Développement durable - Les territoires font le plein d'énergie
Les 11es Assises de l'énergie qui se sont tenues à Dunkerque du 26 au 28 janvier en présence de plus d'un millier de participants ont été l'occasion de montrer la forte mobilisation des collectivités sur les questions du climat et de l'énergie. Preuve que l'échec de la conférence de Copenhague de décembre dernier n'a en rien émoussé l'enthousiasme des acteurs de terrain et que les initiatives locales sont plus que jamais les fers de lance des politiques d'adaptation au changement climatique. Visites de sites, échanges d'expériences, tables-rondes d'experts et d'élus, ont ponctué ces trois jours.
De nouveaux outils ont également été présentés, comme le nouveau centre de ressources que l'Ademe mettra en ligne début février pour aider les collectivités à mettre en place des plans Climat Energie territoriaux (PCET). Créé en collaboration avec le ministère du Développement durable, le futur site pcet-ademe.fr va se décliner en quatre rubriques : méthodes (présentation et démarches de mise en œuvre des PCET, financement, etc.), actions - les diverses thématiques pour lutter contre le changement climatique (aménagement et urbanisme, bâtiment, transport et mobilité, agriculture, sylviculture, espaces verts et biodiversité, production et distribution locales d'énergie, modes de production et de consommation durables, économie locale, déchets), outils (pour le diagnostic et le pilotage, la communication, etc.) et observatoire (retours d'expériences, échanges entre collectivités à travers des newsletters, des listes de discussion, etc.). Le site va aussi présenter le dispositif de formation de l'Ademe sur les PCET destiné aux responsables des collectivités.
Le temps des ruptures
Les Assises ont donné lieu les 28 janvier à des débats nourris sur les ruptures indispensables à mener dans les dix ans à venir. François Bellanger, consultant et directeur de Transit City, structure de prospective urbaine, a rappelé les enjeux. "Nous avons consommé autant de terrains en France entre 1950 et 2005 qu'entre la période romaine et 1945, a-t-il lancé. Nous avons pensé la ville en fonction de schémas datant d'il y a plus de soixante ans, en clair le modèle américain avec étalement urbain, rocades et hypermarchés en périphérie. Or tout cela est en train de craquer car ce tissu urbain était fondé sur des carburants bon marché. Mais quand on demande aujourd'hui aux élus comment marche la ville si l'essence est à 2 euros, on n'a pas de réponse."
Selon lui, l'évolution des prix du pétrole dans les années à venir aura des conséquences profondes non seulement sur le bâtiment et les transports mais aussi sur l'alimentation. "Il n'y a aucune réflexion sur ce sujet dans les propositions qui ont été faites pour le Grand Paris alors que des villes américaines comme Detroit, jadis dévolue à l'automobile, repense aujourd'hui son urbanisme en voulant réintroduire les cités jardins", a-t-il illustré. Pour François Bellanger, c'est le modèle de la ville japonaise dense, organisée autour des transports collectifs et des circulations douces qui est en train de s'imposer progressivement aux Etats-Unis. Autre facteur clé qui risque de changer profondément le modèle urbain des prochaines années : l'évolution du climat et la fréquence accrue des catastrophes naturelles. François Bellanger a cité l'exemple de l'Australie, victime de la sécheresse et d'incendies dévastateurs : des métropoles comme Sydney remettent aujourd'hui en cause le développement des zones pavillonnaires en périphérie au profit d'une redensification.
Plus près de nous, une ville comme Genève a adopté en 2006 un plan ambitieux : devenir totalement indépendante des énergies fossiles en 2050 dans les bâtiments publics en développant toutes les formes d'énergies renouvelables (solaire, géothermie, récupération de chaleur, etc.) et en améliorant la performance énergétique. "En se fixant un objectif a priori inatteignable, on s'aperçoit que tout le monde se mobilise, a témoigné Valérie Cerda, chef du service Energie de la cité helvétique. Cinq ans après, cela nous donne un élan terrible. On a des bâtiments déjà équipés, des programmes de rénovations fondés sur 100% d'énergies renouvelables qui reviennent moins cher qu'avec 100% d'énergies fossiles." Le première tranche du programme, qui prenait fin en 2009, a déjà permis de réduire la dépendance aux produits pétroliers de 38% et de multiplier par trois la part d'énergie renouvelable dans le bilan énergétique de la ville.
Mieux organiser le jeu des acteurs
Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce, association qui fédère collectivités et entreprises sur les thèmes de l'énergie et des déchets, a aussi défendu le principe d'une mobilisation générale des acteurs, pour plus de cohérence. "Trop souvent sur les questions d'énergie et de climat, tout le monde tire la couverture à soi et il y a encore trop de cloisonnements : le plus souvent, celui qui s'occupe d'urbanisme ne s'occupe pas d'énergie. Il faut donc créer au sein des collectivités un lieu de débat à la bonne échelle. On pourrait ainsi mettre en place une conférence régionale de l'énergie pour organiser le jeu des acteurs."
Les élus les plus engagés dans la mise en œuvre des plans Climat Energie territoriaux réclament de leur côté davantage d'efforts à l'Etat pour soutenir leurs actions. "A Paris, notre objectif est de réduire de 25% nos émissions à l'horizon 2020 : nous connaissons les réponses techniques, le problème est de savoir de quels moyens on dispose et à quel rythme on avance, a souligné Denis Baupin, adjoint au maire de la ville de Paris en charge du développement durable. Il faudrait un objectif fixé par la loi, mettant en place un dispositif financier pour lancer le mouvement." Pour Michel Delebarre, président de la communauté urbaine de Dunkerque, qui a voté son plan Climat en décembre dernier, celui-ci doit être vu comme un "concours Lépine de bonnes idées". Mais, a-t-il aussitôt ajouté, "pour que nous puissions avancer, nous avons aussi besoin que derrière le Grenelle, l'Etat s'engage à modifier tous les règlements qui ont besoin de l'être pour faciliter les initiatives innovantes. Nous réclamons des expérimentations avec déréglementation".
Anne Lenormand
Taxe carbone : la recette suédoise
Il a été aussi question de la taxe carbone au cours de ces 11es Assises de l'énergie pour rappeler qu'il y a des pays en Europe qui l'ont instaurée depuis longtemps sans susciter de levée de boucliers. Per Holmström, ministre plénipotentiaire de l'ambassade de Suède, a ainsi présenté le dispositif mis en place en 1991 dans son pays. Perçue sur le contenu en CO2 des produits fossiles (carburants et produits de chauffage en tête), elle a été introduite dans le cadre d'une grande réforme de la fiscalité, qui prévoyait une diminution sensible de l'impôt sur le revenu du travail. La pédagogie a ainsi pu être faite facilement auprès des ménages, principaux contributeurs de la taxe, a expliqué Per Holmström. Le niveau de la taxe a été relevé de manière progressive : de 27 euros la tonne au départ, il est aujourd'hui de 108 euros. Les secteurs industriels soumis à la concurrence ont des taux réduits : 15% pour ceux relevant du système européen d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre et 21% pour les autres.
La taxe carbone a encouragé le recours aux énergies plus propres. Les biocarburants ont connu un fort développement et les réseaux de chaleur aussi : ils alimentent aujourd'hui 82% des immeubles résidentiels et la moitié des habitations en Suède. Conséquence de ce changement de cap : en 2006, la diminution totale des émissions de CO2 constatée était de 9% par rapport à 1990 et les estimations qui ont été faites indiquent que les émissions auraient augmenté de 20% si rien n'avait été fait.
A.L.