De nouvelles mesures pour la justice de proximité, les maires appelés à la rescousse
Le garde des Sceaux a signé le 15 décembre une circulaire relative à la mise en œuvre de la justice de proximité. Une justice à la fois plus proche géographiquement des justiciables et temporellement de l'infraction, mais aussi des partenaires locaux, au premier rang desquels les maires, dont "l'implication doit être renforcée". À l'heure où les agressions d'élus se multiplient, ces derniers continueront-ils de répondre à l'appel ?
Bis repetita. Après avoir fait de la délinquance du quotidien la priorité de sa politique pénale générale, conformément aux orientations du Premier ministre, le garde des Sceaux vient de demander aux procureurs "de promouvoir une justice de proximité, déclinée dans une acceptation géographique, temporelle et institutionnelle", pour répondre à la petite délinquance qui "altère la tranquillité publique, dégrade les conditions de vie et donne l'impression d'une impunité de [ses] auteurs" dans "nombre de territoires".
350 infractions qui font le quotidien des maires et policiers municipaux
La Chancellerie a identifié 350 infractions (voir tableau au bas de cette page), dites "de faible ou moyenne intensité", pouvant faire l'objet d'une réponse judiciaire rapide. Des infractions qui font le quotidien des élus locaux et des policiers municipaux : tapages et nuisances sonores, dégradations, injures, menaces, rodéos motorisés, squats de halls d'immeubles, contraventions dans les transports publics ou liées à la possession de chiens dangereux, voire même certaines formes de violence (dont ils sont parfois les premières victimes…).
Par réponse rapide – la célérité de l'autorité judiciaire étant jugée "indissociable de la qualité de son action" –, il faut entendre des mesures d'alternative aux poursuites, qui "devront être privilégiées par rapport à des dates de convocation devant le tribunal correctionnel trop éloignées des faits". Par exemple, le travail non rémunéré (30 heures pour une contravention, 60 heures pour un délit) ou l'interdiction de paraître, "mesure efficace et appropriée aux infractions pour lesquelles l'ancrage territorial constitue un élément favorisant le passage à l'acte délictueux". Des mesures qu'une proposition de loi en cours d'examen au Parlement est par ailleurs en train d'élargir (par exemple, interdiction de contact avec la victime pendant six mois ou avec les complices, etc.) et d'en assouplir le recours (notamment la procédure d'amende forfaitaire, qui a décidément le vent en poupe).
Alternatives aux poursuites… et aux magistrats
Pour favoriser leur prononcé, le ministère compte en grande partie sur des "alternatives"… aux magistrats professionnels.
Côté parquet, les procureurs sont ainsi invités à s'appuyer davantage sur les "délégués du procureur" (retraités "de la magistrature, de la gendarmerie, de la police, de l'enseignement, de la PJJ, mais aussi travailleurs sociaux, infirmières [sic], étudiants en fin de cycle, ingénieurs-experts, exploitants agricoles...", précise le site du ministère), devant lesquels les auteurs des faits poursuivis pourront être déférés ou convoqués. Leurs effectifs devraient doubler pour atteindre 2.000 et leurs missions affermies, via un décret "renforçant l’efficacité des procédures pénales et des droits des victimes" à paraître ces prochains jours. Afin de rapprocher "l'institution judiciaire et les territoires", ces délégués pourront tenir des permanences dans plus de 2 000 lieux dans toute la France : 164 tribunaux judiciaires, 1.748 points et relais d'accès au droit, 101 conseils départements d'accès au droit, 147 maisons de justice et du droit ou encore 32 antennes de justice (une simplification de ces multiples points d'accès est elle-aussi sur le métier).
Côté siège, des budgets ont également été dégagés d'une part pour favoriser le recours à des magistrats honoraires et à des magistrats à titre temporaire et d'autre part pour augmenter les effectifs des juristes assistants, agents des greffes, etc. 914 recrutements de contractuels – 305 de catégorie A, 609 de catégorie B – sont ainsi prévus en 2020 et 2021 (v. tableau). Le tout afin de libérer les magistrats professionnels susceptibles de siéger en audiences correctionnelles à juge unique, audiences par ailleurs appelées à être dédiées ou "délocalisées" (audiences foraines dans les 125 tribunaux de proximité). 500 voitures électriques vont ainsi venir renforcer le parc automobile du ministère afin de faciliter ces différents déplacements.
Pour s'assurer de la bonne application de ces consignes, trois indicateurs trimestriels seront mis en place : "le nombre de réponses judiciaires pénales traitées en proximité" (i.e. hors les murs du tribunal) ; le nombre de recrutements opérés dans ce cadre ; le taux de mesures alternatives aux poursuites dites "réparatrices" (mesures de réparation, de médiation ou classement sous conditions, de stage et de composition pénale, mesures d'interdiction, rappels à la loi notifiés par le délégué du procureur).
Meilleure articulation avec les maires et policiers municipaux
La circulaire prône également un renforcement des relations de la justice de proximité avec les "partenaires locaux", au premier rang desquels les collectivités locales (mais aussi, par exemple, les principaux bailleurs sociaux afin d'envisager l'habilitation des gardiens d'immeubles en qualité de gardes particuliers assermentés). La circulaire invite ainsi à "une meilleure articulation avec les forces de police municipale" et à renforcer "l'implication des maires dans le traitement global des problématiques d'insécurité". Via des dispositifs partenariaux, "à l'instar des conseils locaux intercommunaux de prévention de la délinquance", mais aussi en encourageant les maires à recourir "aux prérogatives que la loi leur attribue (le rappel à l'ordre, la transaction, la création de conseils pour les droits et devoirs des familles)".
Un encouragement qui pourrait avoir du mal à trouver un accueil positif chez les élus. Ironie du sort, le jour de la présentation à la presse de cette circulaire, 22 maires, lassés de jouer les forces de substitution, lançaient un appel à Gérald Darmanin (v. encadré). Et l'Association des maires d'Île-de-France faisait, elle, état de l'agression d'un des enfants de la maire de Chevilly-Larue, "cible d'une série d'attaques depuis un mois". "Cette fonction nécessite de prendre des décisions qui peuvent déranger certains. Mais les actes d’intimidations ne doivent pas conduire à renoncer à ces actions", déclare l’élue à l'indéniable courage. Si le président de l'Amif, Stéphane Beaudet, lui fait écho – "hors de question de céder à ces actes qui visent à faire reculer la République par la menace et la peur" –, on ne saurait blâmer les maires qui seraient tentés de réfléchir à deux fois avant de se lancer dans la bataille. Rappelons que, suite à la recrudescence cet été des agressions d'élus, le gouvernement avait été contraint de réunir en urgence une réunion interministérielle le 2 septembre dernier, qui s'est notamment traduite par une autre circulaire du garde des Sceaux. Ce dernier y invitait alors les procureurs à faire preuve de célérité, déjà, mais aussi de fermeté, en évitant "les simples rappels à la loi" pour privilégier "le défèrement, notamment en cas de réitération de comportements qui pourraient apparaître, pris isolément, de faible intensité".
22 maires demandent le renforcement de la Police nationale
Les maires de Petit-Quevilly et de 21 communes alentours ont adressé le 16 décembre une lettre au ministre de l'Intérieur l'alertant sur "l'insuffisance des dispositifs de sécurité au sein de leurs communes" face à "la situation alarmante" que rencontrent certaines communes de la métropole Rouen Normandie, "notamment dans les quartiers sensibles" où "la faiblesse des moyens de police nationale laisse le champ libre aux trafics et atteintes à la personne de toutes sortes". "Dans d'autres communes, la tension est palpable et les rapports rédigés par les polices municipales à l'attention de Monsieur le Procureur sont réguliers", précisent-ils. Ils soulignent que "de nombreux signalements restent sans suites" et font état d'un "fort sentiment d'insécurité […] relaté quotidiennement par les riverains". Et de conclure : "Les agents de la police municipale ne peuvent pas assurer des missions de maintien de l'ordre et de sécurité publique. Ce n'est pas leur rôle et ne doit pas me devenir."