Congrès de l'ADF - Brice Hortefeux maintient le cap
"Cette réforme, ce n'est pas l'Acte III de la décentralisation. C'est l'Acte I de la simplification et de la clarification. Nous voulons conforter la décentralisation." Telle fut l'une des réaffirmations du ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, venu ce 22 septembre à Clermont-Ferrand s'exprimer devant les présidents de conseils généraux dès la fin de la matinée de leur 79e congrès, avant même que les élus n'aient commencé à débattre entre eux de la réforme des collectivités. Cette réforme qui, avec celle de la fiscalité locale, a d'emblée fait dire à Claudy Lebreton, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF) : "Notre congrès de Clermont est grave. La situation des départements est gravissime. C'est notre survie qui se joue." Et Claudy Lebreton d'évoquer à l'adresse du ministre - habitué des congrès de l'ADF lorsqu'il était ministre délégué aux Collectivités locales - "l'inquiétude, la colère, l'incompréhesion" des élus qu'il représente.
S'agissant de la réforme des collectivités, Brice Hortefeux a dit et répété qu'il ne s'agit ni d'une "provocation", ni d'une "critique de l'Etat adressée aux collectivités", ni du "procès de tel ou tel niveau de collectivité"... et surtout, "ni de la mort des départements, ni de celle des régions" ("Les deux !", a-t-on immédiatement entendu dans la salle...). L'inquiétude serait "normale" face à une réforme qui "bouleverse nos habitudes". Avec, pour premier bouleversement, celui de la création du conseiller territorial dont le principal avantage, selon le ministre, sera d'avoir "une double vision à la fois territoriale et régionale". Il s'agit, a-t-il poursuivi, de "faire confiance à un élu local pour clarifier de façon pragmatique".
Les métropoles seront des EPCI
Comment ce conseiller territorial sera-t-il élu ? Brice Hortefeux a apporté ce mardi une confirmation : le scrutin proposé sera bien, finalement, un "scrutin mixte, à la fois majoritaire uninominal, sur des cantons élargis, et proportionnel, sur des listes départementales". Le fameux scrutin "à la Weill-Raynal" dont il est question depuis quelque temps (depuis qu'a été abandonnée la piste d'une cohabitation entre scrutin majoritaire en zone rurale et proportionnel en zone urbaine). Il est donc d'ailleurs ainsi confirmé au passage que cette question du mode de scrutin figurera bien dans le projet de loi (il avait un moment été dit que cette disposition pourrait être reportée à un texte ultérieur). Le ministre a également rappelé que cette réforme ne s'appliquera bien qu'en 2014. Autrement dit, les conseillers régionaux élus en 2010 verront leur mandat passer de six à quatre ans et les conseillers généraux élus en 2011 seront élus non pas pour six mais pour trois ans.
Autre point de la réforme sur laquelle Brice Hortefeux a apporté quelques précisions quant aux dernières évolutions de l'avant-projet de loi : celui des métropoles. Relevant que finalement, "tout le monde est d'accord" pour que ces métropoles voient le jour "sur la base du volontariat", il a indiqué que l'idée initiale de faire de la métropole une collectivité territoriale a été écartée : "Nous pensons que le statut de la métropole doit être celui d'un EPCI." Le ministre se dit personnellement "pas convaincu par l'hypothèse d'une métropole-département" et donc d'un "transfert de compétences automatique". Et reconnaît qu'il y a toujours débat sur le seuil démographique : 500.000 habitants comme prévu au départ ? 450.000 ? 400.000 comme le demande Michel Destot pour l'Association des maires de grandes villes ?
Quant à la question, enfin, des compétences, Brice Hortefeux affirme ne pas être "buté, fermé" sur l'épineuse suppression de la clause générale de compétence pour les départements et les régions. Il n'a donc pas confirmé qu'elle sera bien au menu. Tout juste a-t-il rappelé trois principes : la loi doit confier des compétences exclusives à chaque niveau de collectivité ; dès lors, ces compétences ne pourront être exercées par d'autres ; en cas de compétence partagée, les collectivités entre elles désigeront un chef de file. De toute façon, a rappelé le ministre, ce point pourra continuer à être approfondi puisque le projet de loi à venir pour octobre renverra à un second texte, prévoyant juste que le chantier "devra aboutir dans un délai de deux ans". Cette réforme se fera donc bien, a-t-il résumé, "en deux temps" : le "volet institutionnel", puis celui sur les compétences.
Fiscalité locale : "Ce sera au Parlement de décider"
Comme l'avaient déjà laissé entendre Christine Lagarde et Alain Marleix la semaine dernière devant les commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale (voir ci-contre notre article du 14 septembre 2009), l'autre réforme imminente, celle de la taxe professionnelle, est encore au stade du "work in progress". Sur la base du principe d'une "compensation globale et individuelle des collectivités", "c'est au Parlement qu'il reviendra de fixer les modalités de cette compensation pour chaque niveau de collectivité", a déclaré Brice Hortefeux. Et celui-ci de préciser : "L'hypothèse technique présentée cet été par les services de Bercy n'est bien qu'une hypothèse technique, et non un choix politique. C'est le point d'entrée des débats, ce n'est pas le point de sortie."
Les "ajustements" à discuter - au-delà, donc, de ce qui sera inscrit dès mercredi prochain dans le projet de loi de finances pour 2010 tel qu'il sera présenté en Conseil des ministres - devront notamment porter sur la future cotisation complémentaire assise sur la valeur ajoutée dont une part est destinée aux départements. Conscient que le fait que le taux de cette cotisation soit fixé au niveau national pose un sérieux problème aux départements soucieux de leur autonomie fiscale, Brice Hortefeux a lui aussi évoqué l'une des pistes du moment : accorder plus d'impôts ménages aux départements et accorder en retour une part de cotisation complémentaire aux communes et aux EPCI, tel que le demandent d'ailleurs les maires et élus intercommunaux (voir ci-contre notre article du 15 septembre 2009). "Ce sera au Parlement de décider, de trouver des chemins", a-t-il insisté.
Le ministre a, enfin, souligné que 2010 sera "une année neutre" pour les collectivités, avec une "garantie de stabilité", seules les entreprises basculant dans le "nouveau régime". Les départements percevraient en 2010 une "compensation relais" égale soit au produit de la TP perçue en 2009, soit au produit des bases de TP de 2010 multipliées par le taux de 2008. Cette année de transition était bien prévue de longue date. Brice Hortefeux l'a toutefois présentée comme un signe d'"écoute" vis-à vis-des collectivités et de leurs difficultés financières actuelles. Notamment vis-à-vis des départements dont la situation, a-t-il admis, est "très tendue" du fait d'un effet de ciseaux entre hausse des dépenses sociales et baisse des droits de mutation.
Cette baisse des droits de mutation, avait souligné Claudy Lebreton, a été de 20% en deux ans, soit un manque à gagner de 1,5 milliard d'euros par rapport à 2007. Pour le président de l'ADF comme pour bien d'autres élus n'ayant pas hésité à se manifester dans la salle durant l'allocution ministérielle, le volet fiscalité locale du projet de loi de finances ne règle rien. Notamment pas la question de la péréquation et de ses critères. Il aggrave, même, l'effet de ciseaux.
Claire Mallet, à Clermont-Ferrand
KPMG : la réforme territoriale générera des surcoûts
Quels seraient les impacts financiers réels de la réforme des collectivités ? L'Assemblée des départements de France (ADF), qui remet en partie en question les économies supposées de cette réforme, a commandé au cabinet KPMG une nouvelle étude sur la question. Réalisée en partenariat avec le groupe Caisse d'épargne, cette étude, présentée ce 22 septembre au congrès de l'ADF, vient assez largement corroborer le postulat des élus départementaux : que ce soit par le rapprochement entre départements et régions ou par le transfert de compétences départementales aux futures "métropoles", la réforme ne devrait pas générer d'économies substantielles. Pour nombre de compétences, elle conduirait même au contraire à une augmentation des dépenses, par des effets d'"alignement par le haut". Basée sur l'analyse de deux régions tests (Bretagne et Haute-Normandie), l'étude confirme ainsi les hypothèses esquissées dans une première étude réalisée au printemps dernier.
Passant en revue, dans ces deux régions, les grandes compétences régionales et départementales, le document de travail de KPMG permet finalement d'identifier, pour simplifier, trois ou quatre cas de figure. Il y a tout d'abord les compétences qui ne connaissent qu'un très faible chevauchement ou croisement entre région, département et "métropole" (couple EPCI-commune) : action sociale (quasi-exclusivité du département, sauf pour la constitution des dossiers d'aide sociale par l'échelon communal ou intercommunal), éducation (malgré les apparences, la ligne de démarcation entre département et région est nette, avec les collèges pour l'un et les lycées pour l'autre), transports (faible taux de financements croisés, sauf peut-être au niveau des transports scolaires), voirie. Il y a, ensuite, les compétences sur lesquelles tous les niveaux de collectivités interviennent, générant d'importantes interférences : culture, tourisme, jeunesse et sport. Dans ces domaines, le plus souvent, relève l'étude, la majorité des dépenses de fonctionnement et d'investissement de la région "sont affectées à une dépense infrarégionale". De même, les dépenses du département "sont affectées à des versements au profit des EPCI et communes". Mais, selon KPMG, ces compétences représentent en réalité une part trop faible des budgets pour justifier un gros chantier de clarification. Pour d'autres compétences en revanche, les effets de croisements sont importants et mériteraient en partie un travail de rationalisation, en tout cas en termes de gestion, étant donné leur poids financier : logement, environnement, économie et développement. Enfin, quatrième cas : celui des compétences pour lesquelles le fonctionnement est bien unifié au niveau d'un échelon mais l'investissement donne lieu à des interventions croisées parfois problématiques : formation, enseignement supérieur et recherche (fonctionnement régional), ports et aéroports (fonctionnement avant tout départemental).
Pour chacune de ces compétences, l'étude évalue le gain ou le coût qui pourrait résulter d'une "régionalisation". Le postulat de KPMG reste toutefois contestable ou du moins limité dans la mesure où le cabinet se contente de considérer que le transfert à l'échelle régionale d'une compétence jusqu'ici départementale consisterait à homogénéiser - à "aligner", soit vers le haut, soit vers le bas - les dépenses actuelles des différents départements.
C.M.