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Gestion locale - Une guerre éclair contre les chambres régionales des comptes ?

Il faut toujours se méfier des projets de loi dont on ne comprend pas le nom. Dans cette catégorie, le projet n°304 adopté lundi 4 juillet par l'Assemblée nationale et intitulé  "Justice : répartition des contentieux et allègement de certaines procédures juridictionnelles" est remarquable. L'avantage avec ces textes sans nom est qu'ils sont aussi les Lucky Luke de la procédure parlementaire. A peine a-t-on eu le temps de voir passer l'ombre des mots "modernisation" "allégement" ou "simplification" sur l'agenda qu'ils sont déjà votés. Ce texte 304 ne fait pas exception. Le gouvernement a demandé "la procédure accélérée", c'est-à-dire que l'examen se limite à un seul passage devant chaque chambre. Il ne reste plus que la commission mixte paritaire le mercredi 6 juillet avant la publication au Journal officiel. Or ces textes sans nom et sans visage sont rarement sans conséquences pour les acteurs locaux. En l'occurrence, parmi les 59 pages de dispositions visant à simplifier les procédures judiciaires, une dizaine d'articles (24 quater et suivants) constituent la traduction législative de la réforme des chambres régionales des comptes dont Localtis suit la gestation depuis bientôt 5 ans (voir nos articles ci-contre). Visiblement, l'accouchement ne se fait pas sans douleur : magistrats et agents des chambres régionales dénoncent d'une seule voix dans un communiqué "une guerre éclair" contre le contrôle financier local. Ils s'indignent également du refus gouvernemental de soumettre les ministres au contrôle de la Cour des comptes.

Au maximum vingt chambres... et au minimum ?

Cette réforme des chambres régionales des comptes comprend plusieurs volets. Premièrement,  l'ancien président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, voulait unifier en un organe unique Cour des comptes et chambres régionales afin de mieux coordonner le travail des deux niveaux. Ce point est quasiment abandonné dans le texte final : il y aura simplement des normes communes pour que les enquêtes soient réalisées de manière harmonisées. Il n'est plus question par exemple de fondre en un corps unique les magistrats, encore moins de donner un pouvoir hiérarchique fort à la Cour sur les chambres.
Deuxième volet important, la fermeture de certaines chambres. Les lois de décentralisation Defferre de 1982 avaient créé des chambres régionales - qui, comme leur nom l'indique sont présentes dans chaque région et en outre-mer - afin de contrôler ce que font les collectivités locales tout en leur laissant une autonomie suffisante. Dans les faits, les chambres contrôlent sur pièce et sur place mais font également du conseil aux acteurs locaux. Ces cinq dernières années, les débats se sont focalisés sur la fermeture possible de certaines chambres. Philippe Séguin parlait d'une dizaine de chambres interrégionales, le chiffre semblait avoir légèrement augmenté avec l'arrivée de Didier Migaud. Le projet de loi (article 24 novodecies) ne tranche pas la question. Il laisse au gouvernement la main, puisque celui-ci pourra fixer "le siège et le ressort des chambres par décret en Conseil d'Etat". Ce nombre ne pourra pas "excéder vingt". Lors de la discussion en séance à l'Assemblée, René Dosière, député PS spécialiste des questions financières, a rappelé que les dépenses des collectivités s'élèvent à 210 milliards d'euros. "Par conséquent, a-t-il souligné, les 26 chambres régionales des comptes dont on peut certes réduire le nombre, mais sans excès, ne sont pas de trop pour contrôler cette dépense et éviter les dérives." Le député s'inquiétait qu'il puisse ne rester en métropole que "six, huit ou dix chambres à l'issue du processus" ; il demandait que le nombre de chambres soit fixé dans la loi et non par décret. Il n'a pas été suivi.
Troisième point, plus technique, la question de l'apurement administratif de certains comptes (article 24 decies). Après cette loi, les comptes des communes de moins de 5.000 habitants, des EPCI de moins de 10.000 habitants et de certains "petits" collèges et lycées pourront être apurés directement par les trésoreries. Ils ne passeront donc plus devant les chambres régionales.

Sauvetage des ministres par Michel Mercier

Enfin, et contrairement à ce que souhaitait Jean-Luc Warsmann, président UMP de la commission des lois de l'Assemblée, les ministres et les élus locaux échappent cette fois encore au contrôle des juridictions financières. En effet, actuellement, les chambres régionales comme la Cour des comptes ne s'occupent que des comptables, jamais des ordonnateurs. Lorsqu'un ordonnateur (élu local, haut fonctionnaire ou ministre) fait des fautes en matière de gestion publique, c'est le droit pénal qui s'applique. Conséquence : soit il n'est pas sanctionné, soit il va en prison, mais il n'y a pas vraiment d'étape intermédiaire. L'idée était de faire une meilleure gradation des peines : pour des petites fautes, la sanction aurait été l'amende, pour les grosses fautes, la prison. Le gouvernement, par la voix de Michel Mercier, a refusé catégoriquement la possibilité de soumettre les ministres (car là était le cœur du problème) au contrôle des juges financiers. La raison avancée est que le fruit n'est pas encore assez mûr : les dispositions en question "soulèvent de lourdes questions de principes sur le régime de responsabilité des gestionnaires publics qui sont loin d'être toutes réglées".
Jean-Luc Warsmann s'est montré sceptique face à  cet argument. Il a relevé que le 5 novembre 2007, la réflexion semblait pourtant bien avancée puisque le président de la République avait pu déclarer  : "Trop longtemps, on a considéré que le propre de l'argent public était d'être dépensé sans compter, qu'il était dans la nature du service public que son efficacité ne soit pas mesurable et que si l'on devait demander des comptes au comptable, il n'était pas légitime d'en demander à l'ordonnateur. (...) Je profite de l'occasion (...) pour vous dire que cette époque est révolue. Notre Etat a besoin d'une révolution intellectuelle et morale."

Les mariages chez papa-maman désormais possibles... sauf si les sénateurs sont contre

Le texte de loi comprend également de nombreuses dispositions sur les autres champs du droit qui pourraient concerner les collectivités : on notera par exemple le rattachement des juges de proximité aux tribunaux de grande instance, la possibilité pour les candidats au mariage de se dire "oui" dans la mairie de résidence de leurs parents (voir sur ce sujet notre article ci-contre), une simplification des procédures pour changer le prénom d'un enfant adopté, l'élargissement des cas de recours à l'ordonnance pénale (voir en particulier l'extension de l'amende forfaitaire à certaines contraventions de 5e classe). Quelques modifications également pour les tribunaux administratifs, par exemple l'allégement des procédures de contentieux du stationnement des gens du voyage (article 24 sexvicies).
Le texte passe en commission mixte paritaire mercredi 6 juillet. De nombreux articles importants ayant été ajoutés par l'Assemblée nationale (donc après l'examen du Sénat puisqu'on est en procédure accélérée), il est probable que les débats seront animés. Un recours sénatorial auprès du Conseil constitutionnel n'est pas à exclure.
 

 

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