Plan de reconquête et de transformation touristiques : deux milliards d'euros et des objectifs ambitieux
Jean Castex a détaillé le 20 novembre la vingtaine de mesures composant le plan de reconquête du tourisme dont Emmanuel Macron avait présenté les grands axes en début de mois. Ce plan prévoit 1,9 milliard d'euros de moyens supplémentaires – 1,25 milliard de prêts de Bpifrance et de la Banque des Territoires et 650 millions de financements de l'État. Il concerne à la fois les ressources humaines, la montée en qualité de l'offre grâce notamment à un renforcement de l'offre publique de prêts de long terme, l'ingénierie, le tourisme "durable", la promotion de la destination France... Il devrait faire l'objet d'une "gouvernance territorialisée".
Le 4 novembre, à l'occasion du sommet "Destination France" organisé à l'Élysée, Emmanuel Macron présentait les grands axes d'un "plan de reconquête du tourisme" (voir notre article du 5 novembre 2021). Le 20 novembre, lors d'une visite au château du Clos Lucé à Amboise (Indre-et-Loire), Jean Castex a détaillé les mesures de ce plan de reconquête, qui entend porter une vision à dix ans. Celui-ci prévoit un apport de moyens supplémentaires de 1,9 milliard d'euros – 1,25 milliard sous forme de prêts de Bpifrance et de la Banque des Territoires et 650 millions sous forme de financements de l'État – et vise la première place mondiale non plus seulement en termes de nombre de visiteurs étrangers, mais aussi en termes de recettes touristiques.
Aller au-delà de la seule résilience
Lors de son intervention, le Premier ministre a rappelé l'effort consenti par l'État en faveur du soutien au secteur touristique, afin de faire face aux conséquences de la crise, à hauteur de 38,4 milliards d'euros depuis mars 2020 (y compris les prêts garantis aux entreprises, dont 125.000 entreprises du secteur ont bénéficié). Signe de la mobilisation générale en faveur d'un secteur d'activité qui pèse désormais – hors crise sanitaire – 8% du PIB, 2 millions d'emplois non délocalisables et 16 milliards d'investissements annuels, pas moins de huit ministres signent un éditorial dans le document de présentation du plan.
Car la crise sanitaire – qui a ramené le nombre de touristes étrangers à 40 millions en 2020 au lieu de 89 en 2019 et a fait chuter les nuitées de 54% – a accéléré certaines difficultés structurelles et amplifié des tendances de fond déjà à l'œuvre auparavant : nécessité d'une montée en qualité et d'une diversification de l'offre, problèmes croissants de recrutement, adaptation à la transition environnementale et numérique... L'objectif affiché à travers le plan est donc d'aller au-delà du seul soutien au secteur face à la crise, grâce à "un nouvel investissement des pouvoirs publics au bénéfice du tourisme". Pour cela, le "plan de reconquête et de transformation du tourisme" prévoit cinq axes majeurs et une vingtaine de mesures.
Recrutements : "conquérir et reconquérir les talents"
Le premier axe – très en phase avec l'actualité, qui voit le secteur inquiet des perspectives de recrutement pour la prochaine saison – prévoit de "conquérir et reconquérir les talents". Matignon se veut prudent sur les chiffres, mais estime que la pénurie de main-d'œuvre porte sur 150 à 200.000 emplois dans le seul secteur de l'hôtellerie-restauration et que d'autres secteurs sont également touchés (guides touristiques, thalassothérapie...). Ce premier axe du plan se traduira donc par le déploiement de guichets d'accueil et d'orientation des saisonniers dans les stations touristiques et par l'adaptation de l'offre de formation, notamment à travers la création d'un réseau d'excellence des écoles et formations du tourisme "chargé de renforcer et de rendre attractives et visibles les formations du tourisme, et permettant la création de 400 places d'étudiants entre 2022 et 2024". Ce réseau devrait se structurer autour de l'université d'Angers, très avancée en ce domaine. L'entourage du Premier ministre a confirmé que la mesure ciblait les métiers d'encadrement, mais est resté assez flou sur d'éventuels dispositifs spécifiques pour les métiers de base du tourisme et sur l'apprentissage.
Il est vrai que des négociations sont en cours dans le secteur sur l'attractivité des métiers. Sous la pression du ministère du Travail, les fédérations d'employeurs de l'hôtellerie-restauration viennent ainsi de proposer, le 18 novembre, une nouvelle grille de salaires aboutissant à une hausse moyenne de 10,5%. Les négociations n'ont pas abouti, mais elles doivent reprendre d'ici un mois. Sur ce point, le Premier ministre a affirmé : "Nous conclurons une belle négociation conventionnelle dans les semaines à venir. Ça sera un signal pour l'ensemble du pays et ça complétera utilement les actions que nous conduirons par ailleurs."
Enfin, la troisième mesure de ce premier axe concerne le traditionnel lancement d'une "grande campagne de communication" (qui, selon Matignon, serait calquée sur celles des armées et serait donc dotée d'une enveloppe d'environ 5 millions d'euros) et, plus original, l'instauration d'une Semaine des métiers du tourisme "pour valoriser les métiers et carrières du secteur, notamment auprès des jeunes". La campagne devrait débuter dès le début de 2022, pour être en phase avec les recrutements en vue de la saison touristique.
Investissement : 750 millions de Bpifrance, 500 millions de la Banque des Territoires
Le second axe du plan de reconquête prévoit de "renforcer la résilience du secteur et soutenir la montée en qualité de l'offre". Jean Castex estime en effet indispensable de répondre à la "montée en puissance d'un tourisme davantage en quête de singularité et d'authenticité" et de "proposer des offres à plus haute valeur ajoutée", autrement dit de développer "un tourisme plus qualitatif". Plusieurs mesures sont prévues à ce titre. Du côté de la résilience, une enveloppe de 100 millions d'euros est prévue pour soutenir les secteurs de l'événementiel et du tourisme d'affaires, les plus touchés par la crise sanitaire et qui peinent à repartir. De même, l'État va mettre en place un mécanisme de réassurance publique, afin de "sécuriser le marché de la garantie financière des opérateurs de voyages et de séjours". Les garanties – qui ne sont pas une dépense directe, ni certaine – pourraient aller jusqu'à 1,5 milliard.
Pour relancer le tourisme social, il est également prévu la mise en place d'un soutien financier au départ en vacances, chaque année, de 50.000 jeunes et 100.000 seniors en situation de précarité d'ici à 2025 et de favoriser l'offre de tourisme social pour les ultramarins (près de 70 millions sur la période).
Du côté plus offensif, la mesure majeure est le renforcement de l'offre publique de prêts de long terme sur les deux prochaines années, afin de financer la montée en qualité, notamment dans l'hôtellerie-restauration des villes moyennes. Avec l'effet levier des prêts, l'objectif est d'arriver aux 20 milliards d'euros d'investissements annuels (au lieu de 16) dans l'industrie touristique à l'horizon 2030, annoncés par Emmanuel Macron lors du sommet "Destination France". En pratique, la nouvelle enveloppe de 1,25 milliard de prêts comprend deux composantes. D'une part, 750 millions supplémentaires, soit le double de l'enveloppe actuelle, abonderont le prêt tourisme de Bpifrance, un financement de moyen terme (2 à 10 ans et jusqu'à 2 millions par opération), "dédié aux infrastructures, à l'immobilier de tourisme, loisirs et culture, et pour compléter l'offre du secteur bancaire traditionnel". Selon l'entourage du Premier ministre, il s'agit plutôt de pallier le désengagement du secteur bancaire, inquiet de la chute de l'activité touristique. D'autre part, 500 millions sont prévus pour le "prêt relance tourisme" de la Banque des Territoires, destiné aux grandes infrastructures touristiques des collectivités, avec des maturités beaucoup plus longues (jusqu'à 50 ans) et un différé d'amortissement pouvant aller jusqu'à 5 ans. Matignon reconnaît que cette enveloppe existait déjà, mais n'était pas consommée en raison de conditions de garanties trop restrictives. Le gouvernement a donc autorisé la Banque des Territoires à assouplir ces conditions, afin que l'enveloppe disponible de 500 millions puisse être utilisée d'ici à 2023.
Des fonds "Destination France" pour développer les atouts touristiques
Le troisième axe du plan de reconquête prévoit de "valoriser et développer les atouts touristiques français". Ainsi, deux fonds "Destination France" vont être créés et financés par l'État. Le premier (51 millions) sera consacré au soutien et au développement des atouts touristiques français : création ou restauration de 1.000 km de sentiers de pays et de 1.200 km de sentiers du littoral (pour atteindre plus de 7.000 km), création de 35 zones de mouillages et d'équipements légers (Zmel), développement du tourisme de savoir-faire... Même si cela ne figure pas parmi les mesures, Matignon rappelle également que le plan France Relance consacre une enveloppe de 614 millions au patrimoine culturel.
Le second fonds "Destination France" (55 millions) servira au renforcement d'une offre d'ingénierie touristique dans les territoires, avec en particulier un accompagnement en ingénierie pour les territoires qui en sont dépourvus. Il s'agit notamment de favoriser "la constitution et le développement de circuits touristiques territoriaux valorisant les atouts et patrimoines français".
Transition écologique et numérique : vers un nouveau classement des hébergements
Le quatrième axe entend "répondre aux enjeux de transformation du secteur" et, plus particulièrement, permettre l'atteinte de l'objectif affiché par Emmanuel Macron : faire en sorte que la France devienne la première destination touristique mondiale à mesurer son impact sur la biodiversité et l'effet des mesures prises pour l'atténuer. Pour cela, il est notamment prévu de "moderniser et verdir les classements des hébergements touristiques", ce qui signifie une nouvelle campagne, forcément lourde si on en juge par la précédente, de classement des structures d'hébergement touristique. Le principe des étoiles sera conservé, mais des critères exigeants de développement durable seront introduits. Le plan prévoit en effet la mise en place d'outils visant la réduction de l'empreinte écologique du secteur (11% des émissions de gaz à effet de serre) et l'adoption d'un tableau de bord du tourisme durable. Aucune indication n'a toutefois été donnée par le Premier ministre et par son entourage sur le calendrier de mise en place de ce nouveau classement des hébergements touristiques.
De façon plus large, il s'agit d'élargir le périmètre et de renforcer les moyens du Fonds tourisme durable, qui bénéficie d'une enveloppe de 50 millions dans le cadre du plan France relance. Il est ainsi prévu d'accompagner à ce titre 300 restaurants, 450 hôtels-restaurants et 1.000 autres structures d'hébergement (tourisme social, tourisme outre-mer...). Par ailleurs, une enveloppe de 44 millions est également prévue, au sein du fonds Destination France (ce qui porter ce nouveau fonds en près de 150 millions avec les deux autres enveloppes), afin de soutenir l'investissement dans les infrastructures touristiques durables et les mobilités douces : véloroutes et vélotourisme, petits trains routiers touristiques, projets de modernisation, verdissement et lutte contre la montée des eaux des ports de plaisance et bases nautiques... De même, les campings seront accompagnés "de manière spécifique", via un plan "Camping 2030", afin de s'adapter au changement climatique en zone littorale. Par ailleurs, côté numérique, il est prévu d'accompagner la transition numérique des TPE-PME du tourisme et de soutenir le développement et le rayonnement des start‑up du secteur.
Surfer sur les grands évènements sportifs à venir
Enfin le dernier axe du plan de reconquête entend "promouvoir la destination France". Il prévoit pour cela de renforcer les actions de communication et de promotion de la destination France, auprès des touristes, comme des investisseurs nationaux et internationaux (ce qui était l'objet du sommet du 4 novembre à l'Elysée). Ces actions, pilotées par Atout France, s'étaleront jusqu'en 2024, grâce à une enveloppe de 20 millions d'euros. Dans le même esprit, le sommet "Destination France" sera pérennisé et se renouvèlera désormais chaque année.
Il s'agit aussi de tirer profit des grands événements sportifs internationaux à venir – et notamment les championnats mondiaux de ski alpin et la coupe du monde de rugby en 2023 et les JO en 2024 – pour valoriser la destination France. Le projet de billetterie interconnectée sport-tourisme-culture-transport (BIC) devrait inciter les spectateurs à tirer parti de leur séjour et leur donner l'envie de le prolonger au-delà de l'événement sportif initial.
Enfin, une 21e mesure, à vocation transversale, prévoit d'instaurer une "gouvernance territorialisée" du plan de reconquête touristique. Dans ce cadre, l'essentiel des moyens prévus par le plan sera déconcentré et le gouvernement propose aux régions volontaires de mettre en place, pour trois ans, un comité Etat-région pour le tourisme, "chargé de mettre en œuvre, de manière territorialisée et en associant les autres niveaux de collectivités, les mesures du plan".
Des premières réactions plutôt positives
Les première réactions au plan de reconquête annoncé par le Premier ministre sont plutôt positives. Notamment du côté de l'Association nationale des élus des territoires touristiques (Anett),qui met entre autres l'accent sur le fait que "le classement d’une commune en 'station classée de tourisme' constitue une reconnaissance par l’Etat des efforts accomplis par les communes pour structurer une offre touristique d’excellence sur leur territoire" et se félicite que le gouvernement compte s'engager, en partenariat avec l'association, à "valoriser les lauréats du classement en station de tourisme" via un évènement annuel et autres actions de promotion.
Interrogé le 20 novembre sur France Info, Dominique Marcel, le président de l'Alliance France Tourisme (et président du conseil d'administration de la Compagnie des Alpes), qui réunit les grands acteurs français du tourisme, estime ainsi que "c'est une première étape que nous apprécions, parce que c'est une approche globale, qui embrasse la montée en qualité, la valorisation de nos atouts touristiques, le tourisme durable, le numérique, et évidemment la valorisation de l'attractivité de ces métiers". Il rappelle que "beaucoup de ces propositions correspondent à nos orientations publiées dans notre livre blanc sur l'avenir du tourisme" (voir notre article du 27 octobre 2021). Il souligne également que le secteur "a été très soutenu par les pouvoirs publics" durant la crise sanitaire. Mais il estime néanmoins que "nous n'avons pas encore rattrapé tout ce qui a été perdu".
De même, Roland Héguy, le président confédéral de l'Umih (Union des métiers et des industries de l'hôtellerie), juge auprès de l'AFP qu'"il y a une volonté du gouvernement de soutenir le monde du tourisme au sens large [...]. Sur la volonté politique c'est positif. Maintenant est-ce que les moyens vont suffire ? On verra". Mais Roland Héguy maintient la principale revendication de l'Umih : un étalement du remboursement des prêts garantis par l'Etat (PGE) sur une plus longue période que les quatre ans prévus actuellement. Pour lui, "on ne peut pas rembourser ce prêt garanti par l'Etat en quatre ans. Ce n'est pas possible parce qu'on avait déjà des investissements et des prêts avant le Covid. [...] Ce PGE est très lourd et on va demander un étalement et des aides dans ce domaine-là". Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie, a toutefois écarté tout nouveau report d'un an du remboursement des PGE, déjà repoussé à mars 2022. Mais il n'exclut pas des "solutions au cas par cas".