etat, les vents séparatistes qui soufflent sur la Flandre, la Catalogne ou l'Ecosse, tout cela pourrait donner des arguments aux contempteurs de la régionalisation. On savait par ailleurs les craintes des métropoles et des départements quant à une dépossession de leur pouvoir économique ; la question de schémas prescriptifs n'est pas pour les rassurer. "Cette position suscite de fortes oppositions des élus des communes et des départements pour qui elle introduirait une tutelle", a même fait savoir jeudi le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, organisateur des récents états généraux de la démocratie territoriale. Taxées parfois de clientélisme et d'amateurisme au moment où se met en place la BPI (voir notre article du 18 octobre ci-contre), les régions sont aussi sous le feu des syndicats. Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de Force ouvrière, a agité la semaine dernière le spectre d'une "balkanisation" de la formation professionnelle alors que les régions veulent lancer le chantier de la "carte de la formation". Il y a aussi les syndicats de la fonction publique qui craignent que les regroupements et la suppression des doublons ne se traduisent par des coupes dans les effectifs. Marylise Lebranchu et Alain Rousset se sont donc évertués à jouer "l'apaisement".
"On n'a pas de volonté hégémonique, on n'a aucune envie de créer un jacobinisme régional", a assuré Alain Rousset, exhortant à sortir des "conservatismes". Les schémas prescriptifs seront "négociés" en amont. Pour sa part, la ministre de la Décentralisation s'est montrée généreuse envers tout le monde : "Régions et métropoles ne s'opposent pas, elles se conjuguent… Régions et départements ne s'opposent pas, ils se complètent." Le projet de loi devrait créer un nouveau statut de "métropole européenne". "Les métropoles naturellement devront porter leur part. Le fait métropolitain figurera d'ailleurs dans le projet de loi", a indiqué Marylise Lebranchu. Alors qu'une dizaine de ces métropoles sont pressenties, la ministre estime que les discussions entre régions, départements et collectivités ne poseront pas de problème. Mais s'il devait y en avoir, "si l'intérêt général n'est pas au rendez-vous, l'Etat assumera ses responsabilités", a-t-elle assené, faisant allusion aux difficultés rencontrées à Marseille où le gouvernement veut créer une métropole spécifique (voir notre article du 7 septembre ci-contre).

"Une élection régionale bis, cela ne marchera pas"

Si l'Etat et les régions se disent en confiance, il est pourtant un caillou dans la chaussure de Marylise Lebranchu. Et non des moindres. Pour faciliter les relations entre les différents échelons de collectivités, le gouvernement compte sur la mise en place du Haut Conseil des territoires et de ses déclinaisons : les conférences territoriales de l'action publique qui "veilleront à l'articulation optimale des compétences transférées ou déléguées". Ces conférences seront "nécessaires en droit", a justifié la ministre. La clause générale de compétence serait rétablie et les collectivités passeraient des contrats entre elles pour définir le "chef de file" dans chaque domaine. Du bon fonctionnement de ces instances dépend le succès du nouvel acte de la décentralisation. Le mode de désignation des membres des conférences territoriales fait craindre aux régions un retour aux conseils régionaux d'avant l'élection au suffrage universel de 1986. Une instance double qui risquerait, selon elles, d'imposer ses choix. "Si ces conseils devaient faire l'objet d'une élection régionale bis, cela ne marchera pas", a averti Alain Rousset. "Il ne doit pas y avoir une multiplication de contrats, sinon tout part à vau-l'eau. On ne peut pas maculer le pays de contrats tous azimuts", a-t-il ajouté.
Le président de l'ARF a invité les présidents de région à rester "vigilants". "Le diable se niche dans les détails", n'a-t-il cessé de dire lors de ces deux journées.
Toutes ces difficultés ont pu retarder la présentation du projet de loi annoncé à présent pour le début de l'année prochaine. Même si Marylise Lebranchu indique qu'il s'agit de ne pas télescoper le projet de loi de finances : "Jean-Marc Ayrault veut en faire un moment fort du début de l'année." Quant à la question des ressources, très peu abordée lors du congrès, elle fera l'objet d'un autre texte qui devra être adopté avant la fin 2013. "A partir du moment où l'on est d'accord sur le projet, la négociation s'ouvre immédiatement."

 

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