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Réforme des juridictions financières - Le contrôle de la gestion locale est-il menacé ?

Le projet de réforme des juridictions financières actuellement examiné par le Conseil d'Etat réaffirme, parmi les attributions de la Cour des comptes et des chambres régionales (CRC), l'importance de l'examen de la gestion des collectivités. Des magistrats financiers estiment, au contraire, que cette mission historique des CRC fera les frais de la réorganisation annoncée.

Pour Marc Chabert, président du Syndicat des juridictions financières (SJF), l'examen de la gestion publique locale sera la grande victime du projet de réforme des juridictions financières, qui est à présent soumis à l'expertise du Conseil d'Etat. L'étude d'impact annexée au projet de loi assure que "ce type de contrôle garderait une place prépondérante dans l'activité des chambres en région". Mais pour le président du SJF, cette réaffirmation de la mission "la plus importante et la mieux comprise du citoyen" est un "trompe-l'œil". Les nouvelles missions confiées à la Cour des comptes et aux chambres – notamment l'évaluation des politiques publiques – et, parallèlement, la réduction du nombre des magistrats de 20% en 10 ans, vont avoir pour effet de marginaliser la place du contrôle organique des collectivités locales. Certes, convient Marc Chabert, "les collectivités territoriales se sont améliorées sur beaucoup de points et elles emploient des fonctionnaires de grande qualité". Mais cela n'enlève rien, selon lui, à l'utilité du travail effectué par les chambres régionales des comptes (CRC). "Les difficultés des collectivités ne cessent de se déplacer", souligne-t-il. "Hier, elles concernaient tel aspect de la gestion et aujourd'hui elles portent sur tel autre."
La rédaction du projet de loi répond cependant à des critiques déjà anciennes, formulées par les élus locaux. Ceux-ci "ont le sentiment que leurs collectivités ne sont pas traitées à égalité selon la chambre dont elles dépendent", précise la Fédération des maires de villes moyennes (FMVM). Pour le gouvernement, le mal trouve son origine dans la dispersion des moyens dont disposent les chambres et, surtout, dans leur indépendance et leur corollaire, "le cloisonnement des compétences". Pour y remédier, il serait mis fin à cette indépendance. De plus, les chambres implantées aujourd'hui dans les 26 régions seraient réorganisées en chambres interrégionales, dont le nombre varierait de six à dix, suivant les divers scénarios aujourd'hui envisagés. "Dans sa philosophie, la réforme des juridictions financières est comparable à la réforme de la carte judiciaire", analyse la Fédération des maires de villes moyennes. L'objectif est de "concentrer les moyens, d'étoffer les équipes et de spécialiser les magistrats".

Responsabilité de l'ordonnateur : "pas de souci pour les élus"

Le relèvement du seuil de l'apurement administratif prévu par le projet est guidé par les mêmes objectifs. La Cour des comptes exercerait un contrôle organique sur les collectivités de plus de 5.000 habitants (contre 3.500 aujourd'hui) et dont le budget annuel dépasse 3 millions d'euros (contre un seuil fixé à ce jour à 820.000 euros). Le périmètre du contrôle de la Cour des comptes passerait, ainsi, de 40.000 organismes aujourd’hui, à 9.700 demain. Soit moins de 8% du nombre total des organismes, mais encore 85% de la masse financière du secteur public local. "Notre mission de contrôle va s'affaiblir", s'insurge pourtant le président du SJF. Encore une fois, explique-t-il, les nouvelles missions confiées à la Cour des comptes priveront celle-ci de toute marge pour faire usage de son droit d'évocation – qui lui permet de dessaisir les comptables publics pour les comptes des communes soumis à l'apurement administratif.
Au rang des nouvelles missions, il incomberait à la Cour des comptes d'assurer le bon fonctionnement d'un nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics. Le dispositif actuel serait simplifié. La Cour des comptes aurait à juger les affaires concernant les comptables, comme c'est déjà le cas aujourd'hui, mais aussi celles des comptables et des gestionnaires, qui relèvent aujourd'hui de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF). Les agents des collectivités locales et des établissements publics, les élus et exécutifs locaux seraient donc justiciables de la Cour des comptes. Et ce, "dès lors qu’ils auraient, dans l’exercice de leurs fonctions et alors qu’ils étaient dûment informés de l’affaire, donné à un subordonné un ordre écrit dont l’infraction aux règles budgétaires et comptables constitue l’effet". Commentaire de Marc Chabert : "Le projet qui se voulait montagne a accouché d'une souris. Ce n'est pas demain qu'on mettra en cause la responsabilité des ordonnateurs."

Expérimentation de la certification des comptes

Le projet crée, par ailleurs, de nouvelles incriminations : l'avantage injustifié à soi-même, le favoritisme non-intentionnel dans le cadre de l'accès à la commande publique, ou encore le manquement grave et répété dans l'exécution des mesures de redressement financier (lorsque le préfet a déféré la collectivité pour déséquilibre de son budget).
Enfin, le projet de loi consacre la Cour des comptes comme garant de la régularité et de la sincérité des comptes publics qui, depuis 2008, ont valeur constitutionnelle. Ces principes ayant vocation à s'appliquer le plus justement possible aussi aux collectivités locales, celles qui le souhaiteront pourront s'engager dans une démarche de certification de leur compte, sous le contrôle de la Cour des comptes. Cette faculté sera réservée aux collectivités dont le budget de fonctionnement est supérieur à 200 millions d'euros et prendra la forme d'une expérimentation de huit ans. Ce qui ne sera pas de trop, compte tenu de "l'énorme travail qu'implique ce chantier", commente l'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF).
Composé de neuf articles, le projet de loi pourrait être présenté rapidement en Conseil des ministres, le Parlement pouvant alors débuter l'examen du texte avant la fin de l'année. Une question va très vite se poser aux parlementaires : accepteront-ils de donner carte blanche au gouvernement, comme celui-ci le demande ? En effet, le projet de loi serait accompagné de trois projets d'ordonnances (composant 150 articles)... Pas sûr, si l'on se souvient qu'en juillet ils ont refusé au gouvernement le droit de fixer seul les règles modernisant le statut des juges administratifs.

 

Thomas Beurey / Projets publics
 

 

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