Ancrage territorial de la sécurité : élus locaux et polices municipales incontournables
Dans le cadre de ses travaux sur "l'ancrage territorial de la sécurité intérieure", la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales vient de publier son rapport d'étape, qui insiste notamment sur la nécessité pour les forces de l'État de nouer des relations privilégiées avec les élus locaux et de s'articuler avec des polices municipales désormais incontournables.
"Le Sénat ne peut que s'inquiéter et combattre le spectre de libanisation de la société française, qui peut demain nous conduire tout droit vers la guerre civile." Dans le rapport d'étape qu'elle a publié ce 20 juillet dans le cadre de ses travaux sur "l'ancrage territorial de la sécurité intérieure", au terme d'une première série d'auditions (v. infra), la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales a décidé de ne pas sacrifier à la langue de bois. Les dernières semaines – marquées par les événements autour de l'affaire George Floyd d'une part et ceux de Dijon d'autre part – n'ont, il est vrai, pas été de nature à rassurer les élus qui avaient initié ces travaux à la suite du phénomène des "gilets jaunes". Un mouvement qui "mettait en lumière le sentiment d'inégalité territoriale vécu durement" par une partie de la "France périphérique" et qui consacrait aussi un mouvement de défiance de la population à l'égard des forces de l'ordre, devenues "pour de nombreux citoyens" un "ennemi".
Pour restaurer la confiance, les élus tracent la voie à suivre : d'une part, une présence physique sur le terrain, qui passe à la fois par une implantation équilibrée et évolutive sur le territoire des différentes forces en présence (police nationale, gendarmerie), mais aussi par la capacité de ces dernières à nouer des relations privilégiées avec les citoyens et élus locaux, qui doivent participer pleinement à la "coproduction de sécurité" ; d'autre part, des moyens renforcés et une organisation en adéquation avec l'évolution de la délinquance (qualité du renseignement territorial, réactivité des services), et articulés avec les autres acteurs de la sécurité (polices municipales, sécurité privée et justice).
Des politiques qui vont "dans le bon sens"
S'ils déplorent un "délitement de l'État" et "l'affaiblissement de ses institutions républicaines", les sénateurs estiment que "le fait que les politiques publiques délaissent désormais l'idée d'une stratégie de sécurité unique depuis Paris pour l'ensemble du territoire va dans le bon sens".
Ainsi l'instauration des "quartiers de reconquête républicaine" est vue positivement… au moins en théorie. En pratique, la délégation "ne peut que s'interroger sur l'efficacité réelle du dispositif" alors qu'incivilités, violences, trafics et radicalisation "n'ont pas cessé. Pire, leur propagation a conduit à une dynamique générale de défiance envers les figures de l'État".
De même, "à ce stade, les objectifs et la méthode" de la police de sécurité du quotidien – "nouvelle doctrine d'emploi de la police française […] présentée comme une "police sur mesure" adaptée aux territoires, bénéficiant d'une déconcentration opérationnelle et plus étroitement associée aux maires" – "vont bien sûr dans le bon sens". Les rapporteurs considèrent que la PSQ "a conduit les forces de sécurité intérieure à améliorer leur ancrage territorial et à renforcer leur contact avec la population" et "les a en outre amenés à innover", conséquence non négligeable puisque la délégation est convaincue que "l’avenir réside dans les dispositifs pensés par les forces de sécurité intérieure elles-mêmes et, singulièrement, par la gendarmerie". Et de saluer notamment la mise en place par cette dernière des "brigades territoriales de contact" (BTC) et de la "brigade du numérique". Comme Saint Thomas, la délégation précise toutefois qu'elle interrogera prochainement élus et acteurs locaux afin de s'assurer de "l'impact réel" de la PSQ (un premier bilan des "groupes de partenariat opérationnel" mis en place début 2019 sera notamment dressé) ou encore des BTC.
La nouvelle Stratégie nationale de prévention de la délinquance 2020-2024 va elle-aussi "dans le bon sens" – bien que la délégation s'étonne que le volet relatif à la lutte contre les violences faites aux femmes n'ait pas été retenue comme une priorité. Trouve notamment grâce aux yeux des rapporteurs le fait qu'elle identifie la prévention de la délinquance comme un "domaine privilégié pour l'intercommunalité", ce qui favoriserait une certaine "prise de distance" à l'égard de problèmes qui peuvent être localement très sensibles. Et qui permettrait aussi "de mutualiser les moyens disponibles [mutualisation qui "inquiète" toutefois par ailleurs, car pouvant "se traduire par une diminution de la présence territoriale], de prendre en compte le fait que la radicalisation déborde souvent le cadre communal et, surtout, de répondre à la difficulté à laquelle se heurtent les préfets pour associer un nombre parfois excessif de communes à la cellule de suivi". La délégation sera toutefois là-encore "attentive à son application au niveau local".
Mais des élus insuffisamment associés et informés
Si la délégation se félicite que les élus soient de plus en plus associés aux différents dispositifs de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CPRAF, CLIR, etc…), trois ans après la publication de son rapport sur le sujet, elle déplore que les collectivités ne soient toujours pas considérées comme des "acteurs à part entière" en la matière. Et ce bien qu'elles ont un rôle à jouer aussi bien pour "assurer une prévention primaire (consistant à agir sur de nombreux facteurs socio-économiques") que pour "mettre en place des dispositifs de prévention secondaire (dirigés vers des groupes ou populations présentant un risque particulier de radicalisation) ou encore pour "participer, dans un cadre précis et en partenariat avec l'État, à des programmes de prévention tertiaire, destinés à des personnes déjà radicalisées et/ou ayant commis des actes violents".
Cette absence de reconnaissance est d'autant plus mal ressentie que "les élus locaux sont directement confrontés à une multiplication de demandes communautaristes ou religieuses inacceptables ainsi qu'à des tentatives de personnes radicalisées de contrôler certaines structures de sociabilité" – la délégation recommande d'ailleurs de poursuivre l'effort de formation des élus locaux aux enjeux de l'islamisme et de la radicalisation et aussi de les protéger davantage des pressions vécues sur le terrain, envisageant notamment la possibilité d'un transfert de compétence des permis de construire des lieux de culte des maires vers les préfets.
De même "les élus regrettent fréquemment que le flux d’informations soit à sens unique, en direction de l'État" et font singulièrement "état d'une certaine insatisfaction s'agissant en particulier du volet prévention de la radicalisation" – toujours en débat, l'accès aux fichés S. La délégation plaide donc – une fois encore – pour "parfaire leur information" en répondant en particulier à trois besoins : "l'appréciation de la situation globale de la radicalisation sur leur territoire" ; la prévention des situations à risque dans leur domaine de responsabilités", notamment en matière de recrutement ; la transmission des informations nécessaires pour gérer l'émotion locale après un événement.
Saluant le "kit d'information des maires" actuellement en préparation au sein de la gendarmerie nationale, qui doit permettre de "renforcer la prise de conscience sur les risques auxquels les maires sont exposés, de les accompagner dans la lutte contre ces atteintes et de faciliter la communication et l’action quotidienne des gendarmes en lien avec les mairies", la délégation "estime indispensable que les commandants de compagnie puissent rendre compte des chiffres de la délinquance aux élus, en s’appuyant sur des comparaisons précises d’année en d’année. De la même façon, la possibilité pour le maire d’avoir le numéro de téléphone d’un gendarme et la généralisation du passage des patrouilles de gendarmerie au domicile des maires pourraient être encouragées".
Nouvelle consécration des polices municipales
Une fois de plus, les polices municipales sont mises à l'honneur. Désormais "institutionnalisées, professionnalisées et banalisées", selon Corinne Féret, co-rapporteur, l'heure n'est plus à la "rivalité" mais à l'amélioration de leur articulation avec les autres forces régaliennes, vue plus que jamais comme une condition de l'ancrage territorial de la sécurité. Plaident en ce sens deux caractéristiques de la police municipale : de véritables forces de proximité, assurant des fonctions de médiation auprès des populations, et des fins connaisseurs de leur territoire (atout renforcé par l'investissement des maires dans des brigades spécialisées : cynophiles, VTT, équestres…), élément d'autant plus appréciable que le renseignement territorial, pourtant "fondamental", est jugé par ailleurs défaillant.
La délégation entend ainsi étudier "dans quelle mesure des missions dévolues aujourd'hui à la police nationale pourraient être utilement transférées aux polices municipales", désormais reconnues comme une "véritable troisième force de sécurité" et dont certaines s'appuient sur des équipements matériels de très haute qualité, parfois supérieure à celle des équipements de la police ou de la gendarmerie", même si elles restent "hétérogènes aussi bien dans les fonctions qu'elles assurent au quotidien que dans leurs formats ou même dans leurs statuts". Relevant en outre que "certains territoires accusent une coordination encore insuffisante entre police municipale et forces de sécurité de l'État", la délégation réfléchit à de nouvelles pistes : création d'une école nationale de police municipale, organisation de patrouilles communes, nouveaux réseaux radio permettant la connexion des différentes polices…
Le rapport définitif devrait être publié d'ici la fin de l'année et sera suivi d'un nouveau cycle d'auditions et de déplacements sur le terrain.