Personnes âgées - Loi Vieillissement : ce qui change pour les collectivités
Article initialement publié le 16 décembre 2015
Le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement, c'est un peu l'histoire d'une réforme qui suscite un large consensus tout au long de son parcours et qui met pourtant près de neuf ans pour émerger et entrer en vigueur. En décembre 2007, quelques mois après l'élection de Nicolas Sarkozy, Valérie Létard, alors secrétaire d'Etat chargée de la solidarité, annonce ainsi un projet de loi sur la prise en charge des personnes dépendantes, qui doit alors être présenté "à la fin du premier semestre" 2008...
En fait, après diverses péripéties et l'abandon de plusieurs pistes de réforme - l'introduction d'un système d'assurances privées soutenues par des incitations fiscales est même un temps envisagée -, aucun projet de loi ne verra le jour sous le précédent quinquennat, même si d'autres mesures contribuent à une amélioration de la situation des personnes âgées, comme la revalorisation de 25% du minimum vieillesse étalée sur cinq ans.
Remise sur le chantier, mais sans le volet établissements
Peu après l'élection de François Hollande, Michèle Delaunay - alors ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie - lance, à l'automne 2012, trois missions thématiques destinées à préparer un futur projet de la loi Autonomie. Il faudra toutefois plus de deux ans pour qu'émerge le projet de loi, au prix d'un abandon du volet de la réforme en établissement. Celle-ci a en effet été renvoyée à un texte séparé, dont il est douteux qu'il voie le jour avant la fin du quinquennat.
En revanche, dans une démarche très inhabituelle, le gouvernement a fait adopter, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, une disposition instaurant un financement spécifique pour le texte à venir. Dès le 1er avril 2013, tous les retraités acquittant l'impôt sur le revenu versent ainsi la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (Casa), une taxe au taux de 0,3% (0,15% en 2013), dont le produit est affecté à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Destinés à financer les mesures de la loi Vieillissement, les quelque 700 millions de la Casa ont en fait essentiellement servi, jusqu'en 2016, à combler le déficit du fonds de solidarité vieillesse (FSV), suscitant ainsi la polémique, y compris au sein de la majorité.
La revalorisation de l'APA, mesure phare de la loi
La mesure phare de la loi - qui est d'ailleurs à l'origine du texte - concerne la réforme de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA). Un large consensus régnait sur la nécessité d'apporter un certain nombre d'ajustements à une prestation entrée en vigueur le 1er janvier 2002 et qui a connu une montée en charge extrêmement rapide, avant de se stabiliser dans la deuxième moitié des années 2000. Environ la moitié de l'enveloppe dégagée par la Casa (726 millions d'euros prévus pour 2016) est affectée à cette réforme. Comme déjà indiqué, la réforme ne concerne toutefois que l'APA à domicile, la question de l'APA en établissement restant en suspens.
Cet aspect du texte n'a d'ailleurs donné lieu qu'à très peu de discussions au cours de la procédure législative. Le texte prévoit en définitive trois mesures principales à ce titre : une augmentation du nombre d'heures d'aide à domicile pour les personnes les plus dépendantes, une réduction de la participation financière des bénéficiaires (ticket modérateur) et une exonération de toute participation financière pour les personnes à revenus très modestes (bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées). Avec la combinaison de ces trois mesures, le gouvernement estime que la quasi-totalité des bénéficiaires de l'APA à domicile - soit environ 600.000 personnes - devraient voir diminuer leur reste à charge.
Seul sujet relatif à l'APA ayant donné lieu à des divergences significatives au cours de la discussion parlementaire : après plusieurs va-et-vient en sens contradictoire, le Sénat a finalement obtenu gain de cause sur un fléchage des recettes de la Casa, garantissant leur emploi au seul bénéfice du financement de la loi Vieillissement et de la revalorisation de l'APA.
Une reconnaissance et un droit au répit pour les "proches aidants"
Une autre avancée de la loi - réclamée depuis de nombreuses années - concerne les aidants naturels, autrement dit l'entourage familial qui assure ou contribue à la prise en charge d'une personne âgée dépendante. Le terme de statut - très utilisé mais qui ne figure pas dans la loi - est plus symbolique qu'effectif. Il s'agit plutôt d'une reconnaissance du rôle essentiel joué par les "proches aidants" - le terme instauré par la loi -, qui allège d'autant le coût collectif de la prise en charge, notamment via l'APA.
Celle-ci est toutefois assortie de quelques mesures très concrètes. La principale est l'instauration d'un droit au répit, qui doit contribuer à éviter l'épuisement qui frappe nombre d'aidants (souvent âgés, dans la mesure où il s'agit généralement du conjoint ou des enfants, parfois eux-mêmes retraités). En pratique, ce droit au répit se traduit par la mise en place d'un "doit de tirage", sous la forme d'une enveloppe pouvant aller jusqu'à 500 euros par an et par personne aidée. Cette enveloppe peut être utilisée pour financer, par exemple, un accueil de jour, un hébergement temporaire (pendant des vacances de l'aidant), un renforcement de l'aide à domicile...
Afin d'éviter des placements en établissement injustifiés, la loi prévoit aussi la mise en place d'un dispositif d'urgence, en cas d'hospitalisation temporaire du proche aidant. Elle crée également un "congé de proche aidant", qui remplace - dans ce cas de figure - le congé de solidarité familiale.
Le logement, invité surprise
Le logement ne figurait pas dans les intentions initiales autour du projet de loi. Il y a été introduit progressivement, notamment sous l'effet de différents rapports sur le sujet, comme celui des directeurs de la Cnav et de l'Anah sur la simplification des aides à l'adaptation du logement. Le volet logement s'est ainsi progressivement étoffé, au point de constituer l'une des principales composantes de la loi.
Parmi les mesures adoptées à ce titre, figure notamment la finalisation du "plan national d'adaptation des logements à la perte d'autonomie", qui doit permettre d'adapter 80.000 logements à l'échéance 2017, avec l'aide de la Cnav et de l'Anah (une mesure anticipée avant même le vote de la loi, avec une première enveloppe de 20 millions d'euros dès 2015). Le texte prévoit aussi de développer l'offre d'habitat intermédiaire ou regroupé, adapté aux besoins des personnes âgées.
L'autre mesure phare en matière d'habitat concerne toutefois les logements foyers, dont le modèle arrive à épuisement avec le vieillissement de leurs occupants. La loi transforme ces structures en "résidence autonomie", tout en mettant sur pied un plan d'aide à l'investissement - abondé par la CNSA et la Cnav - pour financer leur indispensable rénovation (mesure également pour partie anticipée dès 2015, à hauteur de 10 millions d'euros, sur un total de 50 millions).
Les résidences autonomie disposeront par ailleurs d'un "forfait autonomie", qui permettra de renforcer leur rôle dans la prévention de la dépendance, en finançant par exemple des actions collectives autour de la mémoire, de la nutrition, du lien social... La loi procède aussi à une clarification et à une sécurisation juridique de la tarification et du modèle des résidences services, en distinguant précisément ce qui relève de la gestion des copropriétés et ce qui relève des services individuels proposés par la structure.
Enfin - et toujours dans une optique de prévention - la loi prévoit de faciliter l'accès aux nouvelles technologies des personnes âgées à revenus modestes vivant à leur domicile. Les aides pourront notamment porter sur des dispositifs de téléassistance ou de domotique.
Aide à domicile : tout n'est pas dans la loi
Entre le moment où a commencé d'émerger l'idée d'un projet de loi sur la perte d'autonomie - en 2007-2008 - et le vote final du Sénat le 14 décembre 2015, le domaine de l'aide à domicile est passé du statut de futur eldorado de l'emploi à celui de secteur en crise. La loi Vieillissement porte la trace de cette évolution : contrairement à ses autres composantes, le volet consacré à l'aide à domicile apparaît en effet nettement défensif.
Le secteur devrait, bien sûr, bénéficier de l'amélioration de l'APA et des plans d'aide, qui doit se traduire par un recours accru de la part des bénéficiaires. Mais l'essentiel des aides au secteur - tout en étant très lié aux débats autour de la loi Vieillissement - ne relève pas directement du texte. Pendant la discussion du projet de loi, le gouvernement a ainsi lancé en 2015 une nouvelle tranche de 25 millions d'euros du fonds de restructuration de l'aide à domicile (155 millions d'euros mobilisés depuis 2012) et dégagé 25 millions d'euros pour la première tranche de la revalorisation des métiers du secteur.
Deux mesures relèvent en revanche directement de la loi Vieillissement. La première concerne le lancement de l'expérimentation des services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad), qui combinent les missions d'un service d'aide et d'accompagnement à domicile (Saad) et celles d'un service de soins infirmiers à domicile (Ssiad).
La seconde mesure aura finalement été la plus contestée de tous le projet de loi. Elle concerne en effet l'instauration d'un régime unique d'autorisation pour l'ensemble des services d'aide à domicile pour les personnes âgées et les handicapés. Ce nouveau régime unique sera aligné sur celui de l'autorisation actuelle des services d'aide et d'accompagnement à domicile intervenant en mode prestataire auprès des publics fragiles. Dans le même temps, les départements sont désignés comme responsables de la structuration territoriale de l'offre d'aide à domicile. La combinaison de ces mesures a suscité une vive opposition de la part des prestataires privés, qui craignent que les départements privilégient systématiquement les prestataires associatifs. Une mesure d'apaisement semblait envisageable autour d'une période d'expérimentation, mais celle-ci a finalement été écartée par le Sénat.
De la conférence des financeurs au développement de la prévention
A côté de ces différents chapitres, la loi comporte également un grand nombre de mesures plus ponctuelles et parfois un peu disparates. Elle prévoit ainsi la mise en place, dans chaque département, d'une "conférence des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées" - regroupant notamment le département et les organismes de protection sociale -, chargée d'élaborer et de mettre en œuvre un "programme coordonné de financement des actions individuelles et collectives de prévention". Celui-ci interviendra en complément des prestations légales ou réglementaires.
Toujours au titre de la prévention, diverses mesures doivent renforcer, de façon significative, les actions menées en la matière : organisation d'actions de prévention individuelles et collective, mise en œuvre d'un plan national pour une politique du médicament adaptée aux besoins des personnes âgées, déploiement et accélération du dispositif Monalisa de lutte contre l'isolement, valorisation de l'engagement des citoyens âgés (transmission intergénérationnelle, tutorat des jeunes en service civique...)...
Droits, libertés et information
La loi s'attache aussi à garantir les droits des personnes âgées à travers diverses mesures : amélioration du recueil du consentement pour l'entrée en Ehpad, désignation d'une personne de confiance, renforcement de l'intégrité physique et de la sécurité des personnes âgées, protection accrue contre les abus de faiblesses ou les tentatives de captation d'héritage...
La création d'un Haut conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge - un temps contestée par le Sénat - doit, par ailleurs, contribuer à une meilleure prise en compte de la situation et des besoins des personnes âgées dans les différentes politiques publiques.
Côté information, la loi prévoit la création d'un portail (lui aussi mis en ligne par anticipation) www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr, doublé d'un numéro d'appel dédié. Conçu comme le portail national d'information sur le sujet, celui-ci doit notamment contribuer à une plus grande transparence des tarifs des Ehpad, avec en particulier la mise en œuvre d'un "simulateur de reste à payer". Une mesure complétée par la définition d'un socle de prestations obligatoirement incluses dans le tarif hébergement de base des Ehpad.
Dernier détail, qui ne manquera pas d'intéresser les départements : les mesures de la loi ayant un impact financier direct sur les départements - à commencer par la revalorisation de l'APA - seront intégralement compensées par l'Etat, via la CNSA. Ceci aura pour conséquence de faire remonter à 36% le taux de participation au financement de l'APA, qui était tombé de 43% à 31% entre 2002 et 2012.
Jean-Noël Escudié / PCA
Référence : projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement, adopté en dernière lecture - après commission mixte paritaire - par l'Assemblée nationale le 10 décembre 2015 et par la Sénat le 14 décembre 2015.