La programmation énergétique et climatique sortie de l'avant-projet de loi en cours de consultation
Le gouvernement a décidé d'amputer l'avant-projet de loi sur la "souveraineté énergétique" de tout objectif en matière de climat et de choix des énergies, assurant vouloir "prendre davantage de temps" pour la discussion au moment où Bruno Le Maire se saisit du portefeuille Energie.
A peine mis en consultation auprès des parties prenantes début janvier, l'avant-projet de loi sur la "souveraineté énergétique" de la France se trouve amputé de tout objectif en matière de climat et de choix des énergies, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, assurant vouloir "prendre davantage de temps" pour la discussion au moment où il se saisit du portefeuille Energie. En plein travail sur le texte, les représentants des élus, ONG, syndicats, patronat... ont été informés ce 17 janvier de ces bouleversements, qui ont suscité l'incompréhension et la consternation des associations environnementales mais aussi de la commission des affaires économiques du Sénat.
Désormais le projet, censé fixer le cap de la France pour sortir des énergies fossiles, est privé de son titre Ier consacré à la programmation énergétique. Ce dernier devait déterminer les quantités respectives d'énergies renouvelables ou nucléaire dans la France de 2030 et de 2035 et les objectifs de réduction de consommation énergétique. Restent dans le texte les volets régulation des prix, protection des consommateurs et régime des barrages hydroélectriques.
"Trouver de nouveaux consensus"
"Nous avons décidé de reporter l'inscription de ce volet programmatique dans la loi. Ce temps devrait nous permettre de finaliser le travail de consultation sur notre stratégie pour l'énergie et le climat et de publier prochainement les grandes orientations de notre stratégie nationale bas carbone", a expliqué le ministère de l'Economie, soulignant l'intention du ministre de rencontrer tous les acteurs et de "trouver de nouveaux consensus". Bercy n'a pas précisé si ce volet programmatique figurerait dans un autre projet de loi ou relèverait de la voie réglementaire.
Le sujet a fait l'objet depuis mai 2023 de réunions de groupes de travail multipartites sous l'égide du précédent ministère de la Transition énergétique. Puis est arrivé l'avant-projet de loi début janvier dont la version désormais allégée doit être présentée d'ici début février en conseil des ministres.
Inquiétude des acteurs des énergies renouvelables
Le texte original avait déjà fait bondir nombre d'acteurs de l'énergie du fait de l'absence d'objectifs chiffrés pour les énergies renouvelables électriques (solaire, éolien), jusqu'ici actés dans la loi. En revanche, il fixait des objectifs précis pour l'énergie nucléaire, une priorité pour le président Emmanuel Macron et pour Bruno Le Maire, chargé de l'Energie depuis le remaniement du 11 janvier. Le rattachement de l'Energie à Bercy avait d'ailleurs inquiété le secteur des renouvelables.
"Le gouvernement a-t-il honte des énergies renouvelables ?", avait demandé le Syndicat des énergies renouvelables (SER). Dans un contexte de majorité relative au Parlement, "si le gouvernement cherche légitimement à former une majorité autour de son texte, cela ne peut pas se faire au détriment des données objectives", avait souligné son président Jules Nyssen.
Le texte fixait aussi de nouveaux objectifs de réduction des gaz à effet de serre et d'économies d'énergies, sous des termes cependant moins engageants qu'aujourd'hui (avec une formulation engageant à "tendre vers" ces objectifs). Plus rien de tout cela ne figure dans cette "saisine rectificative au projet de loi", désormais frappé de l'en-tête du ministère de l'Economie.
ONG "catastrophées"
"Les ONG sont catastrophées par ce premier effet concret du transfert du ministère de la Transition énergétique à Bercy", a réagi Anne Bringault, du Réseau Action Climat (RAC), membre du Conseil national de la transition écologique (CNTE), consulté obligatoirement pour ce type de projets. Cette décision "laisse craindre une disparition pure et simple du débat parlementaire sur le cap proposé par le gouvernement pour la transition écologique", ont réagi diverses organisations (RAC, FNE, WWF, CFDT, LPO, Humanité et Biodiversité). Sandrine Bélier, pour Humanité et Biodiversité, autre membre du CNTE, dénonce "le manque d'explication et le manque de respect pour le travail déjà engagé". "Nous demandons à être reçus par le Premier ministre, pour connaître ses engagements sur l'accélération de la transition écologique et énergétique."
Quelle place pour le Parlement dans le débat ?
"La suppression du volet programmatique du projet de loi sur la souveraineté énergétique suscite les plus grandes inquiétudes quant à l’implication du Parlement et des citoyens dans le débat crucial de la transition énergétique", a réagi dans un communiqué la Commission des affaires économiques du Sénat. "La loi 'Énergie-Climat' de 2019 soulignait l’importance de fixer des objectifs énergétiques à travers une loi quinquennale, essentiels pour guider le gouvernement dans la rédaction de la Programmation Pluriannuelle de l'Énergie (PPE), rappelle-t-elle. Cette démarche visait à mettre le Parlement au cœur des discussions sur la transition énergétique, en privilégiant une approche politique plutôt qu’exclusivement technique."
Le retrait de la définition des objectifs énergétiques du prochain texte "remet en question la capacité du Parlement à débattre de questions stratégiques pour notre souveraineté et notre transition énergétiques. Cette situation est inacceptable", juge la commission sénatoriale, qui appelle "le gouvernement à réintégrer un volet programmatique substantiel dans ce projet de loi".
Interpellé à l'Assemblée par la députée écologiste Julie Laernoes, Bruno Le Maire a en tout cas assuré ce 17 janvier que sa priorité était bien d'accélérer "la transition climatique", citant "la sobriété", "l'efficacité énergétique", les "renouvelables, l'éolien, les panneaux photovoltaïques, la géothermie, les pompes à chaleur" et "la réalisation des six nouveaux réacteurs nucléaires".