Congrès des maires - Sécurité : la grogne monte chez les maires ruraux
Lors du forum consacré à la sécurité, les "maires ruraux", appelés à "jouer collectif", ont donné de la voix pour crier leur sentiment d'abandon. Ils dénoncent tout à tour une justice absente, des liens avec la gendarmerie qui se distendent, un transfert de charges de l'État, voire un chantage de ce dernier. Un sentiment de solitude renforcé par la difficulté à appréhender l'étendue de leurs prérogatives. En direct, le garde des Sceaux a annoncé la constitution d’un nouveau "comité de travail élus-justice".
"On est tous dans la même barque républicaine." Intervenant non programmé du forum consacré à la sécurité du congrès des maires, le garde des Sceaux insiste – comme la plupart des intervenants l'ayant précédé – sur la nécessité pour les élus, les forces de l'ordre, tant nationales que municipales, et les magistrats de "jouer collectif" face à la délinquance, pour reprendre les mots de Frédéric Masquelier, maire de Saint-Raphaël et co-président de la commission Sécurité et prévention de la délinquance de l'AMF. "Pas besoin de nous dire qu'on doit travailler ensemble, on le sait", a toutefois rétorqué une élue de la salle, qui souhaite que l'on passe des paroles aux actes. "Finis les discours !", bouscule-t-elle.
Maillons défectueux
Si "la chaîne pénale ne fonctionne que si tous les maillons font leur office", comme l'a rappelé le procureur général près la cour d'appel de Reims, Hugues Berbain, les élus n'ont pas manqué de faire état de certaines faiblesses. La justice a sans surprise souvent été dans le collimateur. Une fois n'est pas coutume, la gendarmerie n'a pas non plus été épargnée par les critiques. Singulièrement le "dispositif de gestion des événements" (DPE) en cours de déploiement, qui vise notamment à diminuer les astreintes inutiles afin de pouvoir déployer davantage d'hommes sur le terrain. "C'est la fin de la proximité avec les gendarmes", s'alarment paradoxalement plusieurs élus, chacun y allant de son témoignage. Le général Christian Rodriguez, directeur général de la Gendarmerie nationale, invoque des "problèmes de réglage" et demande du temps. "Mais s'il faut le démonter, on le démontera", conclut-il. À l'inverse, les "groupes de partenariat opérationnels" (GPO) institués par la police nationale semblent appréciés. Céline Berthon, directrice centrale de la sécurité publique, a souligné la volonté d'apporter ici "une réponse simple, réaliste, circonscrite dans le temps". "On en a marre de la comitologie technocratique", a-t-elle indiqué sans langue de bois.
Maillons manquants
Une chaîne qui "ne doit pas oublier la prévention" en amont, alerte Nathalie Koenders, l'autre co-président de la commission et première adjointe à la ville de Dijon (21). Elle déplore au passage que "beaucoup de départements se sont dégagés de la prévention spécialisée, qui relève pourtant de leurs compétences". La députée Alice Thourot (co-auteur du rapport sur le "continuum de sécurité") souligne, elle, la nécessité de bien identifier tous les interlocuteurs qui peuvent se rattacher à cette chaîne : bailleurs sociaux, sociétés de sécurité privée, lycées, centres commerciaux… jusqu'aux citoyens. En aval cette fois, Nathalie Koenders plaide pour que les magistrats du siège soient également impliqués. "Culturellement, c'est plus compliqué", concède le garde des Sceaux, rappelant leur indépendance et qu'il ne disposait d'aucun pouvoir à leur égard. Le ministre invite néanmoins les juges "à communiquer davantage. Il est indispensable que la justice s'explique", estime-t-il, avouant "avoir mesuré la demande de connaissance de l'autorité judiciaire" formulée par les élus au cours d'une rencontre à Matignon l'an passé.
Un statut d'OPJ ignoré, incompris, contesté
Les différents témoignages des intervenants ou de la salle n'auront pas démenti ce besoin d'information et de formation, les élus confessant même ignorer certaines de leurs propres prérogatives. "J'ai découvert au bout d'un an que j'étais officier de police judiciaire", confie ainsi une maire. Même lorsque son existence est connue, ce statut ne suscite pas toujours l'adhésion : "Le terme d'OPJ me dérange un peu. Nous ne sommes pas considérés comme des OPJ par nos concitoyens, mais comme des hommes politiques", relève le maire de Kourou, François Ringuet. Dans tous les cas, tant ses contours que son efficacité interrogent : "À quoi cela sert d'être OPJ dans un territoire rural ? Quand on remonte des constatations d'infraction, elles sont classées sans suite", fustige un élu, qu'un autre vient appuyer : "Nous, les sans-grades, on ne nous écoute pas", déplorant un contrôle de légalité tatillon quand les maires essayent de prendre les choses en mains, lassés de l'inaction face aux incivilités – dépôts sauvages en tête – et de ses répercussions sur le reste de la population.
Transfert de charges et chantage
"Les missions du maire sont floues", confirme Nathalie Koenders, qui demande "plus de clarté", jugeant "le triptyque tranquillité, salubrité, sécurité publiques" peu éclairant face à "l'évolution de la délinquance, mais aussi de celle des attentes de nos concitoyens, qui ne sont plus les mêmes qu'il y a vingt ans". Elle déplore d'ailleurs que le Beauvau de la sécurité n'ait pas donné lieu à une clarification des périmètres de chacun. Si "la sécurité est l'affaire de tous et chacun a sa place", la députée Alice Thourot confirme que "les rôles sont différents" et qu'il faut veiller à ce que "les attributions de chacun soient respectées". Les élus présents ne demandent rien de plus : "Tout ne relève pas de la compétence du maire", s'exclame Nathalie Koenders. Dans la salle, on dénonce "un transfert de charges opéré par l'État vers les communes". "Le bleu dans la rue – réclamé par le président de la République –, c'est surtout celui des polices municipales", pointe Frédéric Masquelier, dénonçant à mots couverts un phénomène de vases communicants. Si les nouveaux contrats de sécurité intégrée pourraient en limiter le risque, Nathalie Koenders y met un bémol : "les communes redoutent le chantage" de ce donnant-donnant. Elle attire également l'attention sur "la question de l'inégalité des moyens alors que la sécurité doit rester une compétence régalienne" ou, plus concrètement, sur "les difficultés de recrutement" auxquelles font face les polices municipales.
"L'union face à l'abandon" ?
Pour certains, la situation est telle qu'elle conduit parfois à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Bernard Lauret, maire de Saint-Émilion (33), qui aspire à créer une police municipale intercommunale – dispositif vanté par Hélène Briffault, vice-présidente de l'EPCI Caux Seine Agglo (76) –, relève ainsi que les réticences de ses collègues en la matière sont en train de tomber : "Le fait que les forces de l'ordre, les Sdis, les maires… ne soient plus respectés en France conduit les maires à changer leur fusil d'épaule." Un malheur n'arrivant jamais seul, le général Rodriguez estime que cette montée de la violence touche particulièrement "la France des ronds-points, qui s'est davantage désociabilisée avec la crise sanitaire" et où "la progression démographique est beaucoup plus importante". Il y voit "un enjeu grandissant".
C'est en direct que le procureur de la République de Valenciennes et le procureur général près la cour d'appel de Reims ont appris qu'ils se voyaient confier la responsabilité d'un nouveau "comité de travail". "Je viens d'avoir l'idée", déclare le garde des Sceaux, en arrachant le micro des mains de Nathalie Koenders, qui clôturait les débats. "Nous choisirons des maires et vous travaillerez ensemble pour savoir comment on peut encore améliorer la relation des élus et de la justice", leur a-t-il indiqué. |