Continuum de sécurité : les députés LREM veulent traduire en loi une partie du rapport Thourot-Fauvergue
Soutenus par le groupe LREM, les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue viennent de déposer une proposition de loi visant à donner vie à plusieurs mesures contenues dans leur rapport "D'un continuum de sécurité vers une sécurité globale", remis au gouvernement en septembre 2018. Le texte ne constitue toutefois qu’une version "light" de ce rapport remarqué, mais jusqu'ici resté lettre morte.
On n'est jamais mieux servi que par soi-même. C'est peut-être ce qu'ont pensé les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue en déposant fin décembre une proposition de loi – cosignée par l'ensemble du groupe LREM, Gilles Le Gendre en tête – qui se veut la "traduction législative" du rapport remarqué qu'ils avaient remis au gouvernement en septembre 2018. Il est vrai que, depuis, ce travail est resté lettre morte place Beauvau, en dépit de la pression d'élus locaux et de syndicats globalement favorables. Notons toutefois qu'il aura tout de même trouvé des oreilles attentives dans d'autres cénacles, puisque plusieurs de ses préconisations – relatives notamment aux pouvoirs de police du maire – ont été adoptées dans le cadre de la loi Engagement et proximité du 27 décembre dernier promue par le ministère de la Cohésion des territoires et enrichie par les parlementaires (Localtis reviendra dessus dans une prochaine édition).
Le "timing" de ce dépôt n'en est pas moins surprenant, le ministre de l'Intérieur – qui avait déclaré l'été dernier vouloir "se servir" de ce rapport – venant tout juste de lancer les consultations promises sur le livre blanc sur la sécurité intérieure, destiné à alimenter la future loi d'orientation et de programmation. Simple coïncidence, avance Alice Thourot, qui nous a indiqué travailler avec Jean-Michel Fauvergue à la rédaction de cette proposition "depuis l'été", après une phase de rencontres et de concertation avec les différents acteurs.
Une traduction très édulcorée du rapport
Reste que, s'agissant des mesures relatives aux polices municipales (seules abordées ici et qui ne composent qu'un volet du texte, l'autre étant consacré au secteur de la sécurité privée), la proposition de loi ne constitue qu'une version particulièrement édulcorée des propositions contenues dans le rapport. Nulle trace des mesures les plus emblématiques, comme la création d'une école nationale de la police municipale (idée soutenue depuis par le rapport Fauvergue-Naegelen), de l'accès aux fichiers ou encore de l'armement obligatoire... À cela différentes raisons, explique Alice Thourot. "Nombre de nos propositions, dont l'accès au fichier, relèvent du domaine réglementaire ou organisationnel", souligne-t-elle. Imparable. "S'agissant de l'armement, notre idée n'était nullement d'ôter aux maires leur pouvoir de décision en la matière, mais seulement, de manière symbolique, de changer de paradigme en faisant de l'armement le principe et son absence l'exception. D'abord, parce majoritairement les polices municipales sont aujourd'hui armées. Ensuite, parce que les policiers municipaux sont pour les terroristes des cibles au même titre que les forces de l'État ; il importe donc de leur donner les moyens de se protéger et d'agir. On sait en effet que la multiplication des primo-intervenants est clef face à au terrorisme (1). Mais la mesure, mal comprise, a donné lieu à une polémique sans fondement, que nous avons d'autant moins souhaité rouvrir qu'elle est inutile." Compréhensible. "S'agissant de l'école, l'important, pour nous, c'est le cap : une formation initiale et continue homogène sur l'ensemble du territoire. Peu importe la façon d'y parvenir. Des travaux sont en cours, notamment au CNFPT. Nous les suivrons avec attention." Moins audible, alors que l'élue revendique par ailleurs la volonté d'aiguillonner le débat avec ce texte.
In fine, ce dernier se résume – pour l'heure, l'élue pariant sur le fait qu'il sera enrichi lors de sa discussion – à quelques mesures plutôt consensuelles dont on ne doute pas de l'importance au quotidien, mais qui ne méritaient peut-être pas un véhicule législatif particulier. D'autant qu'elles auraient sans doute pu être intégrées elles-aussi dans la loi Engagement. Pour preuve, le texte propose de faciliter pour le président d'un EPCI le recrutement de policiers, mesure déjà mise en œuvre par ladite loi du 27 décembre dernier. (2)
Élargir le domaine d'intervention des agents de police municipale…
Le texte propose d'étendre le spectre d'intervention des policiers municipaux, en élargissant leurs domaines et zones d'intervention. Les agents de police municipale pourraient ainsi :
- constater les contraventions aux dispositions au code de la route "sur le territoire des communes formant un ensemble d'un seul tenant" (la proposition supprimant la condition que cet ensemble regroupe moins de 80.000 habitants), comme c'est déjà le cas aujourd'hui pour certaines infractions au droit des transports ou les outrages sexistes ;
- procéder à l'inspection visuelle des bagages, à leur fouille (avec le consentement de leur propriétaire) ou à des palpations de sécurité (toujours si consentement) pour toute manifestation sportive, récréative ou culturelle, et plus seulement pour celles rassemblant plus de 300 spectateurs ;
- constater par rapport le défaut de permis de conduire idoine ou d'assurance du véhicule ;
- conduire en cellule de dégrisement les personnes en état d'ivresse (en permettant de facturer ces transferts aux personnes concernées) ;
- adresser directement leurs rapports et procès-verbaux au procureur de la République, sans passer par l'intermédiaire d'un officier de police judiciaire.
Le texte revoit également la formation de gardien de police municipale : inscrit sur une liste d'aptitude, il serait, une fois recruté, nommé gardien de police municipale stagiaire pendant un an. Il souscrit alors un engagement de servir la commune ou l'EPCI ayant pris en charge sa formation à compter de sa titularisation pendant trois ans minimum (et 5 ans maximum) et, dans le cas où il romprait cet engagement, serait contraint de rembourser le montant du traitement net et des indemnités perçus au cours de la formation.
… et des agents de surveillance de la voie publique
Le texte propose également de faire entrer les agents de surveillance de la voie publique dans le code de la sécurité intérieure, en les définissant comme des "agents communaux chargés d'une mission de police" constatant "par procès-verbaux les contraventions aux dispositions du code de la route, du code des transports, du code de la santé publique et du code de l'environnement dont la liste est fixée par décret en Conseil d'État". Il propose en outre de dupliquer les dispositions aujourd'hui applicables aux agents de police municipale en matière d'agrément et d'assermentation (qui resteraient valables en cas de mutation).
La proposition prévoit en outre, dans le cadre d'une expérimentation de trois ans, que ces agents, ainsi que les gardes-champêtres, puissent procéder en tous lieux, au moyen de caméras individuelles, à un enregistrement audiovisuel de leurs interventions lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l'intervention ou au comportement des personnes concernées.
(1) La proposition prévoit en ce sens que le fait qu’un fonctionnaire de la police nationale ou un gendarme portant son arme hors service ne peut lui être opposé lors de l’accès à un établissement recevant du public.
(2) Article 2 de la proposition de loi réécrivant l’article L. 512-2 du code de sécurité intérieure… que vient précisément de réécrire l’article 61 de la n° 2019-1461. Une illustration que l’adage "Nul n’est censé ignorer la loi" est une fiction toujours moins cristallisable en ces temps où la planche à assignats législatifs ne cesse de tourner, à tel point que le législateur lui-même ne parvient plus à suivre sa propre production.