Banlieues - Politique de la ville : stop ou encore ?

Le plan Espoir banlieue s'amorce alors que de plus en plus de voix s'élèvent contre la politique de la ville menée depuis trente ans. Un colloque organisé par la Diact et la DIV sur la prospective des politiques urbaines, le 20 mars, invite à rompre avec les effets d'annonce pour se projeter sur le long terme.

Les élections municipales ont suscité bien peu d'enthousiasme dans les quartiers. Faut-il y voir un désaveu pour la politique de la ville menée depuis une trentaine d'années ? C'est en tout cas le constat dressé par l'urbaniste Michel Cantal-Dupart lors d'un colloque sur la prospective urbaine organisé conjointement par la Délégation interministérielle à l'aménagement et la compétitivité des territoires (Diact) et la Délégation interministérielle à la ville (DIV), le 20 mars. Pour ce précurseur de l'idée de "Grand Paris", "l'avenir c'était hier, à savoir les élections municipales qui sont un formidable baromètre de ce que les territoires sensibles ont dit". Et qu'ont-ils dit ? "Sur l'élection-phare qui parle de leur territoire, ils n'ont pas bougé car pour eux, ça ne va pas assez vite, tout est trop lent." Selon lui, il va falloir "revoir toutes les copies" du programme de rénovation urbaine (33,5 milliards pour rénover 530 quartiers d'ici à 2013) qui doit prochainement faire l'objet d'un bilan.
La DIV, qui s'est penchée sur les comportements électoraux de 210 zones urbaines sensibles (ZUS) depuis 2001, partage cette analyse. "Après une augmentation progressive de la participation depuis les municipales de 2001, on a assisté à une explosion lors des dernières présidentielles où la participation des quartiers a été presque au niveau de la moyenne nationale, avant une diminution sensible aux législatives qui s'est ensuite poursuivie avec l'effondrement de ces dernières municipales", a analysé Adil Jazouli, responsable de la nouvelle mission prospective et stratégie de la DIV, créée en 2007. De son côté, l'Observatoire national des zones urbaines sensibles (Onzus) souligne que le décrochage des quartiers a plutôt tendance à s'accentuer au fil des ans. "On ne peut encore considérer que l'objectif de la loi de 2003 de remettre la République dans les quartiers et les quartiers dans la République soit atteint", est-il écrit dans son dernier rapport.

Travail de plomberie

La faute au manque de continuité ? De fait, chaque nouveau gouvernement arrive avec son plan Marshall. L'occasion pour lui de critiquer le bilan de la politique des banlieues menée jusqu'alors. "Beaucoup a été fait, mais regardons les choses en face : la paupérisation a progressé, l'exclusion n'a pas reculé", avait ainsi déclaré la secrétaire d'Etat à la Ville, Fadela Amara, en novembre dernier, lors des rencontres territoriales de Perpignan. Que penser alors du dernier plan Espoir banlieue présenté par le président de la République le 8 février dernier ? Contrats d'autonomie, écoles de la deuxième chance, engagement de 38 grandes entreprises pour l'emploi, redéploiement de 4.000 policiers dans les quartiers : les mesures nouvelles ne manquent pas même si des doutes demeurent sur leur financement. "Ce plan a déjà donné lieu à des réformes de structures importantes. Mais il faut aujourd'hui coupler la nécessité de répondre à des problèmes immédiats tout en travaillant sur le long terme", a admis Yves-Laurent Sapoval, délégué interministériel à la ville. Plus sceptique, Michel Cantal-Dupart ne voit dans ces plans successifs qu'un "travail de plomberie : l'eau va s'évacuer, ça va aller mieux, mais après ?". Après, il est difficile de le savoir car jusqu'ici, les exercices de prospective territoriale se sont très peu intéressés aux quartiers sensibles. Une lacune que la Diact et la DIV ont tenté de combler avec la publication d'un ouvrage commun "Territoires 2030". "L'idée est de se projeter dans un avenir suffisamment lointain pour se détacher du quotidien, de pouvoir regarder suffisamment loin pour réorienter la marche à pied", a imagé Yves-Laurent Sapoval, avant de se féliciter de la création d'un secrétariat d'Etat à l'Evaluation et à la Prospective, confié à Eric Besson.

"Zones étiquetées éternellement"

Ce travail de prospective a déjà été conduit en 2007 entre la DIV et trois communes : Avignon, Rennes et Besançon. Pour chacun des quartiers étudiés, une série de scénarios "optimistes", "tendanciels" et "pessimistes" ont été dégagés. Un appel à projets a été lancé pour étendre l'expérience en 2008 à une dizaine d'autres quartiers sensibles. Mais c'est bel et bien la question de l'avenir de la politique de la ville qui se pose aujourd'hui. Stop ou encore ? Pour Daniel Béhar, directeur de la coopérative conseil Acadie, "la politique des quartiers ne devrait pas avoir d'avenir puisque l'avenir c'est la disparition du problème". "Or c'est une politique à durée déterminée dont le contrat est en permanence renouvelé", a-t-il déclaré, reconnaissant toutefois qu'on "n'est pas allé au bout des politiques sociales". La charge la plus iconoclaste est venue de Julien Damon, responsable des questions sociales au Centre d'analyse stratégique et rapporteur général du Grenelle de l'insertion : "Si on veut cesser de voir ces quartiers spécifiés, il faut cesser de les spécifier", a-t-il tancé. "Nous sommes les meilleurs du monde, par génie administratif, à inventer de nouvelles désignations : ZFU, ZUS, ZRU, quartiers sensibles, populaires, en difficulté, prioritaires, etc.", a-t-il ironisé. Et de plaider pour un traitement de droit commun. C'est peut-être ce que Fadela Amara exprime le mieux quand elle évoque les ZEE, "zones étiquetées éternellement".

Michel Tendil

 

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