Stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale : un premier essai

L’État vient de dévoiler sa première "stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale" (Spafte). Un document qui relève pour l’heure davantage de l’inventaire, partiel qui plus est, tant les inconnues sont nombreuses. Une chose paraît en revanche certaine : l’engagement renforcé des collectivités en faveur des investissements verts devra aller de pair avec leur "participation aux efforts de maîtrise du solde public".

Stratégie. "Art de coordonner des actions, de manœuvrer habilement pour atteindre un but", enseigne le Larousse. D’aucuns relèveront que la première "stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale" (Spafte), prévue par l’article L.100-1 A du code de l’énergie et dévoilée ce 21 octobre, peine à répondre à la définition. Le document, qui s'ouvre sur un éditorial d'Antoine Armand, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, et de Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, sans associer la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, relève surtout de la tentative d’inventaire, partiel qui plus est, tant les inconnues restent nombreuses dans l’équation. "La contribution de chaque catégorie au financement de la transition écologique et la répartition de l’effort de financement de la transition restent insuffisamment documentées à ce stade", reconnaît le rapport. 

Certes, on y apprend notamment que "les investissements bas-carbone devront avoir augmenté de 110 milliards d’euros par an en 2030 par rapport à 2021", ce qui "nécessite une réorientation massive des flux d’investissements vers les postes de décarbonation". Une réorientation qui doit être permise par "l’intervention publique", "à travers la mobilisation d’un panel d’outils de politiques publiques cohérents et complémentaires" (réglementation, mécanismes de financement spécifiques comme les certificats d'économies d'énergie, etc.) "tout en garantissant la soutenabilité des finances publiques". Mais le chemin n’est guère balisé. Tout juste conjecture-t-on que "si le secteur privé alignait sa part d’investissements bas-carbone à horizon 2027 sur celle du secteur public en 2022, et que le secteur public poursuivait la hausse tendancielle de sa propre part, alors les investissements bas-carbone pourraient progresser de 63 milliards d’euros entre 2022 et 2027". Une approche qui "mérite d’être enrichie", est-il observé. 

Le grand flou

Les dépenses des collectivités territoriales "à destination verte" n’échappent pas à ce flou. Le document indique qu’elles sont "estimées de manière préliminaire à environ 7 à 8 milliards d’euros en 2022" par une analyse interne et confidentielle de la direction du budget d’une part, et par une analyse d’I4CE d’autre part (voir notre article du 13 septembre), soit "environ 14% des dépenses d’investissement totales des collectivités". On n’en apprendra pas davantage. "Il n’existe (…) pas d’estimation exhaustive des financements des collectivités dédiés à la décarbonation", est-il souligné. S’il est relevé que des démarches volontaires d’évaluation environnementale de leurs dépenses ont bien été lancées par une centaine de collectivités depuis 2019, "une forte hétérogénéité concernant la mesure des investissements verts" est déplorée. Tout juste estime-t-on que les investissements favorables au climat des collectivité "concernent principalement la rénovation des bâtiments, les aménagements cyclables, les transports en commun, la gestion des déchets et l’amélioration de l’environnement (dépenses de renaturation, plantation d’arbres)". La mise en place progressive des "budgets verts" – introduits par la loi de finances pour 2024 pour les collectivités et groupements de plus de 3.500 habitants et dont les modalités d’élaboration ont été précisées par décret l’été dernier (voir notre article du 18 juillet) – "permettra d’améliorer l’information disponible", positive-t-on.

Une augmentation des investissements verts "tout en maîtrisant les dépenses"

Côté projection, on ne se fait guère plus précis : "D’ici 2030, les dépenses des collectivités consacrées à la transition écologique devraient augmenter tendanciellement, notamment grâce à la réorientation des dépenses non-vertes et un accroissement de la prise en compte des enjeux environnementaux". En revanche, une chose paraît certaine : réduction de la dette écologique et de la dette budgétaire devront aller de pair. "Les collectivités territoriales, qui s’administrent librement, devront augmenter leur part d’investissements verts tout en maîtrisant leurs dépenses", prévient le rapport. "Cet engagement renforcé en faveur des investissements verts n’est pas incompatible avec la participation des collectivités territoriales aux efforts de maîtrise du solde public", est-il encore martelé. Et histoire de définitivement bien se faire comprendre, il est encore précisé que "ceci implique notamment de modérer la croissance des dépenses de fonctionnement, en cohérence avec les recommandations de la Cour des comptes (voir notre article du 2 octobre), pour dégager des marges de manœuvre financières pour les investissements".

L’adaptation, cette autre inconnue

Le document insiste par ailleurs sur le fait que "les enjeux du financement de la transition écologique ne se limitent pas aux seuls investissements bas carbone", mais "couvrent l’ensemble des dimensions environnementales" (gestion de la ressource en eau, préservation de la biodiversité, etc.). Parmi elles, figure l’adaptation au changement climatique. Mais là encore, "les travaux actuels ne permettent pas de conclure précisément sur les besoins réels d’investissements supplémentaires", est-il observé. Ces derniers "restent à préciser au niveau national". Un exercice "relativement nouveau, qui pose des difficultés méthodologiques importantes", est-il encore relevé. Au printemps dernier, la Cour des comptes avait déjà déploré que "l’État ne joue pas correctement son rôle de stratège, qui consiste notamment à fixer des objectifs et à définir une trajectoire pour les atteindre", en dressant le constat d’un "kaléidoscope de réponses (…) pas articulées" (voir notre article du 12 mars). 

Des dispositifs de soutien 

Dans le rapport, l’exécutif assure toutefois que "les modalités de soutien financier à la transition écologique des collectivités seront progressivement rapprochées, pour simplifier les démarches des collectivités tout en s’assurant de la qualité environnementale des projets soutenus". Pour verdir leurs investissements, il est pour l’heure noté que les collectivités peuvent bénéficier de plusieurs dispositifs de soutien de l’État "fléchés vers la transition écologique". Sont mis en exergue le fonds vert – avec "un montant en crédits de paiement de 1,1 milliard d’euros dans le projet de loi de finances 2025, 1 milliard d’euros en 2026 et 645 millions d’euros en 2027" – et le "verdissement des transferts financiers de l’État" : la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) exceptionnelle, ainsi que des quotes-parts de la DSIL de droit commun, de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID). 

Et il est rappelé que d’autres sources de financement existent, comme ceux provenant de l’Union européenne et du groupe Caisse des Dépôts, l’action de ce dernier étant particulièrement saluée : "Avec près de 80 milliards d’euros mobilisés en prêts et en investissements en faveur de la transition écologique sur 2020-2023, l’objectif de 60 milliards d’euros sur 2020-2024 [que s’était fixé le groupe] a été dépassé de près de 20 milliards d’euros avec un an d’avance. Du fait de cette dynamique positive, le groupe CDC a défini en 2023 une nouvelle cible de 100 milliards d’euros sur les cinq prochaines années (2024-2028)." De nouveaux financements qui "devraient être dédiés à des projets de rénovation thermique des bâtiments, de déploiement des énergies renouvelables, à la création de mobilités douces avec le développement des transports en commun, à la construction de bornes de recharge et de véhicules bas-carbone ou encore à l’adaptation au changement climatique, à la gestion de l’eau et à la renaturation des friches".

Et maintenant la loi ?

In fine, rappelons que l’article L.100-1 A du code de l’énergie précédemment évoqué pour justifier la publication de cette stratégie dispose également qu’"avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique". Une loi qui fait à ce jour toujours défaut (voir notre article), poussant le Sénat à s’en saisir (voir notre article du 17 octobre).

 

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