Développement économique - Vers des régions actionnaires ?
Pouvoir entrer au capital de sociétés privées. C'est ce que les régions demandent dans leur proposition de nouvel acte de la décentralisation, présenté début juillet. Elles peuvent déjà le faire via leurs différents fonds d'investissement, de garantie, d'amorçage... Rôle qu'elles souhaitent renforcer avec la création de guichets régionaux de la future banque publique d'investissement. Mais le document de l'ARF va plus loin : il s'agirait de participations directes. "La région a la possibilité de prendre directement une participation au capital de sociétés commerciales et de tout organisme à but lucratif. Elle est la seule collectivité territoriale dans ce cas", peut-on y lire. Ce qui nécessiterait une loi. Les velléités des régions ne datent pas d'hier. En 2007, suite à un important plan de restructuration d'EADS, les huit présidents de région accueillant des sites du groupe avaient demandé, en vain, à pouvoir entrer dans son capital à hauteur de 5 à 10%. Elles voulaient imiter en cela leurs homologues allemands, les lander, déjà présents dans le capital d'EADS ou d'autres entreprises, mais aussi dotés de beaucoup plus de moyens. D'ailleurs, de grands groupes allemands comme BMW (qui n'est autre que l'"Usine bavaroise d'aéronautique") sont nés d'initiatives locales, grande différence avec la France et ses fleurons industriels nationaux. Le land de Basse-Saxe détient ainsi 20% du capital de Volkswagen et dispose même d'une minorité de blocage, ce qui lui vaut au passage les foudres de Bruxelles qui estime qu'il s'agit d'une entrave à la libre circulation des capitaux...
Mia Electric
En France, la participation des collectivités est réservée aux sociétés d'économie mixte locales. Sinon, il est nécessaire d'obtenir l'aval du Conseil d'Etat qui doit juger de la défaillance de l'initiative privée. Ce qu'il a fait en 2009 lorsque la région Poitou-Charentes a décidé d'entrer dans le capital de l'équipementier automobile Heuliez en grande difficulté depuis plusieurs années. Une première en France : la région a investi à hauteur de 5 millions d'euros dans la branche "voiture électrique" du groupe. Un secteur émergent dans lequel une collectivité pouvait donc s'investir. Le Conseil d'Etat a ainsi donné son feu vert mais à la condition "que la part du capital détenue par la collectivité territoriale ne dépasse à aucun moment 33%".
"Heuliez est une formidable entreprise avec un outil, la voiture électrique, fantastique. Je mettrai toutes mes forces dans cette bataille industrielle", avait alors déclaré Ségolène Royal, présidente de la région. L'opération de la région a permis à la branche véhicule électrique d'Heuliez de se maintenir à flot en attendant un repreneur. "Sans cela, le tribunal de commerce aurait prononcé la liquidation de l'entreprise", assure Jean-François Macaire, le vice-président de la région. Pendant ce temps, le conseil régional, l'Etat et l'Opcaim ont assuré la formation des salariés d'Heuliez en chômage partiel afin qu'ils soient très vite opérationnels dans la nouvelle entité. Et en juillet 2010, l'allemand Edwin Kohl a repris l'entreprise sous la nouvelle enseigne "Mia Electric". La région détient toujours 12% des parts. Un choix qui se veut stratégique. "La région souhaitait être associée au lancement de ce nouveau projet. C'est aussi une garantie du maintien de l'activité sur le site de Cerisey et de son ancrage territorial. Enfin, tout ceci s'intègre dans un projet global, avec la volonté de faire du Poitou-Charentes une région de production de véhicules propres et électriques", précise Jean-François Macaire. Un pari risqué car, entre un marché automobile déprimé et une voiture électrique qui a du mal à séduire le public (c'est aujourd'hui 0,1% du marché automobile), la Mia Electric ne parvient pas à décoller. L'entreprise vend en moyenne 40 véhicules par mois depuis le début de l'année, loin de son objectif initial de 12.000 véhicules par an… En comparaison, la Bluecar, plus connue comme l'Autolib de la région parisienne, est le leader du marché, avec 230 ventes par mois. Jusqu'ici, elle n'était pas commercialisée pour le grand public mais s'apprête à le devenir. Quant à la Mia, qui se place quand même deuxième sur le marché, ses ventes reposent à 50% sur des commandes publiques. Les villes de Nice et La Rochelle ont passé commande pour lancer un service d'autopartage similaire à l'Autolib. Et la région Poitou-Charentes leur a emboîté le pas. Après avoir fait l'acquisition de 100 véhicules pour les besoins de ses services, elle a lancé son propre système d'autopartage. Pour ce faire, une société publique locale a été créée avec 10 autres collectivités, dont le département des Deux-Sèvres. Dès cet automne, 40 véhicules électriques seront mis à disposition, dans un premier temps dans les villes de Niort, Saintes et Châtellerault... Le conseil régional fait une nouvelle fois figure de pionnier dans ce domaine.
Banques régionales d'investissement
"Il faut travailler à se développer sur les marchés internationaux. Certains marchés se réveillent, pas forcément ceux que l'on attendait. C'est le cas du Royaume-Uni, du Benelux. […] Il faut également créer un contexte favorable, encourager l'offre locative, créer des infrastructures de recharge", explique Jean-François Macaire. Pendant ce temps, la Mia poursuit son opération de séduction à travers la France et l'Europe : elle vient d'entamer une tournée dans cinq grandes villes allemandes.
Le modèle a-t-il pour autant vocation a être reproduit ailleurs ? "Cela n'a rien à voir avec ce que font les Etats via les fonds souverains ou les lander allemands qui sont au capital de majors bien installées sur leur marché, sans grosse prise de risque. Là, la région s'est associée à un projet de reconversion, dans la phase la plus périlleuse de mise sur le marché", tempère tout d'abord Alain Petitjean, le directeur général de Sémaphores qui travaille avec l'ARF au sein de l'Observatoire de l'action économique régionale. "Il fallait de l'audace, or si on s'interdit d'être le pionnier, on est dans l'immobilisme", poursuit-il. Mais attention, si l'intervention des collectivités en cas de risque de fermeture peut s'avérer nécessaire, "cela ne fait pas une politique". D'ailleurs, l'ARF semble avoir mis de l'eau dans son vin et préfère aujourd'hui se concentrer sur la création de la future banque publique d'investissement à laquelle elle travaille avec le gouvernement. "Une BPI couplée avec un travail fin aurait un effet extrêmement structurant de renforcement de l'économie", soutient M. Petitjean.
Pour Jean-François Macaire aussi, la BPI offre de belles perspectives, mais tout dépendra de ce que l'on y mettra. "Est-ce que dans les banques régionales d'investissement, les élus seront suffisamment impliqués dans les décisions des entreprises ? Il faut poser la question de la place des élus dans les conseils de surveillance de ces entreprises." Sur le long terme, le vice-président n'en démord pas, l'entrée dans le capital des entreprises aurait beaucoup d'avantages : "Si chaque région était présente dans un portefeuille de dix à vingt entreprises sur son territoire, elle pourrait les accompagner de manière beaucoup plus forte tout en demandant des contreparties en matière de dialogue social, de qualité environnementale, de responsabilité sociale de l'entreprise." Selon lui, c'est la condition nécessaire pour se doter d'entreprises de tailles intermédiaires performantes.