Déclaration de politique générale de Michel Barnier : les réactions des acteurs de l'environnement, de l'énergie et du bâtiment

Poursuite du nucléaire, des énergies renouvelables, conférence sur l'eau, reprise de la planification... Très attendu sur les questions environnementales, Michel Barnier a dit vouloir faire de la "réduction de la dette écologique" une "exigence" mais n'a pas convaincu les experts du secteur, qui réclament davantage. Du côté des professionnels du bâtiment, en revanche, l'heure est plutôt au soulagement.

"Notre feuille de route tient en une exigence : la réduction de notre dette budgétaire et de notre dette écologique." Dès les premières minutes de sa déclaration de politique générale, ce 1er octobre, Michel Barnier a mentionné l'environnement. "Nous pouvons et nous devons faire plus pour lutter contre le changement climatique, et tous les risques qu'il entraîne, préserver la biodiversité", a déclaré le Premier ministre, qui dit croire à une "écologie de solutions". Pour lui, celle-ci passera par faire de la transition écologique "l'un des moteurs de notre politique industrielle". Michel Barnier veut notamment miser sur la "décarbonation des usines", l'"encouragement à l'innovation" ou le "renforcement de nos filières de recyclage". 

Le Premier ministre veut aussi que "les travaux de planification" dans le domaine de l'énergie et du climat "reprennent immédiatement", en s'appuyant sur les textes lancés par le précédent gouvernement comme "la stratégie française énergie-climat, le troisième plan national d'adaptation au changement climatique, la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie". Ce 27 septembre, le Haut Conseil pour le climat (HCC) avait d'ailleurs jugé "urgentes" leurs adoptions et pressé le gouvernement de donner "une direction claire et stable" (lire notre article).

Pas de mention de l'environnement dans les "chantiers prioritaires"

Mais les propos de Michel Barnier n'ont pas convaincu les associations environnementales. "C'est avec déception que nous avons reçu la déclaration du Premier ministre. Les termes de biodiversité et de pollution n'ont été mentionnés qu'une seule fois chacun", a regretté Générations Futures. "Si Michel Barnier a reconnu que nous devons faire plus pour lutter contre le changement climatique, il est resté muet sur les moyens financiers pour y parvenir", a dit à l'AFP le Réseau action climat (RAC), qui fédère de nombreuses associations comme le WWF, Oxfam, France Nature Environnement (FNE) ou la Fondation pour la nature et l'homme (FNH).

Ces ONG avaient demandé lundi au Premier ministre de les "rassurer" sur sa volonté de remettre l'écologie au centre des priorités. "Mentionner la dette écologique ne suffit pas, il faut mettre en place un programme politique ambitieux, à la hauteur de l'enjeu", a commenté Greenpeace. Or, "aucun des 'chantiers prioritaires' ne concerne l'environnement", a regretté FNE. Pour la Fédération d'associations de protection de la nature et de l'environnement, il émane de la déclaration du chef du gouvernement une vision "très techno solutionniste de l'écologie".  Elle a aussi relevé un "discours de simplification des normes très inquiétant". Selon elle, "le problème, ce ne sont pas les normes qui protègent mais la complexité des démarches administratives qui les accompagnent". Générations Futures "regrette" pour sa part que le Premier ministre "n'ait apporté aucun développement concernant l'action de son gouvernement en matière de lutte contre l'effondrement de la biodiversité et en faveur de la protection de la santé du vivant".

Quant au lancement d'une "grande conférence nationale sur l'eau" annoncée sans plus de précision par Michel Barnier, il ne convainc guère. "Ce qu'on attend aujourd'hui, c'est d'avoir les moyens de mettre en oeuvre le plan eau" décidé par Emmanuel Macron, a réagi sur ce point Hervé Paul, vice-président "eau" de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), qui craint sur ce point un retour à la case départ.

Pour le RAC, les mesures annoncées par le Premier ministre restent insuffisantes et les nouvelles contributions demandées aux grandes entreprises et aux ménages les plus aisés "doivent être allouées à la transition écologique et juste". Certaines des mesures annoncées "vont dans le sens inverse de l'accélération" de la décarbonation de la France, ajoute le collectif, citant la "révision du DPE qui va freiner les politiques de rénovation énergétique des bâtiments, une stigmatisation de l'éolien ou un pari sur de fausses solutions comme les biocarburants pour l'aviation".

Evolution du ZAN diversement appréciée

Alors que Michel Barnier a déclaré vouloir "faire évoluer de manière pragmatique et différenciée la réglementation zéro artificialisation nette pour répondre aux besoins essentiels de l’industrie et du logement" – un assouplissement souhaité par l'Association des maires de France (lire notre article), et salué dans un communiqué, le RAC estime que "l’artificialisation augmente 4 fois plus vite que la population", et qu'"il existe des leviers pour produire de nouveaux logements sans artificialiser". "Dans un contexte de changement climatique, il est urgent de rompre avec une logique de bétonisation qui nous rend plus vulnérables aux effets du changement climatique comme les inondations", soutient le collectif, en rappelant que "la France est déjà l’un des pays européens ayant artificialisé le plus de sols".

L'Ordre des géomètres-experts affirme pour sa part dans un communiqué vouloir placer son expertise "au service du nouveau gouvernement", "pour concilier la nécessaire lutte contre l'artificialisation d'une part et la construction indispensable de logements d'autre part". La profession rappelle à cette occasion les 17 propositions présentées lors de ses Assises nationales de la sobriété foncière "pour rendre la trajectoire de sobriété foncière efficace et humainement acceptable".

Les professionnels du bâtiment rassurés

Au lendemain de la déclaration de politique générale de Michel Barnier devant l’Assemblée nationale, la ministre du Logement et de la rénovation urbaine Valérie Létard s’est rendue au salon Batimat. L’occasion d’aller à la rencontre des acteurs du secteur de la construction et de réaffirmer sa volonté de se " battre pour le logement, pour la filière", a-t-elle rappelé au micro de Batiactu. La ministre a aussi expliqué qu’elle avait entendu le message d’Olivier Salleron, le président de la FFB qui dès mardi soir se félicitait que Michel Barnier "ait pris acte de la crise du logement qui frappe le pays", estimant que les premières annonces concernant, notamment le PTZ, "constituent une vraie bouffée d’air pour le secteur". Des annonces qui arrivent "au bon moment, alors que le marché de l’immobilier se réouvre très progressivement". En se disant " favorable à l’extension du PTZ sur tout le territoire", relève la FFB, le Premier ministre vise juste, même si les professionnels du bâtiment attendent désormais "des mesures rapides pour relancer l’investissement locatif et l’accession à la propriété".

La Capeb salue pour sa part "la dynamique que le Premier ministre souhaite insuffler en faveur du logement et de la transition écologique" et se félicite d’un discours centré sur la construction neuve dans lequel elle veut voir "un signal positif qui doit maintenant accompagner de véritables perspectives". La Capeb réaffirme ainsi la nécessité de maintenir le budget et le cadre actuel du PTZ, réclame une simplification de la qualification RGE pour permettre un accès simplifié au marché pour les artisans du bâtiment et demande encore d’ouvrir la possibilité de constituer des "groupements momentanés d’entreprises".

S’agissant du DPE (diagnostic de performance énergétique), la FFB prend acte des annonces de Michel Barnier tant sur la simplification évoquée lors de son discours de politique générale que sur le "calendrier adapté" évoqué. Un calendrier qui prévoit aujourd’hui que les logements les plus énergivores classés G ne pourront plus être loués à compter du 1er janvier 2025. Sur ce point, interrogée par l’AFP, Valérie Létard rappelle que si "il est hors de question de tout jeter à la poubelle (...) on ne peut pas être dans la négation de la vraie vie !".

Ne pas opposer énergies renouvelables et nucléaire, affirme la ministre chargée de l'énergie

Concernant l'énergie, Michel Barnier s'est engagé à poursuivre "résolument" le développement du nucléaire et des renouvelables, avec un bémol sur les éoliennes, appelant à mesurer "tous leurs impacts". Il veut également valoriser "davantage la biomasse pour décarboner efficacement la production de chaleur et de gaz" et faire de l'outre-mer, engagé vers un objectif de 100% d'électricité renouvelable en 2030, des "laboratoires d'innovation pour le solaire et la géothermie". L'association professionnelle des énergies renouvelables a vu dans les propos du Premier ministre la "forte tentation de faire le tri entre les 'bonnes' et les 'mauvaises' énergies" alors que "c'est évident pour tout le monde que la question, c'est la réduction des énergies fossiles dans le mix énergétique français". 

Olga Givernet, la ministre déléguée chargée de l'Energie, s'est efforcée de rassurer la filière ce 2 octobre, en ouvrant le Colloque national éolien mené par France Renouvelables. "La France doit marcher sur ses deux jambes avec les énergies renouvelables et le nucléaire", a-t-elle déclaré. "Et je tiens à passer le message très clairement : il n'est pas question d'opposer l'un à l'autre. Il faut travailler ensemble pour avoir un mix énergétique le plus équilibré possible", a-t-elle ajouté.

La ministre a tenu à préciser les propos de Michel Barnier sur l'éolien.  ""En mesurant mieux tous les impacts', je crois que cette phrase ne vous a pas échappé. Moi, je veux vous faire comprendre que je suis là justement pour qu'on puisse anticiper ces impacts, qu'on puisse les travailler ensemble et qu'on puisse montrer à la France que le paysage énergétique de la France, eh bien il peut être accepté", a affirmé la ministre. Selon elle, l'éolien jouera pleinement son rôle pour permettre à la France d'atteindre ses objectifs de neutralité carbone. "Pour marcher sur nos deux jambes, il faut sortir progressivement mais rapidement de notre dépendance aux énergies fossiles (...) Pour cela, nous comptons bien entendu sur l'éolien, qu'il soit terrestre ou maritime (...) Et il y a aussi le solaire", a-t-elle dit. "Ceci, avec la responsabilité d'emmener tous les Français pour que notre transition énergétique soit désirée et non subie. En ce sens, nous avons à faire pour continuer de convaincre nos concitoyens que l'éolien terrestre est une solution durable, économique et française", a-t-elle souligné. "Avec plus de 20.000 emplois non délocalisables, il répond à nos objectifs de souveraineté énergétique comme industriels. C'est la raison pour laquelle nous devons poursuivre le développement actuel de l'éolien", a-t-elle souligné.

Le "budget de la dernière chance" pour financer la transition écologique et énergétique ?

Dans une tribune publiée dans Ouest France ce 1er octobre, de nombreux acteurs territoriaux* - représentants des collectivités, entreprises et associations - jugent "inconcevable" que le prochain projet de loi de finances (PLF) intègre des coupes budgétaires sans précédent sur les postes Ecologie et Energie-Climat, en contradiction complète avec les objectifs de la France fixés par le Secrétariat général à la planification Ecologique, avec les engagements pris par l’Etat à l’échelle internationale et lors des COP régionales en cours, et avec les principaux rapports d’experts".

"Le pays fait face à des contraintes budgétaires inédites mais ne peut raisonnablement ignorer les conséquences géopolitiques, économiques, sociales, environnementales et sanitaires d’une démobilisation sur la transition écologique, la souveraineté énergétique du pays et le pouvoir d’achat des Français", estiment les signataires de la tribune. Selon eux, "pour éviter l’abandon de milliers de projets dans les territoires en faveur des économies d’énergies et des énergies renouvelables, de la protection des ressources en eau et de la biodiversité, de la réduction et du recyclage des déchets, des solutions budgétaires existent". La première serait de "trouver de nouvelles recettes pour l’État en réformant une fiscalité écologique trop souvent injuste, en faisant davantage contribuer les acteurs et comportements les moins vertueux, plutôt que les plus modestes", exposent-ils. Ensuite, il faudrait "optimiser les dépenses en privilégiant les financements verts efficaces en termes de coût/bénéfice".

Ils appellent à "un renforcement et une accessibilité à tous les territoires du fonds vert (…)", à une "consolidation des aides à la rénovation énergétique efficace des logements", à un "doublement du fonds chaleur pour réduire et décarboner la facture énergétique des Français avec des énergies locales". Enfin, ils jugent "indispensable" d’"affecter le milliard d’euros de la taxe nationale sur les déchets prélevée sur les ménages français aux aides de l’Ademe à la prévention et à la valorisation des déchets", et l’augmentation de 50% des moyens des Agences de l’eau en faveur des économies d’eau et à la lutte contre les pollutions émergentes". Ils demandent aussi l'instauration d'un "pacte de confiance entre l’État et l’ensemble des acteurs locaux, fondé sur une planification pluriannuelle du financement de la transition écologique".

"L’examen de ce projet de loi de finances sera, plus que jamais, un moment de vérité pour l’avenir de la France et le quotidien des Français", écrivent les signataires de la tribune qui concluent en demandant au gouvernement et au Parlement de "construire un budget qui ne tourne pas le dos à l’ambition de transformation écologique et énergétique de la France, mais qui au contraire l’accélère".

*AMORCE, Association des maires ruraux de France (AMRF), ANPP - Territoires de projets, Association des petites villes de France (APVF), Cercle national du recyclage (CNR), Energy cities, Fédération nationale des collectivités de compostage (FNCC), France urbaine, Méthéor, Réseau des agences régionales de l'énergie et de l'environnement (RARE), Villes de France ; Consommation, Logement et Cadre de Vie (CLCV), UFC-Que Choisir ; Agir pour le Climat, Alternatiba, Association négaWatt, Effinergie, Energie partagée, HESPUL, Réseau Action Climat (RAC), réseau Cler, Réseau Compost Citoyen, WWF, Zero Waste France, 350.org ; Association française des professionnels de la géothermie (AFPG), Comité interprofessionnel du bois énergie (CIBE), Enerplan, envirobatBDM, Fédération professionnelle des entreprises de services pour l'énergie et l'environnement (Fedene), Fédération nationale des activités de la dépollution et de l'environnement (FNADE), France Renouvelables, Syndicat des énergies renouvelables (SER), Via Seva.