Adaptation au changement climatique : les stratégies, plans et outils de l’UE méconnus au niveau local, déplore la Cour des comptes européenne
Dans un rapport consacré à l’adaptation au changement climatique dans l’UE, la Cour des comptes européenne salue un cadre politique de l’UE "globalement solide" et des plans nationaux "globalement conformes". Elle déplore en revanche qu’ils soient méconnus au niveau local, comme le sont également les outils déployés par la Commission. Pis, elle dénonce les politiques parfois divergentes arrêtées dans les plans sectoriels ou locaux et déplore le manque d’évaluation de ces politiques. Sur 36 projets analysés, elle considère qu’une moitié à peine a permis d’augmenter la capacité d’adaptation des secteurs concernés.
"Globalement solide." Telle est l’appréciation formulée par la Cour des comptes européenne sur "le cadre de la politique de l’UE en matière d’adaptation climatique", auquel elle vient de consacrer un rapport spécial, au terme d’un audit portant sur la période 2014-2023. Une évaluation positive qui cache toutefois plusieurs déficiences, parfois de taille.
Le local ignore l’UE
Parmi elles, le fait que "les outils, les stratégies et les plans de l’UE en matière d’adaptation sont mal connus au niveau local". Un constat dressé après une enquête conduite auprès de 318 communes (400 avaient été sollicitées, dont 117 françaises) des quatre États membres audités, dont la France (en examinant en particulier la Nouvelle-Aquitaine et Paca). "Près de 70% n’avaient pas connaissance de la stratégie d’adaptation de l’UE", déplore la Cour (60% ignoraient aussi l’existence du plan national d’adaptation et 54% celle du plan régional). Et 75% ignoraient l’existence du portail de la mission Adaptation au changement climatique mise en œuvre par la Commission (à ne pas confondre avec la mission française…) dans le cadre du programme Horizon Europe, dédié au financement de la recherche et de l’innovation.
Il en va de même avec les outils mis en place par la Commission : "77% ne connaissaient pas la plateforme Climate-Adapt (voir notre article du 23 mars... 2012), 74% ignoraient l’existence des services Copernicus et 10% seulement des communes interrogées avaient adhéré à la Convention des maires" (voir notre article du 11 novembre 2015), se désole-t-elle. Une "faible sensibilisation" que la Cour explique notamment "par la barrière linguistique", obstacle qui ne concerne malheureusement pas que ces outils. On ne pourra s’empêcher de relever une certaine naïveté, ou méconnaissance de la réalité des communes françaises, de la part de la Cour, tant il apparaît patent que lesdits outils ne répondent guère aux besoins et compétences des élus et services qui animent ces collectivités. Et l’on peut parier que la prise de connaissance de l’existence de ces outils risque fort d’alimenter la croyance que l’UE ne leur est décidément pas destinée (voir notre article du 5 novembre 2021). Une naïveté que l’on retrouve également lorsque les auteurs du rapport confessent avoir "en outre découvert qu’il existait au niveau national des outils d’adaptation au changement climatique similaires à ceux de l’UE", comme le Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique français. Lequel ne fait "pas référence à leur équivalent européen, Climate-Adapt", regrettent-ils au passage.
Des divergences sectorielles et locales
Si la Cour juge que, "dans l’ensemble", les cadres nationaux d’adaptation contrôlés sont "généralement cohérents" avec la stratégie de l’UE (quand bien même utilisent-ils "parfois des données scientifique obsolètes" pour établir leurs documents), elle relève que les priorités des plans régionaux et sectoriels divergent, eux, parfois de la stratégie de l’UE. Elle estime que c’est notamment le cas en France en matière de gestion de l’eau, en considérant que tant le Varenne agricole de l’eau que les plans des régions Nouvelle-Aquitaine et PACA "prévoient le développement de systèmes d’irrigation efficaces, mais aussi l’augmentation de la superficie irriguée, sans mentionner de réduction de la consommation d’eau", ou "uniquement en période d’étiage" pour le plan néo-aquitain ("entre 2010 et 2020, la région Sud a augmenté sa superficie irriguée de 26%", observe la Cour). Pour la Cour, contrairement à l’ancien ministre de l'Agriculture Marc Fesneau (voir notre article du 7 novembre 2023), sobriété et irrigation ne doivent décidément pas aller de pair.
L’action de la France est en revanche globalement saluée en matière d’érosion côtière (avec l’encouragement à des solutions fondée sur la nature et à une "relocalisation stratégique") ou de tourisme en montagne, la France promouvant "des actions de diversification et le développement d’un tourisme ‘4 saisons’", même si, "sur 470 mesures, 9 seulement traitent directement du problème d’adaptation".
Conduite à l’aveugle…
De manière globale, une fois de plus, la Cour des comptes européenne regrette en revanche une conduite à l’aveugle.
Côté Union d’abord, en pointant un suivi du financement de l’UE en faveur de l’adaptation au changement climatique "problématique", notamment "compte tenu du caractère transversal" de cette politique. Elle estime toutefois les enveloppes allouées à "au moins 8 milliards d’euros" pour la période 2014-2020 et à 26 milliards d’euros pour 2021-2027.
Côté États-membres ensuite, lesquels "ne fournissent aucune évaluation qualitative des progrès accomplis et n’utilisent pas d’indicateurs de base communs". Sans compter que les quatre États de l’échantillon "avaient soit sous-estimé le coût des mesures d’adaptation dans leurs stratégies ou plans [cas de la France], soit en avaient fait totalement abstraction [cas de la Pologne]".
… et "mal-adaptation"
Les 36 projets financés par l’UE analysés par la Cour donnent néanmoins un premier aperçu, plus que mitigé. Si la Cour considère que 19 d’entre eux "ont permis d’augmenter la capacité d’adaptation dans les secteurs concernés", 13 "n’y sont pas parvenus ou n’étaient pas conformes à la stratégie" de l’UE, 2 autres ayant même entraîné un "accroissement de la vulnérabilité" (les 2 derniers étant trop récents pour tirer des conclusions). La Cour dénonce en particulier l’irrigation des cultures – une obsession –, relevant que 19 États membres ont prévu de la soutenir pendant la période 2023-2027 au moyen de 52 interventions différentes au titre du Feader. Sont ainsi mis sur la sellette deux projet situés en Nouvelle-Aquitaine : l’un fondé sur une étude prenant "uniquement en considération les conditions météorologiques de la période 2000-2011", l’autre bénéficiant à la culture du kiwi "gourmande en eau", "exemple de mal-adaptation". À la Cour, le "kiwi de l’Adour" n’a pas bonne presse.
Également pointés du doigt, des projets qui "n’ont pas permis d’accroître la capacité d’adaptation des forêts". La Cour prend exemple de reboisements de parcelles en Nouvelle-Aquitaine "non seulement avec une seule essence d’arbre", mais en outre avec "celle présente avant la destruction de la forêt […]. Plus de 97% des arbres utilisés étaient des pins maritimes, très résistants aux pénuries et aux excès d’eau, mais sensibles aux incendies de forêt et au vent", expliquent doctement les membres de la Cour. On notera que le Centre national de la propriété forestière enseigne pour sa part que ce pin est "le seul arbre vraiment adapté aux sols pauvres du massif landais".
Enfin, si la Cour se félicite de la restauration de dunes, notamment à Pampelonne, solution qualifiée de "bonne pratique" car "fondée sur la nature", elle déplore que la "réalimentation de la plage" (en sable) ait représenté 75% des dépenses d’un projet français (non désigné) alors que "l’engraissement de la plage ne constitue pas une solution durable à l’érosion côtière à longue échéance".
› Des plans locaux d’adaptation majoritairement citadinsDe son enquête conduite auprès de 318 communes situés dans les quatre États membres audités, la Cour relève que "16% d’entre elles seulement avaient établi un plan local d’adaptation". Elle observe toutefois que "21% étaient en train d’en élaborer un". "Dix fois plus de villes que de communes rurales disposaient d’un plan local d’adaptation" (58% des agglomérations sondées en disposaient d’un, contre 13% pour les villes et 6% pour les communes rurales), souligne-t-elle encore. |