Culture - Projet de loi Création : l'Assemblée modifie et adopte le texte en seconde lecture
Après son adoption par la commission des affaires culturelles et de l'éducation - qui a voté une soixantaine d'amendements et est largement revenue à la version initiale du texte (voir notre article ci-contre du 22 mars 2016) -, l'Assemblée nationale a adopté à son tour, le 23 mars, le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine. Comme en commission, les députés ont retenu une soixantaine d'amendements, dont plusieurs intéressent très directement les collectivités territoriales.
Pratique amateur : une garantie contre la présomption de salariat
Ainsi, un amendement du gouvernement (n°399, art. 11A) porte sur une question qui avait suscité de vives inquiétudes dans les premiers temps d'élaboration du projet de loi (voir notre article ci-contre du 7 février 2014). Il s'agit en l'occurrence de la pratique amateur dans le spectacle vivant. Plus prosaïquement, le débat porte sur l'emploi d'artistes ou de groupes d'artistes amateurs dans des spectacles payants. Ce n'est pas un hasard si les protestations les plus vives étaient venues, en 2014, du Puy-du-Fou, l'un des principaux spectacles utilisateurs d'artistes amateurs (3.400 bénévoles et 1.375 salariés).
La solution proposée par l'amendement du gouvernement, qui réécrit l'article initial, prévoit notamment que les structures de création, de production, de diffusion peuvent avoir recours à un ou plusieurs amateurs considérés en tant qu'individus, ou à des groupements d'amateurs structurés sous forme associative, sans les rémunérer, dès lors que ces structures ont une mission d'accompagnement, de valorisation de la pratique amateur ou de projets pédagogiques. Ceci doit protéger les intéressés du risque de requalification en salariat.
Dans le champ non lucratif - par exemple les festivals de pratiques en amateur -, la recette attribuée aux groupements d'amateurs pourra être affectée aux frais engagés par ces groupements pour les représentations concernées, mais aussi à l'ensemble de leurs activités, y compris caritatives. Audrey Azoulay, la ministre de la Culture, et Patrick Bloche, rapporteur de la commission des affaires culturelles, ont souligné le caractère "équilibré" du dispositif, rejoints en cela par des députés de l'opposition.
Archéologie préventive : la perspective d'un accord en CMP s'éloigne
L'Assemblée s'est également longuement penchée sur les dispositions - très contestées au Sénat - relatives à l'archéologie préventive et, plus précisément à l'Inrap (Institut de recherches archéologiques préventives). La commission des affaires culturelles était déjà revenue sur la quasi-totalité des dispositions et modifications introduites par le Sénat (voir nos articles ci-contre du 2 février et du 22 mars 2016). En séance publique, les députés ont écarté tous les amendements de l'opposition qui tentaient de rétablir les modifications introduites par le Sénat.
Le seul amendement adopté sur la question émane du gouvernement (n°292, art. 20). Il supprime l'inclusion des "zones de présomption de prescription archéologique" dans les annexes du plan local d'urbanisme ou du document d'urbanisme en tenant lieu, ou de la carte communale. Pour écarter cette disposition, introduite par le Sénat, l'exposé des motifs fait valoir que "les zones de présomption de prescription archéologique ont vocation à figurer dans le géoportail du ministère chargé de l'urbanisme qui sera accessible à l'ensemble des citoyens". Devant ces positions très tranchées autour de l'archéologie préventive, Patrick Bloche dit redouter "quelques difficultés" pour trouver un accord en commission mixte paritaire (CMP).
Encore un changement de nom...
Un autre amendement du gouvernement (n°237, art. 22) modifie une nouvelle fois la dénomination du nouveau dispositif de protection destiné à fondre dans un seul ensemble les secteurs sauvegardés, les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (Avap) et les zones de protection du patrimoine architectural urbain et paysager (ZPPAUP).
Initialement dénommé "cités historiques" - ce qui a suscité une levée de boucliers -, il a été rebaptisé "sites patrimoniaux protégés" au Sénat, puis "sites patrimoniaux remarquables" à l'Assemblée. En attendant le prochain amendement ?...
Sur le fond, le dispositif des "sites patrimoniaux remarquables" semble désormais stabilisé. Seul un amendement du rapporteur (n°234, art. 24) a apporté une modification ponctuelle, en étendant la protection prévue au titre des sites patrimoniaux protégés aux villes, villages ou quartiers dont la réhabilitation présente un intérêt public.
Possibilité de délégation aux communes pour les PVAP
Par ailleurs, un amendement (n°245, art. 24) précise - en reprenant la disposition adoptée par le Sénat - les modalités de gestion et d'exploitation de la marque et du droit à l'image
des domaines nationaux. Si une redevance peut être demandée pour une exploitation commerciale, l'article ainsi revu prévoit des exceptions, afin d'exclure de toute autorisation et, plus encore, de toute redevance l'utilisation de l'image d'un domaine national par les médias, mais aussi à des fins pédagogiques, d'enseignement et de recherche et, bien sûr, à des fins culturelles et artistiques.
Sur les plans de valorisation de l'architecture et du patrimoine (PVAP), les députés ont adopté un amendement du rapporteur (n°386, art 24) prévoyant que l'autorité compétente en matière de PLU - le plus souvent l'EPCI - peut déléguer l'élaboration, la révision ou la modification du PVAP à la commune concernée qui en fait la demande.
Sur le régime des travaux dans le périmètre d'un site patrimonial protégé, un amendement du gouvernement (n°242, art. 24) rétablit la règle du "silence vaut acceptation" dans la procédure de recours devant le préfet de région contre l'avis de l'architecte des Bâtiments de France. Si la mesure va dans le sens général de la protection des citoyens contre une inertie éventuelle de l'administration, elle affaiblit néanmoins la protection du patrimoine.
Une dérogation aux règles d'urbanisme pour les OIN
Toujours en matière d'urbanisme, deux autres amendements sont à signaler. Le premier, présenté par le gouvernement (n°407, art. 26 quater), remplace le terme "surface de plancher" par "superficie de terrain" dans la manière d'appréhender le seuil en deçà duquel le recours à l'architecte n'est pas obligatoire. L'argument avancé dans l'exposé des motifs est que "la superficie de terrain est la seule information connue avec certitude lors du dépôt du permis d'aménager".
Le second, déposé par Noël Mamère (n°187, art. 26 undecies) et sous-amendé par le gouvernement, donne à l'Etat et aux collectivités territoriales - à titre expérimental et uniquement dans le cadre d'opérations d'intérêt national (OIN) - la possibilité de déroger aux règles d'urbanisme applicables à leurs projets, "si ceux-ci présentent une innovation technique ou organisationnelle et dès lors que leur sont substitués des résultats à atteindre au moins similaires aux objectifs sous-jacents auxdites règles".
Toujours les éoliennes...
Enfin, pas moins de cinq amendements similaires - émanant du gouvernement, du groupe socialiste, des Ecologistes et de l'UDI - ont fait un sort à la protection du patrimoine contre les éoliennes (voir notre article ci-contre du 24 mars 2016). L'amendement du Sénat prévoyant, après l'affaire des éoliennes du Mont Saint-Michel - stoppée par la menace de l'Unesco de retirer le site de la liste du patrimoine mondial -, la nécessité d'un avis conforme de l'architecte des Bâtiments de France pour tout projet visible dans un périmètre de dix kilomètres autour d'un monument inscrit ou classé, s'était déjà transformé, en commission des affaires culturelles de l'Assemblée, en un simple avis, non contraignant de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture (voir notre article ci-contre du 22 mars 2016). Les amendements évoqués supra ont supprimé l'article correspondant, faisant disparaître du même coup toute protection spécifique au titre du code du patrimoine.
Jean-Noël Escudié / PCA
Référence : projet de loi relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (adopté en seconde lecture par l'Assemblée nationale le 23 mars 2016).