Adaptation de la politique de l’eau au défi climatique : un rapport de l'Assemblée propose un "bouquet de solutions"
Pour améliorer la résilience des territoires face aux effets du changement climatique sur la disponibilité de la ressource en eau et parer aux conflits d’usages, un rapport, présenté ce 17 janvier devant la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, propose d’agir sur plusieurs fronts. Solutions fondées sur la nature, sobriété hydrique, stockage d’eau, réutilisation des eaux usées, aménagement du territoire, compteurs intelligents, tarification progressive, aquaprêts, outils fiscaux… composent ce "bouquet de solutions".
C’est un rapport fleuve de près de 200 pages que les députés Vincent Descoeur (LR-Cantal) et Yannick Haury (RE-Loire-Atlantique) ont présenté à la commission du développement durable, ce 17 janvier, dans le cadre de la mission d’information sur l’adaptation de la politique de l’eau au défi climatique. À défaut de "solution unique", les corapporteurs formulent un "bouquet de solutions" - 81 propositions au total, dont 18 jugées prioritaires - qui s’articulent autour des exigences suivantes : renforcer les politiques publiques en soutien à la préservation de la ressource ; développer le stockage de l’eau ; améliorer la gouvernance et le financement des politiques de l’eau.
Certaines des préconisations font écho au plan Eau présenté au printemps 2023, qui constitue "un premier pas" même si certaines mesures annoncées "manquent d’ambition sur certains volets" (et notamment concernant l’outre-mer confronté à de graves difficultés d’accès ou de pollutions des eaux), relève David Taupiac, coprésident de la mission aux côtés de Anne-Cécile Violland. "Faute d’anticipation les conséquences pour notre système économique et notre qualité de vie pourraient être dramatiques", appuie le rapport, soulignant l’urgence à "repenser la politique de l’eau sous un prisme nouveau, celui de la restauration du cycle naturel, de la sobriété, de l’optimisation de la ressource et de la hiérarchie des usages".
La mission y fait le constat, en raison du changement climatique et des activités humaines, d'une augmentation de la fréquence et de l’intensité des sécheresses et des précipitations extrêmes, associée à une dégradation réelle des écosystèmes régulateurs du cycle de l’eau. La sécheresse exceptionnelle de l’été 2022 et à l’inverse, les inondations qui ont récemment touché le Nord-Pas-de-Calais en sont des illustrations flagrantes.
Tous les voyants sont au rouge
En France métropolitaine, la quantité d’eau renouvelable disponible – celle qui peut être utilisée pour satisfaire les besoins humains sans compromettre la situation future – "a baissé de 14% entre la période 1990-2001 et la période 2002-2018, passant de 229 milliards de mètres cube (m3) à 197 milliards". Et toutes les études prospectives laissent penser que la situation ira en s’aggravant dans les décennies à venir, s’alarme Yannick Haury, alors que plus de 110 bassins versants connaissent déjà des tensions structurelles. Ainsi, selon l’étude Explore 2070 du BRGM, d’ici 2050, les précipitations devraient baisser de 16 à 23% et le débit moyen annuel des cours d’eau devrait diminuer de 10 à 40%. En ce qui concerne les eaux souterraines, la piézométrie devrait diminuer d’une façon quasi générale avec une baisse de la recharge comprise entre 10 et 25%.
Tous les territoires ne sont toutefois pas logés à la même enseigne, et deux zones seront plus particulièrement touchées : le bassin versant de la Loire avec une baisse de la recharge comprise entre 25 et 30% sur la moitié de sa superficie et surtout le sud-ouest de la France avec des baisses comprises entre 30 et 50%, voire davantage. Les baisses des débits d’étiage, débit minimal d’un fleuve, seront par ailleurs "plus sévères, plus longues et plus précoces", avec des débits estivaux réduits de 30 à 60%. Le Rhône, qui alimente une partie significative du parc nucléaire français comme de nombreuses productions agricoles, "pourrait subir une baisse du débit minimum jusqu’à -50 % à l’horizon de 2100". Et pour la Seine, les modélisations anticipent une baisse moyenne annuelle comprise "entre 10 et 50%". Les retenues d’eau générées par les barrages hydroélectriques vont donc jouer "un rôle croissant en matière de soutien à l’étiage", note le rapport.
De nombreux cours d’eau restent par ailleurs marqués par une présence préoccupante de nitrates, pesticides, etc., que le changement climatique vient également aggraver en les concentrant. Près de 56 % des masses d’eau de surface et 33 % des masses d’eau souterraines n’étaient pas en bon état au sens de la directive cadre sur l’eau (DCE) en 2019. Selon le BRGM, 43,3% des masses d’eau de surface sont affectées par des pollutions diffuses et plus de 25% par des pollutions ponctuelles.
Renforcer la connaissance
Environ 32 milliards de m3 sont prélevés chaque année pour les activités humaines. Inondations, pertes d’exploitation, réduction de production de l’énergie, ruptures d’approvisionnement en eau, etc., les risques sont multiples. C’est pourquoi le rapport propose d’engager une réflexion avec les assureurs sur la prise en charge des pertes d’exploitation liées aux restrictions d’eau par les arrêtés préfectoraux. Le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles - réformé en 2021 par la "loi Baudu" - reste en outre perfectible et les plans de prévention des risques d’inondation (PPRI) dans les communes touchées par ces phénomènes doivent également être "développés et renforcés", pointe la mission.
Selon les corapporteurs, il est également essentiel de connaître plus précisément, sur chaque territoire, et en "temps réel" les prélèvements et le niveau des cours d’eau et des nappes phréatiques. A cet égard, le rapport préconise d’abaisser le seuil de déclaration des prélèvements à 1.000 m3 par an et d’imposer le télérelevé pour tous les prélèvements soumis à autorisation. Il convient de "faire respecter la loi en matière d’installation de compteurs individuels dans les copropriétés neuves et encourager leur adoption dans toutes les copropriétés pour favoriser la sobriété hydrique et la mise en place éventuelle de systèmes de tarification progressive", note-t-il.
Pour renforcer la connaissance et le pilotage de la ressource, le rapport table aussi sur la mise en place d’une base nationale des prélèvements en eau mise à jour de manière mensuelle et corrélée avec les autorisations et droits de prélèvement et objectifs de répartition des prélèvements par sous-bassin versant. Les rapporteurs plaident pour la mise en place d’une étude préalable à tout nouveau projet d’aménagement ou d’implantation industrielle, afin d’estimer "l’empreinte eau" de ce projet. Autrement, dit de "prendre en compte l’état de la ressource en eau sur ledit territoire et les impacts directs et indirects du projet".
Nécessité de protéger les captages d’eau potable
C’est un point central du volet qualitatif. Il s’agit donc d’encourager les collectivités à faire usage de leur droit de préemption des surfaces agricoles situées dans les aires d’alimentation des captages (AAC) lorsque celles-ci sont trop polluées. La procédure peut toutefois sembler complexe et n’est pas nécessairement à la portée de toutes les communes. Aussi pourrait-il être envisagé de faciliter la demande de préemption faite par les communes au préfet, "en prévoyant le soutien technique et financier systématique des services de l’État à la réalisation des documents préalables à la demande" et de prévoir un soutien aux communes "après leur acquisition des zones préemptées", afin d’y valoriser le développement de forêts, de prairies permanentes ou de pratiques agricoles encadrées.
"Avant de chercher à trouver de nouvelles ressources, il s’agit de préserver et reconstituer les ressources existantes, tout en réduisant parallèlement la demande en eau", développe Yannick Haury. La stratégie d’adaptation nécessite de favoriser l’infiltration de l’eau dans les sols et les nappes phréatiques, de repenser l’aménagement du territoire, de préserver les zones humides et la protection du rôle joué par les forêts. La gestion des eaux pluviales à la parcelle est particulièrement pertinente à développer en milieu urbain. C’est l’exemple suivi par la métropole de Lyon avec la mise en place d’une fosse de Stockholm dans le cadre de son projet de "ville perméable". Le rapport insiste donc sur le nécessité de cartographier les zones favorables et défavorables à l’infiltration des eaux pluviales, et de les intégrer dans tous les documents d’urbanisme, ainsi qu’une trajectoire de réduction du coefficient d’imperméabilisation. Des aides financières de l’État devront accompagner les particuliers (sur le modèle des primes pour la rénovation énergétique) comme les collectivités dans ces travaux de désimperméabilisation et de déconnexion des eaux pluviales du réseau.
La sobriété, le maître-mot
Les réductions des prélèvements déjà engagées doivent encore s’accentuer. Cela passe par une "culture de la sobriété hydrique", c’est-à-dire la sensibilisation des usagers, l’amplification des efforts relatifs à la réduction des fuites de canalisations et l’accompagnement financier, par exemple via des primes à l’installation de matériel hydro-économe. Toutes les pistes sont bonnes à prendre…et notamment celle de la réutilisation des eaux non conventionnelles. La mission d’information s’est déplacée en novembre dernier aux Sables-d’Olonne peu après l’inauguration du programme Jourdain de Reut. Le rapport encourage à poursuivre la création d’un "cadre national clair" sur les conditions de la réutilisation des eaux usées, avec des exigences sanitaires adaptées aux usages.
Pour s’adapter aux irrégularités de la ressource dans le secteur agricole , il préconise des dispositifs de stockage permettant de lisser l’apport en eau sur l’année. Le stockage de l’eau doit "être concomitant d’une plus grande sobriété", insiste Vincent Descoeur. En d’autres termes, il doit s’accompagner d’une évolution du modèle agricole vers des pratiques permettant d’optimiser l’usage de l’eau (diversification culturales, techniques d’irrigation, agroécologie, plantation de haies…).
Les conflits d’usage liés à l’eau ne se résument toutefois pas au seul sujet de l’eau agricole. Il apparaît donc "à la fois nécessaire de prévoir un cadre national de hiérarchie des usages, tout en s’assurant d’une certaine flexibilité à l’échelle locale", souligne le député du Cantal. Le rapport invite notamment à renforcer le processus d’anticipation et d’implication des différents acteurs dans la préparation des arrêtés de sécheresse et si besoin à mettre en place des préfets coordonnateurs à l’échelle des sous-bassins. Il évoque d’autres pistes comme l’interconnexion des réseaux, qui doit "aller de pair " avec l’optimisation de tous les captages d’eau disponibles dans des conditions sanitaires satisfaisantes.
Améliorer la planification de l’eau
Le schéma institutionnuel de la gestion de l’eau est "à la fois robuste et complexe mêlant décentralisation et gestion planifiée", reconnaît Vincent Descoeur. Une logique qui "n’a pas été conduite jusqu’au bout"..."Si des Sdage [schémas directeurs d’aménagement et de gestion de l’eau] couvrent bien l’ensemble du territoire, ce n’est pas le cas des Sage [schémas d’aménagement et de gestion des eaux] qui doivent pourtant les décliner localement et de manière opérationnelle", s’explique t-il. A ce jour, seulement 54% du territoire est couvert par un Sage. Le rapport propose a minima d’inscrire dans la loi l’objectif de réduire les prélèvements dans la ressource en eau douce de 10% d’ici 2030 (prévue par le plan Eau) et de compléter avec l’objectif de – 25 %d’ici 2040. Ces objectifs devront être déclinés dans les Sdage et les Sage pour assurer une trajectoire annuelle et une répartition par territoire et par usage. L’articulation entre les Sdage, les Sage et les documents de planification territoriaux est également évoquée. Aussi, le rapport propose que les commissions locales de l’eau (CLE) soient obligatoirement consultées sur les documents d’aménagement du territoire intéressant leur sous-bassin.
Il invite en outre à clarifier le rôle des collectivités en prévision des transferts de compétences. Le rôle que pourraient jouer les syndicats départementaux en matière de politique de l’eau y est particulièrement souligné. Le déplacement en Vendée où un syndicat unique regroupe les EPCI du département n’y est pas étranger…La proposition est simple : permettre la délégation de la compétence eau vers les syndicats départementaux constitués et non plus seulement vers les EPCI. La question des contrôles est aussi traitée. Pas besoin de longs discours. "À ce jour, au sein de l’OFB, chaque agent est chargé de contrôler pas moins de 1.000 kilomètres de cours d’eau", rappelle Vincent Descoeur.
Muscler les financements
Beaucoup reste à faire. Le volume annuel d’investissement représente entre 25 et 30 milliards d’euros par an, ce qui, rapporté à l’évaluation des besoins (petit et grand cycle confondus), se traduit pas un déficit d’investissement annuel compris entre 6 et 10 milliards par an. Une augmentation du prix de l’eau paraît donc "inévitable". Toutefois, pour les rapporteurs, un soutien budgétaire et financier à la politique de l’eau doit également être considéré. La mission propose notamment deux mesures concrètes pour augmenter la capacité d’action des agences de l’eau : la suppression pure et simple du plafond des recettes comme du plafond d’emplois ; mettre un terme au financement de la biodiversité par les redevances de l’eau, ce qui représente 400 millions d’euros chaque année qu’il faudra compenser. Une nouvelle redevance spécifique pour les pollutions émergentes pourrait être envisagée. Et l’assiette de la redevance pour pollutions diffuses élargie aux per- et polyfluoroalkylées (PFAS).
La Banque des Territoires engagée pour la gestion de l'eau
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Pour améliorer la visibilité des financements dédiés à la politique de l’eau, le rapport recommande l’élaboration d'une loi de financement pluriannuelle de la transition écologique avec un volet eau détaillé s’appuyant sur l’analyse des besoins d’investissement.
Pour le petit cycle de l’eau, un moyen de renforcer la capacité des acteurs à investir serait de supprimer la TVA sur l’eau et l’assainissement (comme cela est possible depuis l’adoption de la nouvelle directive TVA du 5 avril 2022). En outre, des moyens efficaces de financement, via le développement les "aquaprêts" de la Banque des territoires, doivent être mis à disposition des collectivités pour les aider à réaliser leurs investissements. Des prêts à taux zéro de longue durée, à l’instar de ce qui se fait en matière d’éco-PTZ, sont une autre piste.
Enfin, le rapport encourage la tarification progressive et différenciée de l’eau (notamment saisonnière dans les régions touristiques), levier d’incitation à la sobriété hydrique.