Natura 2000 : un trentième anniversaire en demi-teinte
Au cours d’une conférence ministérielle tenue à Strasbourg les 24 et 25 février, l’Union européenne a célébré les 30 ans de la directive Habitats et du réseau Natura 2000, "plus grand réseau mondial d’aires protégées à l’échelle d’un continent". Les participants ont toutefois souligné l’ampleur du chemin restant à parcourir, appelant notamment, dans une "déclaration de Strasbourg", à une "nécessaire et substantielle amélioration de la mise en œuvre" de cette législation.
L’ambiance n’était pas à la fête lors de la célébration des 30 ans du réseau Natura 2000, organisée lors d’une conférence ministérielle tenue à Strasbourg les 24 et 25 février derniers, dans le cadre de la présidence française de l’Union. L’invasion russe de l’Ukraine était dans tous les esprits, et sur toutes les lèvres. Elle a d’ailleurs conduit les organisateurs à reporter la remise des "grands prix Natura 2000" : "les lauréats seront connus en mai, à Bruxelles", a annoncé, en visioconférence, le commissaire à l’environnement, Virginijus Sinkevičius. Le lancement officiel du programme Life IP Biodiv’Est de la région Grand Est (voir notre article) a, lui, pu se dérouler comme prévu. Un programme que "la Commission souhaiterait voir repris par d’autres régions", a salué le commissaire, le président de la région Grand Est Jean Rottner soulignant pour sa part qu’il entendait avec ce dernier "œuvrer pour la préservation de la vie", phrase qui résonnait d’un timbre particulier compte tenu du contexte.
Législation et démarche saluées…
Sur le fond, si l’on s’est félicité du chemin parcouru depuis 1992, avec la constitution soulignée à l’envi du "plus vaste réseau d’espaces naturels protégés du monde à l’échelle d’un continent", la secrétaire d’État française Bérangère Abba a rafraîchi les ardeurs : "Nous n’atteignons pas les objectifs que nous nous sommes fixés en matière d’érosion de la biodiversité".
La qualité des textes ne serait a priori pas en cause. "Les directives relatives aux oiseaux et aux habitats naturels restent pertinentes et adaptées", estiment dans une "déclaration de Strasbourg", adoptée à l’unanimité à l’issue des travaux, les ministres de l’UE et le commissaire, soulignant leur "attachement commun à ce socle législatif et reconnu". C’est leur bonne exécution qui ferait défaut. La déclaration met ainsi en exergue "la nécessaire et substantielle amélioration de [l]a mise en œuvre et du contrôle de [l’] application" de la législation de l’UE relative à la nature, qu’il "convient de renforcer de manière significative". Au même titre que la réduction des "pressions sur la nature" et l’accompagnement "vers des pratiques compatibles avec la préservation et l’usage durable de la biodiversité", tout en "explor[ant], promo[uvant] et reconnai[ssant] davantage les possibilités qu’offre Natura 2000 pour les activités économiques durables en tant que base du développement local".
La démarche – "basée sur la concertation locale et la conciliation entre la préservation de la biodiversité et les activités humaines" – ne semble pas, elle non plus, remise en question. "Natura 2000, c’est aussi une méthode qui a fait ses preuves", affirme Bérangère Abba, mettant en avant "l’importance du principe de subsidiarité". Pour preuve, "la loi 3DS prévoit le transfert de la compétence animation des zones [terrestres] Natura 2000 aux régions [en lieu et place des préfets de département], en cohérence avec le fait qu’elles gèrent les fonds européens. Elles ont toutes les compétences nécessaires", relève la secrétaire d’État.
… mais insuffisantes
Il n’en reste pas moins que les signataires de la déclaration de Strasbourg appellent à un certain nombre d’ajustements.
"Un objectif clé pour toutes les parties prenantes devrait être maintenant d’évaluer l’efficacité et l’efficience du réseau Natura 2000 dans l’atteinte des objectifs principaux de conservation", peut-on ainsi lire dans la déclaration. Plus encore, reprenant les conclusions du Conseil de l’UE d’octobre 2021, les signataires reconnaissent que "le renforcement de la mise en œuvre des directives Nature, seul, ne suffira pas". "Une nouvelle feuille de route" est nécessaire, estime Bérangère Abba. Elle aura pour "base essentielle" les objectifs de la stratégie de l’UE pour la biodiversité pour 2030, précise la déclaration, qui mentionne "en particulier ceux concernant le plan de restauration de la nature de l’Union […], le renforcement du réseau des aires protégées […] et l’attente des objectifs principaux de conservation des aires protégées d’une manière effective". Un dernier point qui n’est pas sans faire écho aux critiques des associations environnementales : "La majorité des sites Natura 2000 en mer ne sont que des lignes sur une carte et les méthodes de pêche les plus dangereuses, comme le chalutage de fond, y sont toujours autorisées. On peut se demander pourquoi ces sites sont qualifiés d’aires marines protégées étant donné le manque de protection effective", dénonce ainsi Vera Coelho, directrice du plaidoyer chez Oceana Europe.
Enfin, les signataires insistent sur la "simplification et la facilitation de l'accès aux financements" et sur "l'intensification du fléchage des crédits vers la biodiversité", rappelant l’ambition fixée en la matière : 7,5% des dépenses annuelles au titre du cadre financier pluriannuel en 2024 et 10% de ces dépenses en 2026 et 2027. "Le point des financements est central", a martelé Bérangère Abba, insistant sur la nécessaire "cohérence entre les ambitions et les moyens", mais aussi "cohérence entre les politiques sectorielles et cohérence entre les engagements internes et internationaux". En la matière, la 15e COP de la Convention pour la biodiversité, qui se tiendra à Kunming (Chine) au printemps prochain (fin avril-début mai), sera cruciale.
Interrogée sur la future stratégie française pour la biodiversité 2021-2030, dont une version a été publiée à l’insu du ministère, Bérangère Abba s’est refusée à commenter "des versions tombées du camion" et indiqué que "la version originale" [entendre, définitive] devrait être publiée en mars. Une version qui ne pourrait être que partielle. La secrétaire d’État a en effet confessé "être un peu juste en termes de calendrier sur le volet financements et sur le volet indicateurs. Il manque un ou deux mois", a-t-elle précisé, ajoutant qu’elle décidera "ce qui sera éventuellement reporté sous peu". "Le calendrier, avec des points de suivi opérationnels, c’est ce qui fera la différence avec les précédentes stratégies qui n’ont pas été mises en œuvre", juge-t-elle. Côté financements, Bérangère Abba vante d’ores et déjà le "travail de révision totale" effectué pour remettre à plat le "Beaubourg de la biodiversité" – la complexité des circuits de financement –, rappelant que le président Macron s’était "engagé sur une fiscalité plus lisible, pour ne pas dire affectée". |