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Social - Services à la personne : la Cour des comptes veut cibler les aides, le Sénat les double

La Cour des comptes a remis son rapport sur "Le développement des services à la personne". Celui-ci lui avait été commandé par le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l'Assemblée nationale, devant lequel Didier Migaud, le premier président de la Cour, a présenté ses conclusions, le 10 juillet. L'enjeu est loin d'être anodin, puisque la politique de soutien aux services à la personne représentait, en 2012, environ six milliards d'euros de mesures sociales et fiscales.

Les aides ont un impact limité sur l'emploi

Les observations de la Cour des comptes tiennent en quatre points principaux, assortis d'une douzaine de propositions. La première observation concerne l'absence d'articulation entre les deux objectifs des aides aux services à la personne : le soutien à l'emploi et la solidarité avec les publics fragiles (personnes âgées, personnes handicapées et familles avec enfants en bas âge). La Cour propose donc de mieux articuler ces deux objectifs en les dotant d'indicateurs de résultats et, surtout, d'unifier les deux régimes qui régissent les services à la personne - le régime d'autorisation et le régime d'agrément - ce qui constituerait à la fois une réelle simplification et une petite révolution.
Seconde observation de la Cour : l'impact limité, sur l'emploi, des aides accordées. Certes, le rapport reconnaît que cet impact "ne saurait être considéré comme inexistant", puisque la part des emplois correspondants dans l'emploi total n'a cessé de progresser et continue de le faire depuis le début de la crise en 2008. Mais la mesure de cet impact est "assez peu précise" et "l'effet des mesures demeure limité". Selon la Cour, "seule une petite moitié des 500.000 emplois envisagés dans le plan de 2005 [plan Borloo, ndlr] a été créée". Pourtant, les aides fiscales et sociales représentent environ 4.500 euros en moyenne par personne et 11.800 euros par emploi en équivalent temps plein, "soit un niveau correspondant au haut de la fourchette des contrats aidés et proche de celui des bénéficiaires d'allocations de retour à l'emploi".
Dans la polémique sur l'impact des récentes mesures de durcissement des avantages en faveur des emplois de services à la personne, la Cour conclut à un match nul. D'un côté, elle estime que "l'examen approfondi des données détaillées fournies par l'Acoss indique que la suppression de l'abattement de 15 points de cotisations et du calcul forfaitaire des cotisations, respectivement mis en oeuvre en 2011 et en 2013, n'a sans doute pas eu un impact aussi grand qu'on le prétend" (allusion aux protestations de la Fédération des particuliers employeurs). Mais, de l'autre côte, elle relève "que depuis ces suppressions, les particuliers employeurs bénéficient d'un niveau d'aide moins élevé que les organismes de services à la personne" (allusion aux protestations des associations d'aide à domicile qui estiment que les particuliers employeurs bénéficient de mesures plus favorables).
Sur cette question sensible de l'impact sur l'emploi, le rapport préconise notamment de simplifier les démarches des employeurs, de développer le Cesu (chèque emploi service universel) préfinancé et, de façon plus large, tous les mécanismes de tiers payant.

La professionnalisation pour renforcer l'attractivité du secteur

La troisième observation de la Cour concerne la professionnalisation et la structuration des métiers, qui sont "des enjeux clés pour améliorer l'attractivité du secteur". La question est stratégique, car le nombre actuel de 550.000 intervenants à domicile auprès des personnes âgées en perte d'autonomie "est manifestement insuffisant pour faire face aux besoins liés au maintien à domicile". Le rapport préconise donc de réduire les incitations à l'activité des services mandataires (qui correspond à la situation où le particulier est l'employeur, le service mandataire assurant les formalités) et d'harmoniser ou de fusionner les trois conventions collectives qui régissent actuellement le secteur.
La Cour appelle également à la mise en place de nouvelles modalités de tarification - comme le prévoit le projet de loi Vieillissement - et à la mise en place de passerelles entre les métiers du service à la personne. Au passage, le rapport juge que "les tarifs fixés par les collectivités territoriales évoluent de façon peu dynamique".

Remèdes de choc pour contenir les dépenses

Enfin, dans sa quatrième observation, la Cour estime qu'"un meilleur ciblage des mesures de soutien pourrait soutenir l'offre de services aux personnes fragiles, sans défavoriser l'emploi". Le coût des différents dispositifs - sept dépenses fiscales et quatre niches sociales ! - a en effet doublé en dix ans (en euros constants), "alors que l'emploi a connu une évolution beaucoup moins forte". Après une baisse en 2011 et 2012, ces coûts sont à nouveau orientés à la hausse depuis 2013, avec une perspective de 6,5 milliards d'euros en 2014.
Pour contenir la dépense, la Cour des comptes propose plusieurs mesures. La première consiste à limiter le champ des services bénéficiant d'un soutien financier public, autrement dit la liste actuelle des 23 activités éligibles (dont les petits travaux de jardinage, les prestations "homme tout main", le soutien scolaire à domicile...).
La seconde proposition risque aussi de susciter des réactions, puisqu'elle consisterait à remettre en cause une mesure remontant à 1948 et qui permet aux personnes de plus 70 ans de bénéficier d'une exonération des cotisations employeur sur le seul motif de l'âge et non de la fragilité. La suppression de cette mesure permettrait une économie de 250 à 300 millions d'euros. Cette économie serait ramenée à 100 millions d'euros en cas de maintien de l'exonération, mais d'un report de l'âge de déclenchement à 80 ans (le rapport faisant valoir que l'espérance de vie en bonne santé a beaucoup augmenté depuis 1948, sans que le seuil soit révisé). La Cour prend bien soin de préciser que "l'exonération de cotisations patronales pour les publics fragiles (titulaires de l'allocation personnalisée d'autonomie, de l'aide-ménagère ou de la prestation de compensation du handicap) resterait inchangée".
Dernière mesure préconisée pour limiter le coût fiscal et social : un abaissement du plafond des dépenses éligibles au crédit d'impôt, qui est aujourd'hui de 12.000 euros par an. Le rapport propose plusieurs scénarios possibles, selon la cible et les seuils retenus. A titre d'exemple, un abaissement du plafond annuel à 4.000 euros pour les publics non prioritaires (soit l'équivalent d'environ cinq heures de prestations par semaine) engendrerait une économie de 670 millions d'euros par an (et de 935 millions si le plafond est abaissé à 3.000 euros). Dans tous les cas de figure, le plafond de 12.000 euros serait maintenu pour les personnes fragiles et les personnes avec enfants.

La commission des affaires sociales du Sénat double la déduction sociale

Le 9 juillet - autrement dit la veille de la présentation du rapport à l'Assemblée -, les membres de la commission des affaires sociales du Sénat ont adopté, à l'unanimité, un amendement au projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 qui ne va pas vraiment dans le sens des préconisations de la Cour des comptes.
En effet, cet amendement à l'article 2 du PLFRSS double la réduction des cotisations sociales applicables aux particuliers employeurs. Celle-ci passerait ainsi, dès le 1er septembre 2014, de 0,75 euro à 1,50 euro par heure travaillée. Il s'agit là de la mise en œuvre d'un engagement du gouvernement. Celui-ci s'est en effet engagé - par la voix de Christian Eckert, le secrétaire d'Etat chargé du Budget - à faire un geste sur la question et, plus précisément, "à examiner avec le Parlement la possibilité, en tenant compte des contraintes budgétaires, d'aller au-delà de ces 75 centimes de réduction" (voir notre article ci-contre du 4 juin 2014).
Si le principe d'un relèvement de la déduction semble ainsi acquis face à la dégradation de l'emploi à domicile (voir notre article ci-contre du 14 avril 2014), il reste à savoir si le gouvernement suivra le Sénat sur le principe d'un doublement, lors de la discussion en séance à partir du 15 juillet. Et, dans l'affirmative, il restera à connaître le "gage", Christian Eckert ayant toujours indiqué que la mesure devrait être compensée. Le rapport de la Cour des comptes pourrait peut-être donner quelques idées...

 

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