La délinquance du quotidien, priorité de la politique pénale

Dans sa circulaire de politique pénale générale, le garde des Sceaux invite les procureurs à porter une attention particulière à la délinquance du quotidien – en lien avec les collectivités. Il appelle plus largement à une action pénale "plus effective, plus rapide et mieux comprise". 

Sus à la délinquance du quotidien ! Dans sa circulaire de politique pénale générale, diffusée le 1er octobre dernier, le garde des Sceaux entend que la "lutte contre les infractions affectant nos concitoyens dans leur quotidien" fasse l’objet d’une "attention particulière" des magistrats, invitant plus largement ces derniers à repenser avec lui "une part de l’action pénale pour qu’elle soit plus effective, plus rapide, mieux comprise, et ainsi asseoir la pleine crédibilité de l’autorité judiciaire". L’objectif est ambitieux, alors que "les sondages d’opinion reflètent aujourd’hui chez un trop grand nombre de nos citoyens un manque de confiance dans la capacité de l’institution judiciaire […]", la circulaire rappelant à la fois le diagnostic posé par le Premier ministre d’un développement de la petite délinquance du fait de l’installation "d’une forme d’impunité, faute de réponse judiciaire" et le remède, une "justice de proximité plus accessible".

Une justice plus rapide

Première priorité, une réponse pénale intervenant "dans des délais resserrés, tant la plus-value de l’audience publique diminue à distance des faits". Les procureurs sont ainsi invités, dans les cas où les délais de convocation devant un tribunal – qui "ne sauraient raisonnablement excéder huit mois" – sont trop longs "à privilégier d’autres orientations", et plus largement "à adapter la mise en œuvre de la politique pénale aux capacités de traitement" de leurs juridictions (un pragmatisme de l'adaptation aux moyens, certes renforcés par le projet de loi de finances (+8% d'augmentation des moyens), louable mais qui n’est toutefois pas sans poser question).
Pour cette "délinquance de basse intensité", le garde des Sceaux a notamment évoqué, dans un entretien accordé à RMC le 8 octobre, la possibilité que les délégués du procureur imposent à l'auteur d'une infraction un travail non rémunéré dès le lendemain de la commission des faits, plutôt que de prononcer dix-huit mois après une peine de deux mois de sursis. Des délégués du procureur que le garde des Sceaux promeut d'ailleurs dans sa circulaire, demandent à ce qu'ils soient "pleinement intégrés au sein des parquets et associés aux enjeux de la juridiction" et mobilisés "dans davantage de lieux de justice, afin d'être plus proches des citoyens". 
Reste que, comme le souligne le ministre, les procureurs sont aussi tributaires de la durée des procédures au sein des services de police et unités de gendarmerie. Ces derniers devront ainsi tenir informés les magistrats du parquet – aujourd’hui inquiets par les "stocks" d’affaires en amont de leur saisine – de l’état d’avancement des procédures ouvertes d’initiative depuis plus de six mois.

Associer les collectivités locales

Le garde des Sceaux demande à son tour, et une nouvelle fois, aux procureurs de "veiller à associer les acteurs des collectivités locales dans le traitement global des problématiques d'insécurité" et de "s’attacher à réunir les maires ou à participer à leurs assemblées générales départementales". Un partenariat on ne peut plus logique compte tenu des priorités affichées par la circulaire, qui constituent malheureusement le quasi-quotidien de l'élu local : violences urbaines, commises dans les transports ou à l'encontre des élus et des personnels municipaux ; trafics de stupéfiants s'accompagnant régulièrement d'occupations illicites des halls d'immeubles, voire de logements ; cambriolages et vols à la roulotte ou encore rodéos urbains. Pour lutter contre ce dernier phénomène, que le confinement a paradoxalement avivé – et d'autant plus aigu que le tribunal administratif de Marseille a récemment condamné l'État pour n'avoir pas pris les "mesures appropriées pour assurer un niveau raisonnable de tranquillité publique" –, il est demandé aux procureurs de mettre en œuvre la saisie "rapide et systématique" des véhicules concernés, notamment via des partenariats "avec les acteurs locaux pour leur gardiennage, en vue de leur confiscation, voire de leur affectation à des fins d'intérêt public". Reste qu'en pratique les véhicules utilisés sont souvent volés…

Violences intrafamiliales, terrorisme, exécution des peines… et communication

L'exercice de la circulaire de politique pénale constitue tout à la fois un marqueur politique et un indicateur concret des préoccupations du moment. En 2012, Christiane Taubira s'employait ainsi à se différencier de la politique du président Sarkozy en mettant en avant la nécessité de l’individualisation des peines et d’une réponse pénale intervenant "dans un temps utile", "ni précipitée, ni trop lente", une attention particulière devant être portée aux victimes tout en veillant à limiter le recours à l’incarcération. En 2018, c’est la défense de la nation face au terrorisme que Nicole Belloubet érigeait au rang des priorités, en insistant sur la nécessité "de ne laisser aucun territoire de la République en dehors de l’état de droit", visant en même temps la lutte contre la délinquance et contre toutes les formes de racisme et de discrimination. Devaient également faire l'objet d'une attention particulière les violences conjugales, les infractions sexuelles, les marchands de sommeil et l’habitat insalubre, la délinquance économique, financière ou fiscale, les réseaux abusant des mineurs non accompagnés ou encore les atteintes à la santé (suite aux affaires Médiator, Dépakine, Lévothyrox…) et l’environnement.
Après un été 2020 marqué par la "banalisation de la violence" et les polémiques sur une justice défaillante, il n'est donc pas étonnant de retrouver la "délinquance du quotidien" et une "exécution des peines efficace" en tête de la circulaire du garde des Sceaux (les procureurs étant par exemple conviés à accentuer les efforts pour accroître le taux de recouvrement des amendes, taux qui risque pourtant de pâtir du déploiement de l'amende forfaitaire pour réprimer l'usage des stupéfiants). Cette dernière n'oublie pas pour autant d'autres préoccupations malheureusement toujours prégnantes : violences intrafamiliales, infractions sexuelles et outrages sexistes, corruption et terrorisme. Le développement demandé des alternatives à l'incarcération reste également une constante. On relèvera que si la circulaire souligne que la détention provisoire doit rester "strictement exceptionnelle", c'est au motif cette fois du nécessaire respect du principe de la présomption d'innocence auquel on sait Éric Dupond-Moretti particulièrement attaché (v. encadré). Signe des temps également, il est attendu des procureurs "qu'ils communiquent davantage". Il leur est ainsi demandé de recourir "aux moyens modernes de communication" et d'institutionnaliser des rencontres régulières avec la presse… tout en rappelant le nécessaire respect des secrets de l'enquête et de l'instruction, dont la violation "sape la confiance dans les acteurs de la procédure et peut briser des vies". Une autre préoccupation, là encore, de l'ancien avocat, qui y consacrera d'ailleurs de futurs travaux (v. encadré).

Quatre commissions bientôt sur pied

Dans un entretien accordé à RMC le 8 octobre, le garde des Sceaux a annoncé le lancement de quatre commissions de réflexion, qui auront respectivement pour thème :
- les cours d'assises – une commission "flash" dont les résultats devraient être connus avant la fin de l'année ;
- la justice économique (travaux déjà en cours), notamment afin de mieux faire connaître aux entreprises en difficulté les différents "mécanismes salvateurs" disponibles avant le couperet de la liquidation. Des travaux qui, compte tenu de la crise, apparaissent plus qu'urgents ;
- la présomption d'innocence, dont le garde des Sceaux a rappelé qu'elle était de valeur constitutionnelle ;
- les droits de la défense et le secret professionnel des journalistes et des avocats, le ministre déplorant que ce dernier "n'existe plus".
 

 

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