Social - Prime d'activité : pas encore installée et déjà réformée
Jean-Marc Ayrault et les 160 députés socialistes signataires de l'amendement, devenu désormais l'article 34 du projet de loi de finances pour 2016, ont finalement fait céder le gouvernement et obtenu une baisse de la CSG pour les salariés à revenus modestes du secteur privé et du secteur public. Cette première mesure pourrait déboucher à terme - même si le gouvernement entendu s'y opposer - sur une véritable progressivité de la CSG. A la différence de l'impôt progressif sur le revenu, la CSG est en effet un impôt - ou une cotisation sociale ? - proportionnelle, calculée selon un taux identique pour tous les revenus, exception faite de certaines situations particulières comme les retraités.
Un dispositif mixte social/fiscal
En soi, la réforme de la CSG est une mesure fiscale nationale qui n'a pas d'incidence directe sur les acteurs locaux. Mais s'arrêter là serait oublier que la réforme va avoir un impact considérable sur la prime d'activité, née de la fusion du RSA activité et de la prime pour l'emploi, et qui doit voir le jour le 1er janvier 2016 (voir nos articles ci-contre sur le contenu de cette prestation).
En effet, dans la réforme projetée, une partie de la prime d'activité serait réglée sous la forme d'une baisse de la CSG. La prime pourrait donc comporter deux composantes : une prestation pécuniaire classique (à l'image du RSA activité et de la PPE) et une déduction fiscale apparaissant sur le bulletin de salaire et se traduisant par une augmentation de la rémunération nette. A ce chevauchement technique, s'ajouterait une succession temporelle. La baisse de la CSG devrait en effet s'appliquer seulement à partir du 1er janvier 2017. L'année 2016 verrait donc la mise en place de la prime d'activité dans la forme prévue par la loi Rebsamen du 17 août 2015 (loi relative au dialogue social et à l'emploi), avant de changer radicalement de logique l'année suivante, et cela dans un modèle mixte jusqu'alors inédit.
Des problèmes techniques particulièrement ardus pour les CAF
Même si elle est reportée d'un an - une application au 1er janvier 2016 aurait engendré un véritable chaos -, la nouvelle prime d'activité mixée avec la CSG ne va pas manquer de poser aux CAF - qui vont servir la prestation même si elle est financée par l'Etat - des problèmes techniques particulièrement ardus. Ainsi, le dispositif de prime d'activité mis en place à partir du 1er janvier 2016 fonctionne sur le système classique de l'exploitation des DTR (déclarations trimestrielles de ressources), parfaitement bien maîtrisée par les CAF.
Tout devrait changer à partir du 1er janvier 2017, dans la mesure où la partie "prestation pécuniaire" de la prime d'activité deviendra une sorte d'allocation différentielle : le solde restant dû entre le montant calculé de la prime d'activité (en fonction des revenus, de la situation familiale...) et la réduction de CSG opérée sur le bulletin de salaire. Or les CAF n'ont pas accès aujourd'hui à ces informations. Il faudra donc imaginer une nouvelle tuyauterie pour les récupérer... Sans oublier bien sûr que le décalage entre les deux approches amènera inévitablement à des trop-perçus qui devront être remboursés, avec toutes les difficultés afférentes pour des personnes aux revenus modestes.
A cette difficulté majeure s'ajoutent d'autres problèmes techniques tout aussi complexes : nul ne sait, par exemple, comment appliquer la mesure aux salariés à employeurs multiples (chaque employeur ignorant ce que versent les autres) ou à ceux enchaînant des contrats courts (hors intérim, puisque, dans ce cas, c'est la société d'intérim qui assure les salaires).
Un risque constitutionnel
Autre risque, sur lequel le gouvernement a beaucoup insisté - sans succès - pour tenter de faire reculer les auteurs de l'amendement : celui d'une possible censure du Conseil constitutionnel. La crainte vient de la censure opérée en 2000 par le Conseil sur une première tentative de dégressivité de la CSG. Mais celle-ci était fondée sur une prise en compte partielle des ressources du foyer, qui rompait de ce fait le principe de l'égalité devant l'impôt. La nouvelle mouture de l'amendement devrait éviter cet obstacle, dans la mesure où la réforme de la CSG est étroitement liée à la prime d'activité, qui prend en compte la composition du foyer fiscal et l'ensemble de sa capacité contributive.
En revanche, le Conseil constitutionnel pourrait se montrer sourcilleux sur un autre aspect : les travailleurs indépendants étant exclus de la réforme de la CSG - en raison de leurs revenus souvent très irréguliers -, le Conseil pourrait y voir - à revenu annuel équivalent - un nouveau cas de rupture d'égalité devant l'impôt.
Une bombe à retardement budgétaire
Reste un dernier aspect, qui a tout de la bombe à retardement budgétaire. Le gouvernement de François Fillon, pour la création du RSA activité, comme celui de Manuel Valls pour la prime d'activité, avaient misé - sans le dire ouvertement - sur un taux de recours partiel à la prestation, qui s'est d'ailleurs parfaitement vérifié dans les faits pour le RSA activité (l'échec de cette prestation justifiant même la création de la prime d'activité, jugée plus simple et moins "stigmatisante").
La budgétisation de la prime d'activité - chiffrée à 4,2 milliards d'euros en 2017, soit l'addition de la PPE et du RSA activité - repose, pour sa part, sur un taux de recours à la prestation de 50%, au moins dans un premier temps. Avec le basculement sur la CSG, les employeurs devraient appliquer la baisse de CSG pour 100% des salariés concernés, autrement dit un doublement instantané du taux de "recours". Si cette hypothèse se confirme, il ne sera pas exagéré de parler d'un véritable choc budgétaire...
Que des perdants ?
Au final, cette réforme risque fort de ne faire que des perdants. L'ancien Premier ministre et les 160 cosignataires de son amendement voulaient clairement introduire une progressivité de la CSG, mais ils n'obtiennent en fait qu'un ersatz, la réforme ressemblant davantage à un abattement fiscal et laissant intacte la question d'une véritable progressivité organisée de la CSG.
De son côté, le gouvernement perd son bras de fer avec une bonne partie de sa majorité et risque de se retrouver à la tête d'une vraie bombe budgétaire à retardement.
Pour leur part, les CAF qui doivent déjà affronter la mise en place de la prime d'activité - avec environ 400.000 nouveaux allocataires jusqu'alors totalement inconnus des caisses (voir notre article ci-contre du 21 octobre 2015) - risquent de se retrouver confrontées à un nouveau défi technique, informatique et organisationnel encore plus complexe.
Enfin, les usagers - à qui l'on promettait simplification et lisibilité de la nouvelle prestation - risquent de se trouver face à une nouvelle usine à gaz...
Sans oublier la menace bien réelle d'une censure du Conseil constitutionnel, mais dont on finit par se demander si certains acteurs ne la souhaitent pas secrètement pour sortir de ce qui ressemble à une impasse.
Jean-Noël Escudié / PCA
Références : article 34 (numérotation provisoire) du projet de loi de finances pour 2016 (examiné par l'Assemblée nationale du 13 octobre au 17 novembre 2015).