Michel Barnier attendu de pied ferme sur les dossiers environnementaux et énergétiques
La nomination ce 5 septembre de Michel Barnier comme Premier ministre devra être l'occasion de replacer "l'écologie au coeur de l'action gouvernementale" et de rouvrir des "dossiers urgents" comme le plan d'adaptation au changement climatique ou la stratégie bas carbone, selon des ONG environnementales. Avec le futur titulaire du portefeuille de la Transition écologique ou de l'Energie, le nouveau chef de gouvernement aura aussi à se positionner sur la politique énergétique. Dans un avis adopté ce 4 septembre, la Commission nationale du débat public a rappelé l'Etat à ses obligations en la matière.
Le passé d'ancien ministre de l'environnement de Michel Barnier, de 1993 à 1995, plaide en sa faveur mais suscite aussi beaucoup d'attentes de la part des ONG environnementales qui ont été promptes à réagir à l'annonce de sa nomination à Matignon.
Il "doit tourner la page des errements du gouvernement Attal, marqué par un affaiblissement des engagements en matière d'environnement", a réagi Générations Futures dans un communiqué, appelant à un "changement radical de cap, en mettant en avant l’urgence d’une politique plus ambitieuse et responsable en matière de santé environnementale". "Depuis la dissolution de l'Assemblée nationale" et malgré l'urgence à agir face au changement climatique et à la perte de biodiversité, "l'écologie a été la grande absente" des débats, regrette Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France.
L'épineuse question des choix budgétaires
Plusieurs textes sont en attente, comme le plan national d'adaptation au changement climatique. Par ailleurs, des lettres plafonds destinées à préparer le budget pour 2025, dont certains médias avaient eu connaissance, ont fait état de coupes. "De manière urgente, une première bonne décision serait d'annuler les baisses de crédits du fonds vert et de l'Ademe, découvertes dans les derniers documents budgétaires du gouvernement démissionnaire", estime Sébastien Treyer, directeur exécutif de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Et pour les autres "chantiers prioritaires", Benoît Leguet, directeur de l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE), estime qu'il faudra aussi y inclure "la construction et la présentation d'un projet de loi de finances compatible avec la poursuite de la planification écologique" et "l'élaboration et la présentation au Parlement d'une stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique".
Impressions contrastées
Greenpeace salue chez Michel Barnier "un intérêt sincère (...) pour les problématiques environnementales et un bilan concret sur ces sujets (loi Barnier inscrivant le principe du pollueur payeur dans la loi (...) mise en place du fonds d'aides aux collectivités pour faire face aux catastrophes naturelles)". Générations Futures rappelle qu'en tant que ministre de l'Agriculture (2007-2009), il "a su résister aux pressions, notamment celles de la FNSEA, durant les négociations du Grenelle" consacré entre autres aux pesticides, ouvrant la voie aux ONG dans les discussions. "Je trouve qu'il a eu à la fois du courage, de l'autorité et un sens de l'intérêt général", note auprès de l'AFP Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).
Néanmoins, plusieurs experts expriment leurs doutes quant à sa volonté d'agir. "Avec Michel Barnier comme Premier ministre, les espoirs de mettre la justice sociale et environnementale en haut du calendrier politique sont bien minces", juge ainsi Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. "Michel Barnier ne s'est pas illustré ces dernières années en ardent défenseur de l'écologie et il est à craindre qu'il ne fasse pas de la transition écologique une priorité", estime Morgane Créach, directrice du Réseau Action Climat.
Toutefois "l'expérience de Michel Barnier en Europe montre qu'il sait construire des compromis", ce qui pourrait lui servir pour "cimenter une majorité" autour de la "réindustrialisation verte" de la France et "accroître l'investissement dans la transition" écologique, déclare Neil Makaroff, directeur du centre de réflexion européen Strategic Perspectives. En tant que "spécialiste du compromis et des situations inextricables", il pourrait être "un choix pertinent pour tracer un chemin à travers le chaos politique", estime Manon Dufour, directrice UE du think-tank E3G.
Energie : l'heure des choix
En termes de politique énergétique, le nouveau chef du gouvernement hérite aussi de lourds dossiers en attente, à savoir la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas carbone (SNBC), qui ont connu bien des vicissitudes du fait des incertitudes politiques. Alors que le gouvernement d'Elisabeth Borne aurait dû présenter un "projet de loi de souveraineté énergétique", celui de Gabriel Attal y a renoncé, faute de pouvoir réunir une majorité parlementaire sur le texte, selon lui. C'est donc la voie réglementaire, après consultation du public, qui avait été choisie pour publier la PPE et la SNBC pour la période 2024-2033. Mais avec l'enchaînement des élections européennes puis des législatives anticipées, suivies de la démission du gouvernement, la consultation du public ne s'est jamais tenue et les textes sont restés dans les tiroirs. Une attente interminable qui a conduit – fait inhabituel – la commission nationale du débat public (CNDP) à rappeler l'Etat à ses obligations.
La CNDP dans l'attente de réponses "précises et complètes"
Dans un avis adopté la veille de la nomination de Michel Barnier et signé de son président, Marc Papinutti, la commission demande à l'Etat d'apporter des réponses "précises et complètes" à plusieurs questions laissées en suspens depuis le dernier débat public, début 2023, portant sur le programme de nouveau nucléaire et la construction d'une paire de réacteurs EP2 à Penly (Seine-Maritime). Ces questions concernent le "cadre général de la politique énergétique à venir" dans laquelle devrait s'insérer le programme nouveau nucléaire, "l'économie générale" du projet EPR 2 Penly, les "éléments relatifs à la maîtrise des risques de dérives des coûts d'investissement et de fonctionnement, via notamment les retours d'expérience des EPR actuels", et ceux concernant les combustibles et matières et déchets radioactifs, "au regard de l'autonomie énergétique et de la maîtrise des installations futures de gestion des combustibles usés et des déchets", ainsi que "les risques liés au dérèglement climatique et aux épisodes caniculaires de forte intensité".
Le président de la CNDP émet le souhait que "les débats publics à venir sur l’opportunité des projets de nouveaux réacteurs EPR2 à Gravelines et au Bugey et la concertation relative à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3) et à la stratégie nationale bas carbone (SNBC3) soient l’occasion de présenter ces réponses dès leur ouverture. Ces réponses sont indispensables à la concertation continue de Penly". A l’occasion de ces débats, la maîtrise d’ouvrage et l’État devront aussi"[présenter] clairement l’enchaînement des textes législatifs, réglementaires nécessaires pour mettre en œuvre le programme nouveau nucléaire", "[clarifier] les étapes du processus décisionnel" et en "[présenter] les détails", souligne l'avis.