Commande publique - Un pas supplémentaire vers la dématérialisation
La dématérialisation des marchés publics a franchi, le 1er janvier 2010, une nouvelle étape rendant celle-ci un peu plus inéluctable. Les acheteurs publics ont, en effet, depuis cette date, la possibilité d'exiger des entreprises qu'elles transmettent sous forme électronique leurs candidatures et leurs offres pour les marchés d'un montant supérieur à 90.000 euros HT. 150.000 procédures seraient concernées. Dans le secteur informatique, celui qui est le plus préparé au changement que représentent les procédures électroniques, les choses vont un peu plus vite, puisque les entreprises ont obligation de répondre de manière dématérialisée, là encore pour les marchés d'un montant supérieur à 90.000 euros HT, et ce quoi qu'en dise l'entité adjudicatrice. "Nous sommes à un tournant", conclut Christophe Alviset, animateur de l'atelier dématérialisation de l'Observatoire économique de l'achat public (OEAP). Objectif de la double mesure, prévue par un décret paru le 18 décembre 2008 : booster la dématérialisation, qui peine franchement à décoller, puisqu'elle ne concerne que 2% à 3% des réponses qui parviennent aux entités adjudicatrices, pour leurs marchés formalisés. En novembre 2005, la Commission européenne avait fixé un objectif de 50%... dont on est, donc, très loin.
Imposer aux entreprises de répondre par la voie numérique, des administrations l'ont déjà fait, à titre expérimental, pour les procédures formalisées. Une petite dizaine, en tout et pour tout, qui ont utilisé les possibilités offertes par un arrêté du 18 avril 2007. Ces pionniers, au rang desquels figure notamment le conseil général de la Moselle, "ont obtenu des réponses à leurs appels d'offres", ce qui prouve bien que le passage au tout-électronique "est possible", assure le responsable de l'OEAP. Il conclut : "Quand il existe une contrainte, les entreprises arrivent à s'organiser pour y répondre."
"Faire évoluer le système de réponse"
La technique ne présenterait "pas d'obstacle majeur". Pour être prêt, il ne faut "guère plus" qu'un certificat électronique, qui authentifie l'identité de la personne signataire et garantit l'intégrité des documents échangés. La nécessité d'une signature électronique ne soulèverait pas non plus de difficultés, si ce n'est peut-être dans les entreprises de taille importante confrontées, du coup, à "des questions d'organisation". Du point de vue technique, les collectivités, elles aussi, seraient prêtes, la majorité étant équipée depuis 2005 d'une plateforme de dématérialisation.
Toujours du côté technique, cependant, bien des progrès restent à accomplir, estime Michel Langlais, responsable du pôle dématérialisation au syndicat informatique de Charente-Maritime. "On n'est pas allé au bout de la démarche", critique-t-il. Lorsqu'elles répondent électroniquement aux appels d'offres, les entreprises se contenteraient de créer des PDF à partir du papier. Du coup, les administrations à qui elles les transmettent - comme les entreprises elles-mêmes, d'ailleurs - ne peuvent tirer entièrement profit des atouts de l'informatique. "Il faut faire évoluer le système de réponse, afin que l'information soit plus structurée et directement exploitable", plaide Michel Langlais, qui donne en exemple la déclaration en ligne des revenus des particuliers ou la dématérialisation en cours de l'état civil.
Au point, la technique ? "Perfectible", répond Alain Drévillon, directeur des affaires juridiques au conseil général du Maine-et-Loire. Une remarque appuyée sur un constat : lors des commissions d'appels d'offres, qui sont des moments sensibles dans les procédures de marchés, les délais nécessaires à l'ouverture des plis dématérialisés peuvent être beaucoup plus longs que pour l'ouverture de plis papier. En cause : les documents très lourds, tels que les plans, qui nécessitent des temps de téléchargement importants. Des durées un peu contrariantes pour des élus dont le temps est compté, pour cause d'agenda. Conclusion du fonctionnaire : "Vis-à-vis des élus, on ne peut pas se permettre de perdre en qualité de service sous prétexte d'aller de l'avant."
Petits pas
De fait, les collectivités devraient aborder en général avec une extrême prudence les dispositions du code qui viennent d'entrer en vigueur. A l'image du Maine-et-Loire qui compte, en 2010, imposer l'offre par voie électronique pour quelques achats très ciblés, dans les services, secteur mieux préparé que les autres à la dématérialisation. L'état d'esprit est le même au conseil général des Alpes-Maritimes, où pour tous les marchés "urgents et stratégiques", le papier subsistera. Imposer aux entreprises de répondre électroniquement accroît le "risque de marché infructueux" et, du coup, peut "allonger les délais", fait remarquer Arnaud Richard, sous-directeur de la commande publique.
Certes, très progressivement, les collectivités locales monteront en charge. Les plus grandes d'entre elles, en particulier, veulent s'investir, comme l'a montré une étude de l'Ifop pour la direction des Journaux officiels, dévoilée en septembre 2008. Leurs motivations : bénéficier des économies qui sont à la clé et, souvent aussi, anticiper sur les échéances à venir : le 1er janvier 2012, pour tous les marchés d'un montant supérieur à 90.000 euros HT, elles ne pourront refuser les documents requis des candidats qui seront transmis par voie électronique.
Il reste, par conséquent, deux ans aux collectivités pour s'y préparer. Si rien ne change techniquement, les nouvelles obligations constitueront assurément "un frein à la commande publique", s'inquiète Michel Langlais. Des initiatives prises ici et là permettent toutefois d'envisager l'avenir avec plus d'optimisme. Comme l'expérimentation dans certaines grandes collectivités - le conseil général de l'Aube par exemple - de formats de réponses normalisés évitant toute utilisation du papier.
En tout cas, les collectivités auront bien moins de difficultés avec l'obligation qui leur est faite, depuis ce 1er janvier, de publier sur leur plateforme d'achat l'avis d'appel public à la concurrence et les documents de la consultation. La lecture sur internet des annonces de marchés et le téléchargement des dossiers de consultation sont rapidement entrés dans les mœurs, aussi bien du côté des entreprises que de celui des acheteurs. L'objectif fixé par l'Europe de parvenir à 100% de dossiers de consultation mis en ligne devrait être atteint sans trop de problèmes.
Thomas Beurey / Projets publics
Références : décret 2008-1334 du 17 décembre 2008 modifiant diverses dispositions régissant les marchés soumis au code des marchés publics et aux décrets pris pour l'application de l'ordonnance 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics ; arrêté du 14 décembre 2009 relatif à la dématérialisation des procédures de passation des marchés publics.