Congrès de l'ADF - Un peu de temps pour rectifier le tir des réformes ?
Il y aura finalement un peu plus de temps que prévu. A la fois pour la réforme des collectivités et pour celle de la fiscalité locale. La première avait initialement été annoncée pour l'été, puis pour septembre, et devrait maintenant en principe être présentée à la mi-octobre - voire un peu plus tard - en Conseil des ministres. Ensuite, "la discussion générale débutera au Sénat avant la fin de l'année et se poursuivra si besoin après les régionales", a indiqué Brice Hortefeux mardi 22 septembre lors de son intervention devant les présidents de conseils généraux réunis à Clermont-Ferrand pour leur 79e congrès (voir ci-contre notre article de mardi : "Brice Hortefeux maintient le cap"). Gérard Larcher, le président du Sénat, venu conclure cette première journée de congrès, a été explicite : "Ce retard, je l'ai souhaité." Et parce que nombre de points de l'avant-projet de loi méritent d'être précisés, voire réinterrogés, il a été demandé - et obtenu - que le texte ne fasse pas l'objet d'une procédure accélérée. Il y aura donc bien quatre lectures. Et cela "prendra du temps", a prévenu Gérard Larcher. "Au moins six mois", estime-t-il. Tout en soulignant qu'il ne s'agit en aucun cas d'enterrer ni de reporter la réforme. Ces mois de discussion permettront "au Sénat d'exercer pleinement ses responsabilités", notamment, pour Gérard Larcher, sur le mode de scrutin applicable aux conseillers territoriaux, sur le statut des métropoles, sur la relation région-département... Ils permettront, aussi, de s'appuyer davantage sur les propositions de la commission Belot. "Si on mettait trois quarts de Belot et un quart de Sarko, je crois qu'on arriverait à un cocktail assez acceptable", a résumé le président du Sénat. En précisant que "la partie agenda sur la date de 2014 [pour l'élection des conseillers territoriaux], qui ne soulève pas de grande difficulté, pourra être disjointe et faire l'objet d'une procédure accélérée".
Redonner de l'autonomie fiscale
Quant à l'"autre" réforme, celle liée à la suppression de la taxe professionnelle, il semblerait là aussi, à écouter tant le ministre de l'Intérieur que le président du Sénat (lequel s'en est récemment entretenu avec Nicolas Sarkozy), qu'un laps de temps supplémentaire soit envisagé. Gérard Larcher a en effet indiqué que le volet entreprises serait "découplé" du volet répartition des recettes fiscales entre collectivités à partir de 2011 (pour 2010, les choses sont réglées pour les collectivités puisque la taxe professionnelle sera compensée par une dotation d'Etat). "On a un peu de temps pour travailler", a de même indiqué Michel Mercier, président du conseil général du Rhône et nouveau ministre de l'Espace rural et de l'Aménagement du territoire, venu mardi à Clermont-Ferrand.
A Clermont-Ferrand toutefois, tout le monde n'interprète pas les choses exactement de la même façon. Pour Claudy Lebreton, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), cela signifie que la question de la répartition des nouvelles ressources fiscales ne sera inscrite que dans la loi de finances pour 2011. Jean Arthuis, le président de la commission des finances du Sénat, intervenu ce mercredi 23 septembre au congrès de l'ADF, imagine plutôt que "le volet collectivités locales, s'il est dans la loi de finances pour 2010 [présentée en Conseil des ministres le 30 septembre], ne serait pas dans la première partie", permettant ainsi aux parlementaires de ne pas le voter et de "prendre six mois" pour rediscuter les choses. Et notamment d'étudier la façon de redonner aux départements et aux régions l'autonomie fiscale que le projet actuel préparé par Bercy leur a retiré totalement (pour les régions) ou presque (pour les départements). Jean Arthuis a d'ailleurs relevé que dans la mesure où le président Sarkozy a évoqué une révision des bases locatives 2010, il serait souhaitable que la discussion des deux réformes fiscales soit "concomitante".
Une part de CSG via la CNSA ?
Quoi qu'il en soit, les élus départementaux misent dès à présent sur ce nouveau temps de débat qui semble se profiler. "Nous avons une année pour continuer la discussion", indiquait Claudy Lebreton ce 23 septembre aux autres présidents de conseils généraux. Tout au moins, ils le souhaitent et le demandent. Et renouvellent du coup un certain nombre de revendications déjà anciennes dont le projet actuel n'a pas tenu compte. La table-ronde consacrée mercredi matin à la fiscalité en a largement témoigné. Les échanges avaient de ce fait parfois un petit air de déjà-vu. On a reparlé de la nécessité de renforcer la péréquation ("La péréquation, depuis qu'on l'a inscrite dans la Constitution, on n'en fait plus !", a ainsi lancé Augustin Bonrepaux, président du conseil général de l'Ariège. De l'aberration que représente le financement par les départements de projets relevant des compétences de l'Etat (lignes à grande vitesse, programmes de modernisation des itinéraires routiers, malgré l'engagement d'un "décroisement" des financements sur les routes...). Du risque inhérent au remplacement d'une ressource fiscale par une dotation dont on ne sait jamais très bien ce qu'elle deviendra au fil des années. Du poids des dépenses sociales et de la nécessité, comme le clame l'ADF, de faire financer les dépenses relatives aux allocations nationales de solidarité par le transfert d'une part d'impôt national tel que la CSG.
Sur ce dernier point d'ailleurs, Claudy Lebreton indique avoir ré-abordé le sujet mardi avec Brice Hortefeux. Si le transfert direct d'une part de CSG est, nous dit-on, exclu par l'Elysée, une piste proposée par le président de l'ADF pourrait peut-être trouver un écho plus favorable : bénéficier d'une part de CSG via la CNSA, comme c'est en fait déjà en partie le cas aujourd'hui. Le président de l'ADF en fait une priorité... et un préalable : en cas d'accord là-dessus, les représentants des départements pourraient se montrer ouverts sur d'autres points, telle que la revendication intercommunale (portée par l'ADCF, l'Acuf et l'AMGVF) de bénéficier d'une part de la future cotisation complémentaire.
En ordre dispersé
Si les questions ne sont guère nouvelles, la crise et ses conséquences en ont clairement modifié la teneur. Mercredi comme la veille, les témoignages de situations financières "dramatiques" n'ont pas manqué. Notamment du côté des départements ruraux. Dépenses sociales qui montent en flèche et droits de mutation qui suivent exactement le mouvement inverse y sont pour beaucoup. Alors, lorsque la perspective de la suppression de la taxe professionnelle vient porter l'incertitude à son comble... un quart des départements affirment qu'ils ne vont pas pouvoir élaborer leur budget. Beaucoup, en tout cas, savent qu'ils vont devoir trancher. "Va-t-on supprimer toutes nos aides aux communes ?", s'interroge Arnaud Montebourg, président du conseil général de Saône-et-Loire, qui parle d'un "budget préfectoral", tant les dépenses obligatoires y sont prégnantes. Les tensions financières sont telles que selon Marie-Françoise Peyrol-Dumont, présidente du conseil général de la Haute-Vienne, "si la réforme fiscale telle qu'elle se présente aujourd'hui va à son terme, la réforme des collectivités n'aura même plus lieu d'être" tant les départements auront d'emblée été mis à mal. "Nous voulons juste pouvoir continuer à mener les politiques pour lesquelles nous avons été élus", poursuit-elle.
A entendre les interventions des uns et des autres, tous les présidents semblent opposés au scénario actuel de Bercy. Y compris dans les rangs de la majorité présidentielle. Phlippe Adnot, président UMP du conseil général de l'Aube, l'a ainsi critiqué avec virulence, contestant le diagnostic de départ, à savoir le fait que la TP serait une cause de délocalisations. Il rejette personnellement aussi le scénario de la spécialisation, estimant que "aujourd'hui, ce qui fait notre force, c'est la diversité des impôts". Pour lui, aucune piste n'est à exclure de la réflexion qui se ré-ouvre, même pas par exemple le rétablissement de la vignette automobile. Son jugement sur la réforme des collectivités n'est d'ailleurs guère plus tempéré. Là encore, Philippe Adnot remet en question "le postulat de base", celui d'élus qui coûteraient trop cher. D'autres présidents de droite, s'ils peuvent difficilement s'opposer frontalement à l'idée des conseillers territoriaux, ne manifestent guère d'enthousiasme. Et on n'aura évidemment entendu personne se prononcer pour la suppression de la clause générale de compétence...
Jusqu'à mercredi après-midi, beaucoup pensaient que ce front presque unanime donnerait lieu à l'adoption d'une motion commune à l'ensemble des présidents. Cela n'aura finalement pas été le cas. Les logiques partisanes auront eu gain de cause. Le groupe "droite, centre et indépendants" (DCI) de l'ADF a choisi de formuler son propre communiqué, accompagné d'un message au gouvernement et aux parlementaires. Dont le contenu ne diffère guère, sur le fond, de la résolution adoptée par la majorité de gauche de l'ADF. Michel Dinet (Meurthe-et-Moselle), qui a travaillé pendant plusieurs années au "projet" de l'ADF jusqu'à l'adoption à l'unanimité, en décembre dernier, d'un corpus de vingt propositions, est le premier à regretter que la cause des départements se défendra en ordre dispersé.
Claire Mallet, à Clermont-Ferrand