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Sieg - Quand le droit européen se retourne contre les services publics locaux

Les collectivités ont su s'adapter aux nouvelles règles européennes sur les aides aux Sieg (services économiques d'intérêt général) contenues dans le "paquet Almunia" de 2011. C'est ce qui ressort du rapport bisannuel de la France récemment publié par Bruxelles. Ces règles sont venues sécuriser le financement de ces services, notamment les services sociaux d'intérêt général (garde d'enfants, logement social, formation...). Mais le mécanisme comporte des failles que les cabinets d'avocats ont su utiliser à des fins parfois "opportunistes". C'est le cas dans le domaine du logement. Décryptage.

Quatre ans après l'entrée en vigueur du "paquet Almunia", la Commission a récemment publié les rapports bisannuels des Etats membres sur la mise en œuvre de ces nouvelles règles régissant les services économiques d'intérêt général (Sieg). C'est-à-dire les prestations de service public réalisées par des acteurs privés (entreprises, associations…), ouvrant droit à compensation. On peut s'étonner de la publication tardive de ces rapports qui datent de 2014. Sans doute la Commission n'a-t-elle pas voulu rouvrir trop tôt ce débat complexe en raison des priorités du moment : crise grecque, afflux de réfugiés… Le but de l'exercice est d'apporter d'éventuels aménagements. Ce ne sera pas avant 2016. Mais une chose est sûre : il n'y aura pas de grand chantier comme en 2011.
Le rapport remis par la France traite tout particulièrement de l'adaptation des services sociaux d'intérêt général (SSIG), la branche des Sieg qui intéresse au plus près les collectivités puisqu'ils répondent à des "besoins sociaux". Ces services sont désormais exemptés de notification à Bruxelles, comme l'étaient auparavant uniquement les hôpitaux et le logement social (cette exemption vaut également pour toutes les aides aux Sieg inférieures à 500.000 euros sur trois ans, dites "aides de minimis"). Le paquet Almunia, adopté le 20 décembre 2011, liste cinq domaines d'intervention relevant des SSIG : les soins de santé et de longue durée, la garde d'enfants, l'accès et la réinsertion sur le marché du travail, le logement social et les soins et l'inclusion sociale des groupes vulnérables. Cette qualification permet aux collectivités de se passer de la procédure d'appel d'offres. Encore faut-il que les prestataires aient été "mandatés", une notion jusqu'ici étrangère aux pratiques françaises. Autre impératif : il ne doit pas y avoir de "surcompensation" du coût de la mission de service public, qui constituerait alors une distorsion de la concurrence.

Une adaptation en douceur

Dans tous ces domaines, le rapport français montre que les collectivités ont su s'adapter en douceur aux nouvelles règles, en votant des délibérations créant l'acte de mandatement. Concernant la garde d'enfants, un peu plus du quart des prestations sont concernées puisque 69% des places sont gérées en régie. Le secteur associatif gère 26% de ce parc, bien plus que les entreprises de crèche (4%) ou des entreprises en gestion directe (1%). Le mandat prend ici deux formes : des conventions pluriannuelles (généralement de quatre ans) passées avec la CAF (les établissements sont alors financés par la branche famille de la sécurité sociale), et des marchés publics et délégations de service public. 10 à 15% des communes qui gèrent un établissement d'accueil de jeunes enfants ont recours à la gestion déléguée, selon une étude de la Cnaf de 2013. En matière de santé, le "mandat" s'est concrétisé dans les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens passés avec les agences régionales de santé (ARS). Il en va de même en ce qui concerne la formation. Les régions sélectionnent leurs prestataires par appel à projets et passent avec eux des conventions d'objectifs et de moyens annuelles ou pluriannuelles (en général cinq ans) constituant leur mandat. La compensation pour ce type de Sieg passe par la subvention directe. Avant la réforme de la formation professionnelle, près d'un tiers des régions avaient déjà mis en œuvre un Sieg. La loi du 5 mars 2014 est venue encadrer cette pratique en autorisant les Sieg pour les actions d'insertion et de formation "des jeunes et des adultes rencontrant des difficultés d'apprentissage ou d'insertion". L'habilitation est délivrée pour cinq ans maximum.

Bénéfice raisonnable

Les autorités françaises estiment cependant que la notion de Sieg "gagnerait à prévoir un cadrage méthodologique plus fin concernant tant la distinction à opérer entre activités Sieg/non-Sieg que la définition du caractère non raisonnable du bénéfice, au regard de l'origine des capitaux (nécessité d'un rendement supérieur des fonds privés)". Cette question du bénéfice est en effet sujette à interprétation : le prestataire qui perçoit une compensation peut dégager un léger bénéfice. Pour les entreprises, il s'agit "du taux de rémunération des capitaux compte tenu du risque ou de l'absence de risque lié à l'octroi de droits exclusifs ou spéciaux". Pour les associations, elle est évaluée au regard de leurs fonds propres. Interrogée par Localtis, la Fédération de la formation professionnelle (FFP) relève un "point de vigilance" sur cette question. Car certains Sieg de formation créés par les régions n'autorisent aucun bénéfice. Ce qui, selon la FFP, peut "créer un risque économique ouvrant la porte à des dérives dans les déclarations des coûts engagés suivies de contrôles de surcompensation intrusifs". "Le modèle économique n'est alors pas viable", souligne-t-elle, rappelant que le bénéfice raisonnable est "tout à fait permis et garantit la pérennité de l'opérateur ainsi que la qualité de sa prestation".

Un moyen d'attaquer des organismes HLM

Paradoxalement, le paquet Almunia, qui visait à sécuriser les investissements dans les Sieg, a quelquefois abouti à l'effet inverse. Des cabinets d'avocats ont su s'engouffrer dans ces failles, en particulier dans le logement social. "Ils utilisent pleinement ce moyen pour attaquer des organismes ou des projets spécifiques, c'est devenu un moyen de droit commun, il suffit d'envoyer un mail à la DG Concurrence", commente Laurent Ghekiere, directeur des affaires européennes de l'Union sociale pour l'habitat et spécialiste de ces questions.
A deux reprises, l'Union nationale de la propriété immobilière (Unpi) a ainsi déposé plainte à Bruxelles contre l'Etat français pour distorsion de concurrence dans le logement social. En cause : la notion large de logement social en France - qui ne cible pas uniquement les ménages les plus modestes - et le non-respect de l'absence de surcompensation de deux organismes HLM. Ces actions s'inscrivent dans le prolongement d'affaires similaires en Suède, en Belgique, au Luxembourg ou aux Pays-Bas. Avec des conséquences importantes : les Pays-Bas ont été amenés à réorienter leur parc vers les plus modestes. Mais ce n'est pas tout, des riverains de Saint-Cloud en région parisienne ont également saisi la justice contre un projet de logement social, arguant que la garantie d'emprunt de la commune accordé à la société Logement Francilien et le permis de construire étaient illégaux. Dans un jugement du 7 juillet 2014, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a toutefois rejeté la requête au motif que les requérants ne démontraient pas avoir la qualité de contribuables locaux leur donnant intérêt pour agir. Le juge a aussi rappelé que la garantie d'emprunt ne constituait pas une aide d'Etat mais la compensation de prestations effectuées pour exécuter des obligations relevant d'un Sieg de logement social. "Ces affaires soulèvent le risque d'une instrumentalisation et d'opportunismes qui peuvent s'avérer longs, bloquant les projets. Il faudrait définir plus d'exigences sur la recevabilité des plaintes", estime Laurent Ghekiere.

Transformation de l'Afpa en Epic

Dans le domaine de la formation, le problème se pose différemment. C'est l'Afpa (Association nationale pour la formation professionnelle des adultes) qui est dans le viseur des entreprises. La loi du 17 août 2015 sur le dialogue social autorise le gouvernement à prendre une ordonnance pour la transformer en établissement public industriel et commercial (Epic). La FFP - qui dit être en relation avec les services de la Commission - a demandé à être associée à ce travail. Afin qu'il se fasse "en toute transparence". L'Afpa est en effet dans une situation ambiguë puisqu'elle est à la fois membre du service public de l'emploi, reconnu en tant que tel par la loi du 17 août, et en même temps "le premier opérateur de la formation professionnelle et première association subventionnée de France", rappelle la fédération. Lors du conseil d'orientation de l'Afpa en mai dernier, l'ancien ministre du Travail François Rebsamen avait assuré qu'il veillerait à établir "une séparation stricte entre les activités subventionnées et les activités relevant de l'achat concurrentiel qu'il soit public ou privé". L'Epic serait ainsi amené à reprendre les activités de service public de l'Afpa, tandis que les activités de marché seraient confiées à une filiale. La FFP reste "vigilante aussi bien sur la gouvernance du futur Epic que sur le contenu des missions" qui vont lui être confiées dans le cadre de cette ordonnance. "Aucune prestation de formation ne doit pouvoir relever d'un marché captif", prévient Jean Wemaëre, le président de la FFP.

 

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