Adaptation des forêts au changement climatique : des députés esquissent de nouvelles pistes
Alors que la proposition de loi adoptée par le Sénat sur le renforcement de la prévention et la lutte contre les incendies sera examinée en séance par les députés à partir du 15 mai, la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'adaptation de la politique forestière au changement climatique a présenté son rapport le 2 mai. Certaines de ses 39 propositions pourraient être reprises par voie d'amendements dans le texte de loi. Parmi celles concernant les collectivités, on notera un renforcement du pouvoir des maires face aux coupes rases ou l'expérimentation de la gestion par massif des ressources forestières, qu'elles soient publiques ou privées.
"Les forêts françaises subissent une évolution trop rapide du climat par rapport à leurs capacités d’adaptation", alerte la mission d’information sur l’adaptation au changement climatique de la politique forestière et la restauration des milieux forestiers, qui a présenté ses conclusions devant la commission du développement durable de l'Assemblée nationale ce 2 mai. "Elles souffrent moins de la hausse des températures que des sécheresses à répétition qui les affaiblissent et les rendent vulnérables à des parasites, souligne-t-elle. Les sécheresses provoquent également des incendies d’une ampleur croissante et touchant des zones où ils étaient rares auparavant."
Présidée par Catherine Couturier, (LFI-NUPES, Creuse), avec comme rapporteure Sophie Panonacle (Renaissance – Gironde), la mission a été mise sur pied en octobre dernier, après un été 2022 marqué par de nombreux incendies dévastateurs en Gironde mais aussi dans d'autres régions où ils étaient jusqu'ici plus rares, comme la Bretagne, le Jura ou la Haute-Savoie. Pour Sophie Panonacle, le dérèglement rapide du climat "exige de forger les bases de nouveaux modes de gestion forestière sans lesquels la forêt française risque de subir une atteinte irréversible".
Puits de carbone et source de matières premières : le dilemme des forêts
"Cette menace est grave car les forêts jouent un rôle multifactoriel, fondement de la politique forestière depuis des siècles, qui est vital pour notre société", constatent les députées qui relèvent que les forêts sont l’un des rares secteurs, avec les océans, à être à la fois un puits de carbone et une source de manières premières. Ainsi, le dépérissement des forêts peut remettre en cause la politique de lutte contre le dérèglement climatique, dont elles sont un socle, insistent-elles – la forêt fixe 31 millions de tonnes de carbone par an mais a perdu en quelques années la moitié de ses capacités de stockage, indique Sophie Panonacle. "Il s’agit d’assurer un équilibre environnemental vital tout en étant un acteur économique", soulignent les députées, alors que selon France Bois Forêt, 25 à 30% de la forêt française est en situation d'"inconfort climatique".
Les élues rappellent que la forêt est le domaine du temps long où la durée de vie d’un arbre excède celle d’un être humain : la décennie et le siècle en sont les temps de mesure. En outre, si les explications aux atteintes portant sur les forêts sont connues, la diversité des forêts et des milieux naturels empêchent de fournir des solutions clés en mains d’autant plus que les connaissances des arbres et surtout des sols sont encore parcellaires.
Autre élément majeur souligné par la mission : "la disponibilité des ressources forestières conditionne toute l’activité d’une filière très diverse réunissant pépiniéristes, bûcherons, transporteurs, scieurs, industriels de la construction, de l’isolation, de l’emballage, de l’énergie, qui en France représentent 440.000 emplois directs et indirects, soit 12,4% des emplois de l’industrie manufacturière, et assure environ 60 millions de chiffre d’affaires par an. "Ainsi, au moment où notre pays s’engage dans un développement de l’économie bas-carbone, il est attendu des forêts qu’elles fournissent le matériau se substituant aux autres plus énergivores (béton, ciment, plastique…), sans pour autant remettre en cause leurs fonctions biologiques", relèvent les députées. Une sorte de quadrature du cercle, en somme. "La filière forêt-bois fait face à un double défi : s’adapter au dérèglement climatique sans savoir réellement de quelles essences elle disposera à moyen et long terme, et constituer elle-même une réponse au dérèglement climatique, notamment en fournissant et en transformant des matériaux biosourcés", constate de fait Sophie Panonacle.
Trois grandes thématiques
La mission formule 39 propositions en vue d’adapter les politiques de gestion et de valorisation des forêts au changement climatique structurées en trois grandes thématiques : "gérer les conséquences pour la filière bois des évolutions forestières provoquées par le changement climatique" ; "développer de nouveaux outils de gestion forestière pour mieux appréhender les effets du changement climatique" ; "protéger la forêt des incendies et renforcer le dialogue et la connaissance du public autour des enjeux forestiers".
"L'objectif est d'accompagner l'adaptation plutôt que proférer des mesures radicales", prévient Sophie Panonacle. Certaines des propositions pourraient se retrouver dans le texte sur le renforcement de la prévention et la lutte contre les incendies déjà adopté par le Sénat et que les députés vont examiner en séance à partir de ce 15 mai.
Faciliter l'accès aux données cadastrales
Parmi les dispositions intéressant les collectivités, on relèvera celle visant à compléter l’article L. 166-G du livre des procédures fiscales afin de donner aux experts forestiers et aux groupements locaux de propriétaires forestiers la possibilité d’accéder aux données cadastrales de manière rapide et simplifiée quand les parcelles forestières sont attaquées par des parasites, comme l'illustre la crise des scolytes. La mission a en effet relevé qu'"en dépit de la loi, certaines mairies refusent sans fondement juridique l’accès au cadastre, ce qui oblige les demandeurs à ouvrir une procédure administrative à leur encontre". Or, dans de telles situations, il faut se donner les moyens de détecter au plus vite les parasites dans les parcelles de forêts privées, qui forment la grande majorité des propriétés.
Dans le cas spécifique de la forêt guyanaise, "qui résume bien la contradiction à résoudre entre d’une part le maintien d’un puits de carbone et la protection de la biodiversité, d’autre part le développement économique", la mission appelle à renforcer les effectifs de l’ONF, à "définir un nouvel équilibre entre protection de la forêt et son exploitation économique raisonnée et mieux associer les élus et les populations locales à sa gestion".
Encourager le bois de construction
Concernant la prise en compte du dérèglement climatique dans l'organisation de la filière forêt-bois, la mission juge "difficile de concevoir le bois‑énergie comme autre chose qu’un complément à d’autres usages, par exemple de la construction". "En aucun cas il n’apparaît pouvoir être la destination prioritaire de la transformation du bois, malgré l’émergence de nouveaux produits, comme les biocarburants à base de bois et le développement de chaufferies en biomasse". Sans plus de détails, elle appelle à "intensifier la lutte contre le braconnage de bois". Elle recommande aussi de "redéployer une partie des aides publiques portant sur le bois‑énergie vers le bois de construction et la filière de transformation primaire".
Alors que les sols des forêts sont également ces sols menacés par certaines pratiques (mécanisation lourde entraînant leur tassement, grandes coupes rases, dessouchage, exportation des menus bois, etc.), les députées jugent "plus judicieux de mieux conditionner les aides publiques nationales et régionales pour encourager l’équipement en matériel à faible impact, comme les matériels d’abattage et de débusquage de moins de 10 tonnes, les porteurs de moins de 25 tonnes et les filières spécifiques (débardage à cheval, cable-mât)". De manière générale, les aides publiques en faveur de la filière forêt-bois devraient être mieux ciblées, estime le rapport.
Les députées proposent également la création et le financement d'une nouvelle mission d’intérêt général (MIG) confiée à l’ONF en faveur du renouvellement des peuplements forestiers et de la protection des forêts face au changement climatique. L'ONF l'a chiffrée à près de 40 millions d’euros supplémentaires par an.
Aides au reboisement élargies aux parcs naturels régionaux
La mission propose en outre d'élargir l’éligibilité des aides au reboisement aux acteurs locaux, comme les parcs naturels régionaux, qui portent des projets de gestion durable des forêts. Pour faciliter l'utilisation de bois local par les collectivités, elle préconise d'introduire à l’article L.2111-1 du code de la commande publique un poids minimum obligatoire consacré aux critères environnementaux et sociaux dans la pondération des marchés publics. Concernant les aménités environnementales de la forêt (biodiversité, qualité et quantité d’eau, séquestration de carbone…), elle suggère d'encourager les expériences visant à établir une rémunération de ces aménités et d'en tirer un bilan détaillé, notamment au niveau des mécanismes possibles de rémunération.
Pour adapter les outils de politique forestière au changement climatique, les députées proposent d'abaisser à 20 hectares (contre 25 aujourd'hui) le seuil obligatoire des plans simples de gestion (PSG) et d'introduire de nouveaux volets obligatoires dans les documents de gestion durable et dans les schémas régionaux de gestion sylvicole (SRGS), qui exposent les grandes règles de gestion des forêts privées, notamment en ce qui concerne la biodiversité, l’adaptation au changement climatique et la lutte contre les incendies.
Plans de gestion collectifs par massifs forestiers
En termes de gouvernance forestière, la mission propose d'expérimenter la mise en place de plans de gestion collectifs par massif forestier ayant notamment pour objectif de favoriser l’adaptation des forêts au changement climatique. "La réflexion sur un mode de gestion plus collectif des forêts n’est pas nouvelle, note le rapport. La Fédération nationale des communes forestières la porte depuis longtemps, considérant qu’elle constituerait une simplification administrative." Compte tenu du morcellement de la propriété forestière – les forêts privées représentent les trois-quarts des surfaces contre 16% pour les forêts de collectivités et d'établissements publics et 9% pour les forêts domaniales -, Sophie Panonacle voit surtout dans ces plans de gestion "un moyen, sur ce sujet éminemment sociétal qu’est la politique forestière, d’associer dans un espace géographique donné, une partie des acteurs autour des questions de peuplement, de biodiversité, d’exploitation, de valorisation du bois, etc, pour donner un sens à l’entretien et l’exploitation d’un massif". De tels dispositifs existent déjà du reste au sein des parcs naturels régionaux "mais il faudrait les amplifier", soutient-elle. "Dans un souci de préservation du couvert forestier et de gestion durable des forêts", la mission préconise en outre d'"étendre le droit de préemption des collectivités publiques et de l’État".
Feux de forêt : plus de prévention et de moyens d'action
Pour renforcer la prévention et l’action face aux feux de forêt, elle recommande d'augmenter le nombre de plans de prévention des risques d’incendie de forêt (Pprif) en simplifiant leurs modalités d’élaboration, de modification et de révision et d'accompagner l’ensemble des acteurs concernés dans la mise en place de dispositifs relatifs à la défense de la forêt contre les incendies (DFCI) dans les massifs.
Elle demande aussi à ce que les employeurs et les collectivités territoriales soient mieux accompagnés afin d’encourager l’engagement des sapeurs-pompiers volontaires sur l’ensemble du territoire. La rapporteure a aussi noté que la concentration des moyens techniques et matériels est "largement inégale". "Actuellement, près de 45% du parc de camions citernes forestiers (CCF) est regroupé dans seize départements, relève-t-elle. Il est urgent de renforcer les moyens matériels sur l’ensemble du territoire". La mission propose donc de soutenir les départements dans l’investissement en moyens matériels de prévention et de lutte contre les incendies et d'assurer également une répartition équitable des moyens aériens sur l’ensemble du territoire alors qu'aujourd'hui la flotte est prépositionnée sur la seule base aérienne de la sécurité civile de Nîmes-Garons.
"Le retour d’expérience après les feux de 2022 démontre la nécessité d’une politique concertée d’aménagement des massifs forestiers", souligne encore le rapport qui préconise de dégager un espace libre d’arbres, au minimum sur 7 mètres de largeur de chaque côté des routes, et de veiller à mettre en place des voies d’accès en forêt pour les sapeurs-pompiers.
La rapporteure met aussi en avant "l’importance d’une gestion intégrée du risque d'incendie afin de faire émerger une sylviculture préventive prenant en compte l’objectif de réduction de la combustibilité des structures végétales, le maintien des paysages emblématiques et les enjeux de la filière-bois". Pour y parvenir, la mission préconise d''institutionnaliser les concertations entre l’ensemble des parties prenantes". Il faudrait en outre "renforcer le taux de réalisation des obligations légales de débroussaillement en accompagnant les maires dans la sensibilisation des populations et par l’association des propriétaires forestiers à cette obligation".
Coupes rases mieux encadrées
Pour encadrer les coupes rases - l’abattage de l’ensemble des arbres d’une parcelle-, une pratique qui est surtout le fait des propriétaires privés et qui peut entraîner de vives controverses au niveau local, la mission propose de modifier l’article L.124-5 du code forestier pour soumettre à autorisation préfectorale toute coupe d’un seul tenant égale ou supérieure à 2 hectares, que la forêt présente ou non une garantie de gestion durable, après avis du Conseil national de la propriété forestière (CNPF) lorsqu’il s’agit de forêts privées. En complément, elle préconise aussi de modifier l’article R. 718-27 du code rural et de la pêche maritime en prévoyant qu’après réception de la copie l’informant de la déclaration d’un chantier forestier, le maire puisse demander au CNPF ou au Centre régional de propriété forestière (CRPF) de procéder à un diagnostic de dépérissement ou de maturité des arbres de la parcelle visée par les coupes. En cas d’avis négatif du CNPF ou du CRPF, la coupe ne pourrait être effectuée.
Enfin, la mission propose d'instaurer chaque 21 mars, à l’occasion de la Journée internationale des forêts décidée par l’ONU, une "Fête de la forêt" qui "constituerait l’occasion d’activités ludiques, artistiques et pédagogiques autour de l’arbre, de la forêt en tant qu’écosystème et du bois".