Tarification progressive de l'eau : les conditions d'une généralisation ne sont "pas réunies", selon le Cese

Dans un avis adopté ce 29 novembre, le Conseil économique social et environnemental (Cese) a estimé que les "conditions d'une généralisation de la tarification progressive" de l'eau, l'une des mesures-phares du Plan eau lancé fin mars par le gouvernement, n'étaient "pas réunies". Il appelle à "étudier d'autres dispositifs" pour "compléter" cette mesure.

Quelques mois après l'annonce par Emmanuel Macron de son souhait de mettre en place une "tarification progressive et responsable de l'eau" pour améliorer la gestion de l'eau en France (lire notre article), une ressource amenée à se raréfier à l'avenir en raison du réchauffement climatique, le Conseil économique social et environnemental (Cese) avait été saisi en septembre par la Première ministre Elisabeth Borne. L'idée de cette tarification progressive était qu'au-delà d'un certain volume de base, le tarif de l'eau augmenterait pour dissuader les usages excessifs.

Une mise en place "potentiellement complexe et coûteuse pour les collectivités"

Mais dans son avis adopté ce 29 novembre à l'unanimité moins une abstention, le Cese pointe plusieurs "freins" à la généralisation de cette mesure. Pour cette assemblée consultative, la mise en place de cette tarification progressive "est potentiellement complexe et coûteuse pour les collectivités". "Une telle généralisation pourrait être perçue comme une remise en cause de [leurs] compétences, en matière de distribution d’eau potable et plus particulièrement pour ce qui concerne la fixation de la redevance", souligne-t-il. Elle ne peut donc passer que "par des actions de sensibilisation et d’accompagnement, sauf à remettre en cause le cadre légal actuel". De plus, souligne-t-il, bien qu’un processus de regroupement des services d'eau soit en œuvre depuis la loi NOTRe, "54% de ces organismes sont dans des communes de moins de 1.000 habitants et disposent de peu de moyens pour déployer une telle tarification".

Risque de tarification inégalitaire

Pour le Cese, le risque est aussi d’avoir une tarification inégalitaire, car ne pouvant être appliquée que très difficilement à certains usagers domestiques, particulièrement ceux qui ne disposent pas d’un compteur individuel, soit 50% d’entre eux. "C’est ce qui a conduit certaines collectivités à renoncer à mettre en place la tarification progressive, notamment les métropoles où l’habitat collectif avec un seul compteur général prédomine ou d’autres à exclure de la tarification progressive les usagers ne disposant pas d’un compteur individuel", souligne-t-il.

Cette tarification, qui apparaît également "difficilement applicable à certains usagers" comme les professionnels, peut aussi "se révéler socialement injuste" – elle peut pénaliser les familles nombreuses des premiers déciles - et "n'encourage pas systématiquement à la sobriété". Il juge enfin que l'"impact réel" de cette mesure "sur le volume d'eau potable consommé" sera "difficile à mesurer".

Par ailleurs, plusieurs enjeux, comme le rendement des canalisations ou les "coûts croissants de traitement de potabilisation" de l'eau en raison des rejets polluants, dépassent la simple tarification. Le Cese alerte ainsi "sur la fin d'une eau bon marché à court et moyen terme", alors qu'aujourd'hui, ce bien de première nécessité est d'un coût "relativement bas" avec une "dépense mensuelle moyenne de 43 euros par ménage", note-t-il.

Généraliser les compteurs d'eau individuels

Il émet au total neuf préconisations, dont la mise en place pour chaque usager d'un compteur d'eau individuel, l'instauration d'une tarification saisonnière de l'eau dans certaines communes où la consommation explose à certains moments de l'année y compris dans celles sans activité touristique, souligne-t-il), ou encore un accompagnement social dissocié de la tarification pour les usagers les plus fragiles avec une aide directe des collectivités pour le paiement de la facture d'eau (sous conditions de ressources, quel que soit le type de tarification ou la taille de l’organisme chargé de la distribution).

Le Cese estime également utile la mise en place de démarches de sobriété dans les entreprises et préconise une révision du cadre réglementaire des autorisations de forage à usage non domestique pour mieux associer les collectivités au processus de décision. Une "étude prospective sous l'égide du secrétariat général à la planification écologique" pour anticiper les impacts économiques, sociaux, environnementaux de l'"inéluctable" hausse attendue du prix de l'eau, devrait également être lancée, avance-t-il. Il propose aussi d'élaborer un simulateur de tarification de l’eau à destination des collectivités "permettant d’évaluer l’impact des différents modèles de tarification sur l’équilibre financier de l’autorité organisatrice, sur le budget des consommateurs, mais également d’estimer la baisse de consommation attendue".

 
  • Nouvelle édition du baromètre sur l'eau : une prise de conscience accrue dans le grand public

Présentée le 21 novembre lors du Salon des maires, l’édition 2023 du baromètre d’opinion réalisé par l’Ifop* pour les agences de l’eau montre que la prise de conscience du grand public sur les enjeux de la préservation de l'eau se poursuit. Dans l'immédiat, c’est surtout la préservation de sa qualité, avant qu’elle n’arrive dans les foyers, qui cristallise les appréhensions actuelles. Les Français se montrent prioritairement soucieux de la réduction des pollutions des rivières et des eaux souterraines (42%, 1er enjeu cité au sujet de l’eau en général). Seule une minorité estime que la situation en matière de lutte contre la pollution de l’eau est actuellement satisfaisante (43%, -11 points en 5 ans) et la satisfaction quant à la qualité de l’eau des rivières et des lacs diminue également (52%, -6 points).

A plus long terme, les deux grands sujets de préoccupation sont la qualité de l’eau du robinet - jugée satisfaisante par 74% des répondants, elle constitue toutefois la 2e préoccupation environnementale, derrière le changement climatique – et la disponibilité de l’eau pour tous les usages. Si cet accès à l’eau satisfait aujourd’hui une large majorité de la population (72%), les Français le placent au 2e rang des enjeux spécifiquement liés à l’eau (à hauteur de 31%). Le baromètre révèle également que 7 Français sur  10 se disent plus inquiets qu’auparavant concernant la disponibilité de cette ressource.

Pour faire face à la sécheresse, ils se prononcent très nettement en faveur d'une réutilisation de l'eau - 36% se disent favorables à la récupération des eaux de pluie pour certains usages, 32% au recyclage des eaux usées et 27% à la désimperméabilisation pour favoriser la rétention d'eau dans les sols.

Pour lutter contre le risque d'inondation, les personnes interrogées se prononcent, principalement en faveur de l’interdiction des constructions dans les zones à risques (33% des citations, en retrait de 6 points par rapport à 2018). L’action prioritaire qui est a contrario plus plébiscitée cette année est la limitation du goudronnage des sols (26%, +8 points par rapport à 2018), suivie de l’entretien des cours d’eau (19%, +2 points). Majoritairement, les Français se concentrent sur des actions sur lesquelles ils peuvent avoir prise. Aux yeux du grand public, la priorité la plus fédératrice pour préserver l'état des milieux aquatiques réside ainsi dans la sensibilisation, l'éducation et la formation (36% des réponses). 9 Français sur 10 considèrent en outre faire attention à la quantité d'eau qu'ils consomment.  Interrogés sur leurs souhaits d'information les Français jugeraient principalement utile de pouvoir disposer de renseignements liés aux quantités de polluants dans les rivières (35%) ou à la provenance de l’eau (32%). Ces informations existent aujourd’hui mais il faudrait faciliter leur diffusion.

*Etude réalisée par téléphone du 20 septembre au 12 octobre 2023 auprès d'un échantillon de 1.000 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas) après stratification par région et catégorie d'agglomération

 

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