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"Continuum de sécurité" : vers l'armement obligatoire des policiers municipaux ?

Rendre l’armement des polices municipales obligatoire, "sauf décision motivée du maire" : c’est l’une des propositions fortes du rapport de la mission parlementaire sur le "continuum de sécurité" remis au gouvernement mardi 11 septembre. Un rapport qui vise à une meilleure "coproduction" entre les différentes composantes de la sécurité, y compris privée. Il propose notamment de fusionner les différentes instances de concertation en un "contrat local unique".

Pour les polices municipales, cela valait la peine d’attendre. Initialement annoncé pour le mois de juillet, le rapport des députés LREM Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue (ancien patron du Raid) sur le "continuum de sécurité", remis à Édouard Philippe, mardi 11 septembre 2018, n’y va pas par quatre chemins en proposant de rendre obligatoire l’armement des policiers municipaux. Une revendication forte des syndicats que les nombreux travaux menés jusqu’ici avaient préféré éluder, renvoyant, comme le demandait l’Association des maires de France (AMF), au principe de libre administration des communes et aux conventions de coordination avec les forces nationales. Les deux députés font le choix inverse : l’armement serait rendu obligatoire, "sauf décision motivée du maire".

Troisième force de sécurité du pays

Ce rapport avait été diligenté par le ministre de l’Intérieur en février dernier, au moment du lancement de la police de sécurité du quotidien. Objectifs : recentrer les forces nationales (police et gendarmerie) sur leur cœur de métier et mieux articuler leurs interventions avec les forces "montantes" que sont les polices municipales et la sécurité privée, fortement mises à contribution ces dernières années dans le contexte des attentats. "Nous ne devons rien nous interdire", avait alors prévenu le ministre.
Malgré une "réalité extrêmement hétérogène" (la région Paca comprend à elle seule 20% des 21.500 agents de police municipale), "les polices municipales ont gagné légitimité et reconnaissance", estiment les auteurs de ce rapport en 78 propositions intitulée "D'un continuum de sécurité vers une sécurité globale". Si la coopération avec les forces nationales est devenue une réalité, "des progrès sont néanmoins possibles". Ils appellent ainsi à "conforter les polices municipales en tant que troisième force de sécurité du pays". Pour ce faire, ils proposent la création d’une école nationale des polices municipales, afin de gagner en homogénéité, le tout sur fond de revalorisation des carrières. Ils remettent sur la table l'idée de fusionner les cadres d’emplois des policiers municipaux et des gardes champêtres dans un cadre d’emplois unique. Idée déjà avancée, notamment dans un rapport sénatorial de 2012.

Conseil local unique

En matière opérationnelle, ils plaident aussi pour un accès plus large aux fichiers, dont le fichier des objets et des véhicules signalés (FOVeS) et le fichier des personnes recherchées (FPR). Les maires verraient leurs pouvoirs accrus pour faire respecter leurs arrêtés de police ou fermer certains établissements. Les policiers municipaux auraient, eux, la possibilité d’intervenir sur les ivresses sur la voie publique ou sur les futures amendes sanctionnant la consommation de stupéfiants...
Mais surtout, c’est cette fameuse "coproduction" qui est recherchée, sachant que "les policiers municipaux regrettent souvent une coordination insuffisante - et donc insatisfaisante - avec les forces de sécurité de l’État".
La mission estime qu’il faut raisonner à l’échelle des "bassins de vie" ou de "bassins de délinquance". Elle propose de mettre en place un "conseil local unique" au sein de ces bassins qui se substitueraient à "l’enchevêtrement de dispositifs locaux" : CLSPD, CISPD, GLTD, CDPD, etc.
Elle encourage la création de polices municipales intercommunales : faciliter la création de police par les présidents d’intercommunalité, notamment les métropoles, favoriser les mutualisations, permettre à des policiers municipaux de sortir de leurs zones pour exercer certaines missions… Les deux députés considèrent qu’en dehors de ces cas, dans un même bassin de vie, il appartiendra aux services de l’État d’assurer la coordination entre les différentes polices municipales.
Autres préconisations, en matière de vidéoprotection : rendre obligatoire pour l’avenir le déport des images vers les centres de commandement départementaux des services de l’État et travailler à des centres de supervision urbains communs entre les services municipaux
et les services de l’État. Les députés souhaitent aussi relier les dispositifs vidéo des établissements scolaires aux centres de commandement départementaux.
En contrepartie de ces compétences accrues, les députés proposent de renforcer le contrôle des polices municipales dans le cadre d’une mission permanente confiée à l’IGA (inspection générale de l’administration), avec le concours de l’IGPN (inspection générale de la police nationale) et de l’IGGN (inspection générale de la gendarmerie nationale) et en partenariat avec l’AMF (Association des maires de France).

Coordination ou assimilation ?

Les députés s’intéressent aussi à la sécurité privée forte de ses 165.000 agents. Ils proposent de réformer le marché de la sécurité privée et de revoir les instances de contrôle, ciblant le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps) qui a récemment été épinglé par la Cour des comptes…
Le rapport a été bien accueilli par les syndicats de police municipale, à l’instar de la FA-FPT qui considère qu’il va "dans le bon sens". Elle espère qu’il puisse à présent "faire l’objet d’un vrai débat sur la doctrine d’emploi des policiers municipaux". La fédération émet cependant plusieurs réserves et se dit attachée "à la création d’écoles nationales de la police municipale, sous l’égide exclusive du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT)".
L’Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS) salue pour sa part "l’exhaustivité" du rapport mais se demande s’il ne va pas trop loin dans le sens du rapprochement. "Locaux communs, armes identiques, centres de vidéoprotection communs, c’est à se demander si les deux rédacteurs du rapport n’ont pas confondu coordination et assimilation", s’interroge-t-elle. "Une coordination fine, oui, mais les agents territoriaux doivent conserver leur indépendance sous les ordres et la responsabilité des maires." Reste à connaître le sort que le gouvernement réservera à ces travaux, sachant que la pile de rapports sur le sujet enterrés ces dernières années est assez haute.