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Politique pénale générale : Éric Dupond-Moretti insiste sur sa nécessaire territorialisation

Le garde des Sceaux a adressé ses consignes aux parquets : la lutte contre la délinquance du quotidien reste prioritaire, au même titre désormais que celle contre les atteintes portées à notre "patrimoine commun" – l’environnement et notre modèle républicain. Dans tous les cas, le ministre insiste sur la nécessaire adaptation de cette politique aux "enjeux territoriaux". Côté sanctions, les alternatives aux poursuites ou à l’incarcération doivent être privilégiées, notamment face à une situation des prisons jugée "critique".

Alors que le débat sur la montée de l’insécurité en France se fait vif, la circulaire de politique pénale générale que vient d’adresser le garde des Sceaux aux procureurs ne manquera pas d’apporter du grain à moudre aux défenseurs de la thèse. "Délinquance qui frappe au quotidien nos concitoyens", "recrudescence et gravité des attaques spécifiques qui visent les forces de l’ordre", "menaces émergeant de groupes criminels structurés et déterminés n’hésitant plus à défier les autorités", trafic de stupéfiants qui "impacte de manière très délétère notre société", contentieux liés aux violences familiales "dont l’ampleur a sans doute été trop peu mesurée", "développement de la prostitution des mineurs", "forte augmentation des affaires de viols ou agressions sexuelles dont ont connaissance les parquets depuis 2017", "progression constante de la cybercriminalité", "flux migratoires irréguliers [qui] ne cessent de prendre de l’ampleur et fragilisent notre pacte républicain", "résurgence du terrorisme d’inspiration jihadiste"… tels sont, entre autres, les différents symptômes diagnostiqués par le ministre de la Justice, et contre lesquels les procureurs sont invités à porter le fer. Le ministre leur fixe deux priorités : une justice "plus protectrice, pivot de la lutte contre la délinquance du quotidien" d’une part, et "au service d’une lutte plus visible contre les atteintes à notre patrimoine commun", d’autre part.

L’importance d’une politique pénale "territorialisée" face à la délinquance du quotidien

Comme lors du précédent mandat présidentiel, Éric Dupond-Moretti fait de la lutte contre la délinquance du quotidien l’action prioritaire de son ministère (v. notre article du 8 octobre 2020). Violences commises sur l’espace public ou dans les transports, outrages sexistes, dégradations, occupations illicites des halls d’immeubles, squats, cambriolages ou filouteries, mais aussi rodéos urbains ou atteintes aux dépositaires de l’autorité publique devront faire l’objet "d’une attention particulière". Dans cette lutte, l’accent est particulièrement mis sur la nécessaire adaptation aux "enjeux territoriaux", "une politique pénale territorialisée" étant souhaitée. Pour la conduire, le ministre rappelle les nécessaires poursuites et approfondissements du dialogue avec l’ensemble des acteurs de la société civile de proximité, et singulièrement des élus, "en premier lieu avec les maires et les présidents de conseils départementaux". Le recours aux instances partenariales (dont le fonctionnement est parfois décrié – v. notre article du 24 février) est également "encouragé".

De même, trafic de stupéfiants (toujours en favorisant le recours à l’amende forfaitaire délictuelle pour lutter contre la demande – v. notre article du 28 septembre 2020) et atteintes graves aux personnes, notamment commises dans la sphère familiale, doivent faire l’objet d’une attention soutenue. Et face au "développement exponentiel de l’usage des réseaux sociaux", les actions devront plus particulièrement cibler les discours de haine ou appelant à la discrimination.

Une lutte "plus visible" contre les atteintes au "patrimoine commun"

Par ce patrimoine commun, il faut "avant tout" entendre "cadre de vie et protection de l’environnement". Dans la droite ligne de la présidence française de l’UE, le ministre de la Justice entend d’abord "faire sortir les atteintes à l’environnement de leur statut actuel de contentieux émergent". Premiers visés, les incendiaires – qui ont durement frappé cet été –, qui "méritent les plus sévères sanctions". De manière générale, Éric Dupond-Moretti appelle à ce qu’il "soit pleinement recouru aux outils pénaux" introduits par les lois Justice environnementale (v. notre article du 6 janvier 2021) et Climat et Résilience (v. notre article du 11 janvier), invitant les procureurs à "ce qu’une réponse pédagogique, réparatrice et exemplaire soit apportée aux infractions susceptibles d’entraîner des atteintes irréversibles à la biodiversité" : "le coût d’un comportement négligent, voire sciemment attentatoire à la préservation de nos ressources et de notre patrimoine naturel doit devenir prohibitif".

Là encore, l’accent est mis sur le local, les parquets étant conviés à investir les "futurs comités opérationnels de lutte contre les atteintes à l’environnement" (ndlr : certains sont déjà installés), "instance territoriale au sein de laquelle le renforcement de politiques partenariales avec les collectivités territoriales et les associations de protection des atteintes à l’environnement sera tout particulièrement recherché".

Mais par patrimoine commun, il faut aussi entendre "notre modèle républicain", et notamment la "préservation du fonctionnement de notre démocratie et de son équilibre", dont on sait qu’elle préoccupe l’Élysée (v. notre article du 2 décembre 2021). L’attention est ici attirée sur la cybercriminalité, le ministre invitant "à veiller à la montée en compétence de l’ensemble du ministère public pour traiter un champ infractionnel en voie de massification". Sont également visés les réseaux de passeurs et "toute forme de radicalisation ou d’extrémisme violent". Ne sont pas oubliés la fraude fiscale, aux prestations sociales et aux dispositifs de soutien de l’économie, le travail dissimulé ou encore les détournements de fonds publics et la corruption.

Alternatives aux poursuites et à l’incarcération pour faire face à des prisons en situation "critique"

Côté sanctions, Éric Dupond-Moretti invite les parquets à "une politique toujours dynamique en matière de saisies et confiscations". Pour les infractions "de basse ou moyenne intensité", ils "privilégieront toujours autant que possible […] les alternatives aux poursuites à contenu et les compositions pénales, mises en œuvre au plus proche du temps et du lieu de la commission des infractions", parmi lesquelles les "stages de citoyenneté". Le ministre leur demande également d’être particulièrement attentifs à requérir des interdictions de paraître en certains lieux, "et à en informer les maires concernés", singulièrement à l'égard des infractions ayant "une dimension territoriale très forte (violences contre les élus, trafics de stupéfiants, rodéos, menaces à l’encontre des agents des bailleurs sociaux, occupation des halls d’immeubles…".

Face à une situation de surpopulation dans les prisons, et particulièrement dans les maisons d’arrêt, qui "demeure critique", le garde des Sceaux demande "expressément" à veiller à la "stricte nécessité de la détention provisoire", à "limiter les courtes peines de prison, ou à les aménager, et à recourir lorsque les faits le justifient aux alternatives à l’incarcération". L'accent est également mis sur le renforcement du prononcé de la peine de TIG comme alternative à l’emprisonnement, "crédible, pertinente et efficace, qui ne saurait se limiter aux primo délinquants ni aux personnes présentant des difficultés d’insertion". En dépit des efforts (v. notre article du 21 juin 2021), le ministre déplore une baisse du prononcé du TIG comme obligation particulière du sursis probatoire, et juge "essentiel de maintenir la dynamique".

Refonte de la procédure pénale à moyen terme

Relevons enfin que le ministre annonce dans sa circulaire l’ouverture d’un "chantier de moyen terme" : la refonte de notre procédure pénale. Elle est en effet jugée "peu lisible, trop complexe, pas toujours cohérente et dès lors parfois source de lourdeurs préjudiciables à son efficacité". Le ministre entend notamment renforcer et fluidifier les capacités d’enquête, repenser les phases contradictoires et accusatoires, redéfinir la place de la victime – l’attention portée à cette dernière devant d’ores et déjà être "une préoccupation de tous les instants" – et réduire les délais de traitement des procédures. 

Lutte contre les stupéfiants : une expérimentation à Cayenne

En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, relevons que la territorialisation de la politique pénale souhaitée par le garde des Sceaux est déjà à l’œuvre. Depuis le 1er juillet dernier, le nouveau procureur de la République de Cayenne expérimente une politique visant à faire diminuer la charge de ce trafic sur l’ensemble de la chaine pénale afin d’accentuer l’effort sur les violences commises sur la voie publique et les trafics d’armes. Elle prévoit des procédures simplifiées pour les personnes détenant, principalement in corpore (i.e. via des capsules ingérées par des "mules"), jusqu'à 1,5 kg de cocaïne (classement sous condition avec interdiction de paraître à l’aéroport pendant 6 mois) ou entre 1,5 et 4 kg de cocaïne (convocation à comparaître au tribunal). Au-delà de 4kg, "le traitement du mis en cause se fait selon les modalités traditionnelles". 
En 2020, un rapport sénatorial alertait sur "l'ampleur inédite" qu'avait pris le trafic de cocaïne en Guyane : pour chaque vol entre Cayenne et Orly, 8 à 10 passeurs parviendraient à leurs fins, selon ce travail accablant.

 

 

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