Michel Barnier fait son entrée à Matignon

Sa nomination est donc intervenue 51 jours après la démission du gouvernement Attal. Son nom n'avait jusqu'ici guère été évoqué pour Matignon. C'est à l'ancien élu gaulliste, ministre et commissaire européen Michel Barnier que va revenir la tâche de former un gouvernement susceptible de survivre à une censure parlementaire immédiate. Sa nomination a suscité une vaste réprobation à gauche. Lors de la passation de pouvoir, Michel Barnier a dit peu de choses sur ses intentions, indiquant vouloir à la fois poursuivre les réformes en suspens et insuffler des "changements". Parmi les sujets cités : services publics, école, sécurité, immigration, travail, dette. Les associations d'élus locaux disent espérer un "dialogue renouvelé" entre l'Etat et les collectivités.

Emmanuel Macron a nommé ce jeudi 5 septembre l'ancien ministre et commissaire européen Michel Barnier Premier ministre, pas moins de 60 jours après le second tour des législatives ayant débouché sur une Assemblée nationale sans majorité. A 73 ans, Michel Barnier, issu des Républicains (LR), devient le plus vieux Premier ministre de la Ve République, succédant ainsi au plus jeune, Gabriel Attal, 35 ans, qui avait été nommé en janvier seulement et était démissionnaire depuis 51 jours.

Le nouveau Premier ministre, qui sera soutenu par le camp présidentiel et les LR, mais sans majorité, va devoir tenter de former un gouvernement susceptible de survivre à une censure parlementaire. Le président "l'a chargé de constituer un gouvernement de rassemblement au service du pays et des Français", a déclaré l'Elysée dans un bref communiqué. Emmanuel Macron "s'est assuré que le Premier ministre et le gouvernement à venir réuniraient les conditions pour être les plus stables possibles et se donner les chances de rassembler le plus largement", a ajouté la présidence. En attendant, les ministres démissionnaires vont rester en fonctions pour continuer de gérer les affaires courantes le temps des négociations.

Avant d'opter pour Michel Barnier, le chef de l'Etat, qui voulait éviter au maximum le risque de censure immédiate, avait épuisé plusieurs autres cartouches, de Bernard Cazeneuve à gauche à Xavier Bertrand à droite, en passant par le président du Conseil économique, social et environnemental Thierry Beaudet pour la société civile. La veille, le nom de David Lisnard, le président LR de l'Association des maires de France, avait également circulé.

Le nouveau Premier ministre, qui fut aussi candidat malheureux à la primaire du parti Les Républicains en vue de la présidentielle de 2022, hérite d'une tâche aux allures de mission impossible, tant aucune coalition viable n'a jusqu'ici émergé et tant les différents acteurs sont en embuscade. Il devrait réunir 235 sièges avec le bloc central (166 sièges), les LR (47) et le groupe Liot (Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires, 22), loin de la majorité absolue (289), seul paratonnerre contre la censure. En face, le RN et ses alliés alignent 142 sièges et le Nouveau front populaire (NFP) 193 sièges.

Négociateur en chef

Vieux routier de la politique, Michel Barnier est réputé bon médiateur, ayant notamment été le négociateur en chef de l'Union européenne pour le Brexit lorsque le Royaume-Uni a quitté le bloc continental.

Né en 1951, Michel Barnier, qui a été successivement membre de tous les partis gaullistes, de l’UDR aux LR, a été élu conseiller général de Savoie en 1973 et a présidé le conseil général de 1982 à 1999. Il a été député de Savoie de 1978 à 1993. Il devient ministre pour la première fois en 1993, lors de la deuxième période de cohabitation sous François Mitterrand, en tant que ministre de l’Environnement. Il fait notamment voter ce qui deviendra la "loi Barnier", qui consacre pour la première fois le principe de précaution dans le code rural. Après l’arrivée à l’Élysée de Jacques Chirac, il devient ministre délégué aux Affaires européennes (1995-1997) avant d’être élu sénateur de Savoie jusqu’en 1999. Il a par ailleurs présidé l’Association française du conseil des communes et régions d’Europe (AFCCRE) jusqu’en 1999.

C’est alors qu’il connaît sa première expérience à Bruxelles, comme commissaire européen chargé de la politique régionale et ad personam des réformes institutionnelles, poste qu’il quitte pour retourner à Paris comme ministre des Affaires étrangères (2004-2006), puis ministre de l’Agriculture et de la Pêche (2007-2009). Il quitte à nouveau la capitale française pour une courte expérience de député européen (2009-2010) puis pour occuper à nouveau un poste de commissaire (puis de vice-président), doté d’un portefeuille central dans les institutions européennes, celui du marché intérieur et des services. En 2015, il est nommé conseiller spécial de Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission européenne, pour la politique de défense et de sécurité européenne.

Plus récemment, lorsqu'il lorgnait l'Elysée, ce gaulliste centriste avait plutôt droitisé son discours et notamment durci celui sur l'immigration, prônant pour un "moratoire" et allant, lui l'Européen convaincu, jusqu'à remettre en cause la Cour européenne de justice au nom de la "souveraineté juridique".

"Crise de régime" ?

A gauche, où l'on promet déjà la censure, le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon a aussitôt dénoncé une "élection volée aux Français", assurant que Michel Barnier avait été nommé "avec la permission et peut être sur la suggestion du Rassemblement national" et appelant à la "mobilisation la plus puissante que possible" samedi lors d'une manifestation anti-Macron. Le RN a "donné une forme de quitus" à la nomination de Barnier, a dans la même veine grincé François Hollande. Le patron des socialistes Olivier Faure a crié à "la crise de régime" et au "déni démocratique porté à son apogée" avec "un Premier ministre issu du parti qui est arrivé en 4e position et qui n'a même pas participé au front républicain".

Le RN, qui peut à tout moment faire tomber le futur gouvernement avec le NFP, est resté pour sa part plus circonspect. Il "jugera sur pièces son discours de politique générale", a déclaré le président du parti, Jordan Bardella. Le dirigeant LR Laurent Wauquiez – qui venait tout juste de passer le flambeau à la tête de la région Auvergne Rhône Alpes, (voir notre article) - a jugé pour sa part que Michel Barnier avait "tous les atouts pour réussir dans cette difficile mission qui lui est confiée".

Renaissance, le parti d'Emmanuel Macron, a promis de porter "des exigences sur le fond, sans chèque en blanc" mais ne votera pas de "censure automatique". Edouard Philippe (Horizons), candidat déclaré depuis la veille à la présidentielle de 2027, a assuré de son côté : "nous serons nombreux à l'aider".

La présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, a demandé jeudi au président de la République la convocation d'une session extraordinaire du Parlement, soulignant que le Premier ministre doit "pouvoir se présenter devant la représentation nationale pour exposer ses priorités et participer à des séances de questions". L'Assemblée doit "également reprendre des travaux qui ont été interrompus par la dissolution et qui répondent à des préoccupations exprimées par les Français lors des dernières élections législatives, en matière de sécurité, de pouvoir d'achat, de santé, de logement, de protection de la jeunesse ou des populations les plus fragiles", écrit-elle dans un courrier à Emmanuel Macron. Le Rassemblement national, le PCF et les écologistes avaient déjà demandé la semaine dernière la tenue d'une session extraordinaire. Pour siéger en session extraordinaire, le Parlement doit être convoqué par le chef de l'Etat.

"Des changements et des ruptures"

Le nouveau Premier ministre va en tout cas devoir s'attaquer sans délai à plusieurs urgences… à commencer par le projet de loi de finances. Le gouvernement en effet n'a que jusqu'au 1er octobre pour déposer son projet au Parlement. Encore faut-il que l'Assemblée ou le Sénat se soient déjà prononcés en première lecture sur un autre texte budgétaire, qui donne quitus au gouvernement pour sa gestion des comptes durant l'année précédente. Or ni l'Assemblée nationale issue des dernières élections législatives, ni le Sénat n'ont examiné ce second texte. Pour compliquer encore l'équation, avant d'arriver au Parlement, le projet de budget doit impérativement passer par le Conseil d'Etat et le Haut Conseil des Finances publiques. Face à ce calendrier de plus en plus serré, l'hypothèse de contourner la loi organique et de déposer le PLF au Parlement une ou deux semaines plus tard que d'ordinaire a récemment surgi.

Parallèlement, visée depuis fin juillet par une procédure européenne pour déficit excessif, comme six autres Etats membres de l'UE, la France doit envoyer d'ici le 20 septembre à Bruxelles son plan de réduction du déficit public. Selon une récente note du Trésor français, le déficit public pourrait déraper à 5,6% du PIB en 2024 et 6,2% en 2025. Michel Barnier devra donc faire en sorte de rassurer Bruxelles.

Lors de la passation de pouvoir sur le perron de Matignon ce jeudi en début de soirée, le Premier ministre sortant, Gabriel Attal, a par ailleurs rappelé à son successeur que de nombreux textes "qui étaient en discussion" au Parlement devront achever leur parcours. Et dans la pile des gros dossiers qui l'attendront sur son bureau, Gabriel Attal a souhaité que Michel Barnier s'attache à "continuer à faire de l'école une priorité absolue" car "c'est l'assurance-vie de la République". Son deuxième voeu : que le pays parvienne à sorir du "sectarisme", du "défaitisme" et du "fatalisme".

Le nouveau Premier ministre a assuré qu'il poursuivra "avec beaucoup d'humilité" les réformes restées "en suspens" mais a dit vouloir apporter sa "propre valeur-ajoutée". Il y aura "des changements et des ruptures", a-t-il prévenu. Principal axe des "priorités" qu'il développera lors de sa déclaration de politique générale : ouvrir une nouvelle "période utile pour les Français", "répondre aux défis, colères, souffrances, sentiments d'abandon et d'injustice" qui traversent "les quartiers et les campagnes". Et ce, qu'il s'agisse "d'accès aux services publics, d'école, de sécurité, d'immigration ou de travail et de niveau de vie". Michel Barnier a mis en avant sa volonté de "dire la vérité" sur les sujets notamment de dette financière et de "dette écologique". Louant "le rôle, dans tous les territoires, de tous les acteurs du monde économique", il a évoqué la nécessité de travailler dans "l'écoute et le respect" avec le Parlement, "toutes les forces politiques", les partenaires sociaux... et les élus locaux.

Dans l'inévitable flot des réactions, plusieurs ont très vite émané, précisément, des associations d'élus locaux. Ainsi, Intercommunalités de France a insisté sur la nécessité de disposer rapidement d'un gouvernement au complet "afin de se mettre au travail au plus vite" et dit espérer "un changement de méthode, fondé sur un dialogue et un esprit de concertation renouvelés entre l’État et les représentants des collectivités". Et dans la perspective du budget, l’association dit ne pas douter "qu’avec son expérience des collectivités locales, Michel Barnier saura affirmer qu’en matière de finances publiques, le combat ne réside pas dans une opposition stérile entre État et collectivités, mais dans l’émergence de solutions partagées".  L'Association des maires de France attend elle aussi "un dialogue de confiance pour relancer la décentralisation et rompre avec les discours stigmatisant les collectivités locales". L'association Villes de France espère également un gouvernement "à l’écoute des territoires" et redonnant aux élus locaux "la place qu’ils méritent". Et se pose en "partenaire exigeant". L'Association des maires ruraux (AMRF) invite d'ores et déjà Michel Barnier à "prendre l’attache de son président Michel Fournier pour pouvoir évoquer ensemble les urgences du monde rural"… et, pourquoi pas, à se rendre à son congrès fin septembre.

 

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