Congrès des maires – Mutations de l'activité touristique : le bonheur est-il dans le près ?
"S'adapter aux multiples mutations de l'attractivité touristique". Sous cet intitulé, l'un des forums du Congrès des maires a donné lieu à de nombreux échanges et témoignages. En commençant évidemment par évoquer l'impact - différent selon les types de territoires - de la crise sanitaire, perçue comme "un accélérateur et un amplificateur de tendances". Parmi ces tendance : l'importance de nouveau donnée au tourisme "national". L'accent a aussi été mis sur la nécessité d'un tourisme plus "durable", d'un tourisme "quatre saisons", d'une montée en gamme... Le secrétaire d'État Jean-Baptiste Lemoyne a pour sa part mis l'accent sur la nécessite d'investir massivement. En sachant que le Premier ministre doit détailler ce 20 novembre une "stratégie de reconquête touristique".
Dans le cadre du 103e Congrès des maires, l'Association des maires de France (AMF) organisait un forum intitulé "S'adapter aux multiples mutations de l'attractivité touristique". Un thème d'autant plus d'actualité que le forum a été interrompu durant une dizaine de minutes pour suivre en direct l'annonce des résultats de l'élection du président de l'AMF, qui a vu la victoire de David Lisnard, maire de Cannes (et ancien adjoint au tourisme), une ville symbole des grandes destinations touristiques (voir notre article du 17 novembre 2021).
Les dynamiques territoriales doivent évoluer
La première séquence du forum était consacrée à l'impact de la crise sanitaire. Pierre-Alain Roiron – maire de Langeais (Indre-et-Loire, 4.500 habitants) et co-président de la commission Développement économique, tourisme et commerce de l'AMF – a ouvert les débats en rappelant que le tourisme national a suppléé, durant deux ans, le tourisme international, qui devrait reprendre, mais pas forcément dans les mêmes proportions, à partir de l'été prochain. Mais le touriste français a, pour ses vacances, un pouvoir d'achat inférieur à celui du touriste international, ce qui pèse sur l'activité locale.
Face à cette situation, Florent Guitard, chargé de projets à la mission des offices de tourisme de Nouvelle-Aquitaine (Mona) considère que les dynamiques territoriales doivent évoluer. Pour cela, la Mona a organisé un groupe de réflexion réunissant élus, professionnels, salariés des offices... Il ressort de ces travaux, qui viennent d'être rendus publics, plusieurs constats importants : nécessité de partager des valeurs et un sens commun, nécessité d'être un collectif qui porte son territoire, ne pas oublier de commencer par le début (travailler sur ses propres postures et se remettre en question, car on a pris de mauvaises habitudes, notamment sur le travail en silos), nécessité d'accompagner le changement grâce à un portage politique fort, besoin d'un encadrement et de méthodes professionnels, reconnaissance du droit à l'erreur, intégration de la jeunesse (les futurs touristes) à la réflexion... Pour Florent Guitard, "ce n'est en apparence que du bon sens". Pourtant, la coordination des acteurs locaux, qui est une mission essentielle des offices, "reste complètement laissée de côté".
Le groupe de réflexion a donc identifié cinq leviers pour insuffler une dynamique territoriale novatrice. Ainsi, les OGD (organisation de gestion de destination) – offices de tourisme, comités départementaux et régionaux du tourisme – doivent être formés à l'intelligence collective. Ils doivent s'ouvrir et travailler avec les personnes qui ont envie, au-delà des administrateurs et adhérents. Ils doivent aussi se doter d'un plan d'action ambitieux pluriannuel, être accompagnés et intégrer les décideurs, élaborer des chartes communes et adopter les mêmes codes de dialogue...
Du temps couvert au beau fixe
L'impact de la crise sanitaire sur le tourisme n'a pas été le même pour tous les territoires. Si on peut regretter l'absence, parmi les intervenants du forum, d'un représentant des métropoles, Gabrielle Louis-Carabin, maire de Le Moule (Guadeloupe, 22.000 habitants), s'est chargée de rappeler que tous les territoires n'ont pas été logés à la même enseigne. La Guadeloupe a vu en effet s'effondrer son nombre de touristes, surtout lors de la quatrième vague : plusieurs confinements, disparition des bateaux de croisières – la maire de Le Moule estime qu'ils ne reviendront pas – très forte réduction des flux aériens... Pour Gabrielle Louis-Carabin, "il faudra des années pour s'en sortir".
Les perceptions sont très différentes pour Pierre Gonzalvez, maire de L'Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse, 20.000 habitants). Le premier confinement/déconfinement, a apporté beaucoup de visiteurs à l'été 2020, mais avec une mauvaise répartition des flux, qui se sont révélés "très difficiles à endiguer". Cette situation a créé de vrais problèmes, avec des effets d'aubaine (meublés, Airbnb...) qui nuisent à l'industrie hôtelière. Et, avec les terrasses "éphémères", l'occupation du domaine public "devient une guerre de tranchée avec les professionnels : on est en galère pour revenir aux périmètres initiaux". Mais la crise sanitaire aussi été "un accélérateur et un amplificateur de tendances". Elle a conduit la ville à déplacer des événements pour étaler les flux et mieux répartir l'activité touristique. La célèbre brocante de L'Isle-sur-la-Sorgue a ainsi été déplacée du 15 août à la Toussaint. Le pari était risqué mais il a réussi, sans nuire pour autant à la fréquentation de la mi-août. À travers cette mesure emblématique, il s'agit d'engager une politique au long cours d'adaptation du commerce à la vie des habitants, qui ont besoin d'avoir des commerces fonctionnant tout au long de l'année.
"La crise a éveillé les consciences"
Laurent Peyrondet, maire de Lacanau (Gironde, 5.000 habitants), estime qu'"on avait commencé à se réinventer avant la crise sanitaire". La ville disposait par exemple d'un schéma de développement touristique, qui s'est révélé bien utile quand les financements et le plan de relance sont arrivés. En revanche, l'adaptation à la loi Notr (nouvelle organisation territoriale de la République) a été très difficile, notamment pour fusionner les offices de tourisme. Pourtant, "quand on mutualise, le rendement de la taxe de séjour connaît chaque année une progression à deux chiffres". De façon plus large, on doit reconnaître que les territoires littoraux n'ont pas vraiment été pénalisés par la crise sanitaire (sauf outre-mer), avec deux très bonnes saisons d'été. Pour les offices de tourisme, la situation a été plus contrastée : ceux qui vivent de la taxe de séjour s'en sont bien sortis avec les saisons d'été, ce qui n'est pas le cas de ceux qui vivent de la vente de services. Pierre-Alain Roiron confirme que "la crise a éveillé les consciences : aujourd'hui on est moins prêts à aller loin pour quelques jours. On essaie donc de faire rester les visiteurs plus longtemps et il faut continuer dans ce sens".
"Année du siècle" versus incivilités
La seconde séquence était consacrée au tourisme durable, cher au chef de l'État. La vision idyllique du tourisme de proximité s'en est trouvée quelque peu écornée. En effet, Maider Arosteguy, maire de Biarritz (Pyrénées, 26.000 habitants), n'a pas hésité à mettre les pieds dans le plat : "On a bénéficié effectivement du tourisme national et connu une 'année du siècle' à Biarritz. Mais cela a amené de très nombreuses voitures et le tourisme a été un tourisme de relâche, qui a peu à voir avec le développement durable : multiplication des incivilités, fracture entre ceux qui vivent du tourisme et ceux qui accueillent les touristes..." Maider Arosteguy espère qu'il s'agit d'une dérive temporaire, mais va néanmoins travailler à une "Charte du visiteur". La maire de Biarritz estime par ailleurs qu'"on est en train de dévisser parce qu'on manque de main-d'œuvre. De ce fait, on n'a pas été au rendez-vous de l'accueil dans le palace que possède et gère la ville" (un cas unique en France).
Pour sa part, Sébastien Populaire, maire de Touillon-et-Loutelet (Doubs, 270 habitants) et président de l'office de tourisme du Pays du Haut-Doubs, estime que "l'âge d'or du ski alpin s'achèvera vers 2035, ce qui risque de mettre à mal un modèle économique basé sur le ski alpin. Alors soit on se met des oeillères, soit on se prépare". Bien sûr, il y aura encore de la neige, mais pas assez pour conserver le même modèle économique. Il faut donc "dépolariser le tourisme" et ne plus tout miser sur le ski alpin De ce point de vue, la fermeture des remontées mécaniques à l'hiver 2020-2021 a poussé au développement du ski nordique ou d'autres disciplines comme les promenades en raquettes.
Monter en gamme plutôt que de risquer le sur-tourisme
Pour Maider Arosteguy, l'enjeu climatique se situe dans les eaux de baignade, avec l'arrivée potentielle d'algues toxiques. Il faut donc être dans l'anticipation. Il ne s'agit pas de rompre avec les pratiques – comme le surf – mais de raisonner désormais sur tout l'écosystème.
À Lacanau – qui "n'a pas de palace, mais un camping municipal" – on a connu les mêmes problématiques d'incivilités. Celles-ci étant apparues en amont de la crise sanitaire, la commune a eu le temps d'y travailler. Il s'agit en l'occurrence de monter en gamme plutôt que de poursuivre dans la voie du sur-tourisme. Comme dans les autres stations balnéaires ou alpines, la question du logement des salariés et des saisonniers constitue également un enjeu majeur. Pour Maider Arosteguy, la loi doit évoluer pour permettre le logement des étudiants et saisonniers. De son côté, Sébastien Populaire confirme la nécessité de s'orienter vers un tourisme des quatre saisons, par exemple avec un plan vélo et le développement d'activités nouvelles comme le trial. Il insiste aussi sur l'importance de la communication et de la production de contenus. Parfois, une simple webcam retransmettant des images des champs de neige suffit à faire venir des touristes.
"Une saison de trois mois ne suffit pas"
Enfin, la troisième séquence était consacrée aux stratégies globales de relance du tourisme. Pour Pierre-Alain Roiron, "une saison de trois mois ne suffit pas". Pour dépasser cette contrainte, il faut à la fois une stratégie nationale et des stratégies locales et développer les coordinations entre collectivités. Pour Muriel Abadie – maire de Pujaudran (Gers, 1.500 habitants) et vice-présidente de la région Occitanie en charge du tourisme –, "nous devons continuer à être attractifs à l'international, mais se tourner aussi vers un tourisme du 21e siècle, plus responsable". La région lance donc son schéma régional du tourisme, qui devrait être opérationnel au printemps prochain.
Nicolas Rubin, maire de Châtel (Haute-Savoie, 1.250 habitants) confirme cette nécessaire coordination entre collectivités, à travers l'exemple de Savoie Mont Blanc, qui réunit Savoie et Haute-Savoie et vient de terminer un "sourcing" auprès des habitants et des professionnels pour connaître le tourisme qu'il faudra proposer demain. Il devrait confirmer les orientations nées de la crise sanitaire. Il devrait également poser la question du sur-tourisme. Selon Nicolas Rubin, "on a des sites qui demandent de 'démarketer' la destination : 20% de sites sont très ou trop fréquentés, quand 80% restent à découvrir".
"Il faut investir, investir et investir"
Pour Jean-Baptiste Lemoyne, qui participait à cette troisième séquence, "c'est une bonne chose que la compétence tourisme soit restée partagée". Le secrétaire d'État en charge du tourisme pouvait difficilement faire des annonces, alors que le Premier ministre doit détailler la stratégie de reconquête touristique le 20 novembre. Il a néanmoins rappelé que "les Français ont massivement joué le jeu de l'été bleu-blanc-rouge en 2020" et espère qu'il va en rester quelque chose. Il y a quelques années, Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, avait fixé un objectif de 100 millions de touristes internationaux. Aujourd'hui, l'objectif a changé : il est d'avoir des touristes qui restent plus et dépensent plus. Et pour cela, "il faut investir, investir et investir". Pour cela, l'État actionne certains leviers dont ceux de la Caisse des Dépôts / Banque des Territoires. L'offre doit également être plus en phase avec les attentes. Jean-Baptiste Lemoyne a notamment rappelé les principaux sujets qui ressortent de la concertation préalable à la stratégie de reconquête : l'emploi (dont celui des saisonniers) et la formation, le digital pour mieux valoriser l'offre existante, avec déjà un premier outil constitué par la plateforme Alentour développée par la Banque des Territoires (voir notre article du 30 septembre 2021), ou encore le développement des itinérances douces (plans vélo notamment).
Pour le secrétaire d'État, la crise sanitaire a une conséquence positive : elle fait comprendre à tous les Français l'importance du secteur du tourisme. En outre, de grands événements à venir – Coupe du monde de rugby en 2023, JO en 2024... – vont pousser la destination France. Ce sera aussi l'occasion de mettre en place une billetterie interconnectée qui proposera aux visiteurs venus pour ces événements d'autres activités et des moyens de transport.
Muriel Abadie salue l'annonce prochaine de ce nouveau plan de reconquête, mais estime important de prévoir des comités de pilotage État-régions et que l'État s'engage sur des enveloppes. Pour elle, "il faut absolument territorialiser le plan", mais aussi ne pas oublier le tourisme pour tous, car "l'économie touristique, c'est aussi le tourisme local". Pour Nicolas Rubin, "le terme de reconquête est ambitieux et fait plaisir à entendre". Mais il faudra, sur ce terrain-là aussi, renforcer le couple maire-préfet, en donnant davantage de marges de manœuvre à ce dernier