Les régions vent debout contre l'éventuel transfert de l'apprentissage aux branches professionnelles
Alors que l'éventualité d'un transfert de la responsabilité de l'apprentissage aux branches professionnelles, comme le souhaite le Medef, se précise, les régions menacent de quitter la concertation en cours, dont la prochaine réunion est prévue ce 22 décembre. Elles ont demandé le 20 décembre à être reçues en urgence par le Premier ministre.
Inquiet de voir le gouvernement transférer la responsabilité de l'apprentissage aux branches professionnelles, comme l'a proposé le Medef, le président de Régions de France, Hervé Morin, a demandé le 20 décembre 2017 au Premier ministre de "recevoir en urgence" une délégation de Régions de France en présence de la ministre du Travail. Dans une lettre ouverte à Edouard Philippe, Hervé Morin évoque plusieurs signaux laissant penser que le gouvernement aurait en effet décidé de s'aligner sur la position soutenue par une partie du Medef national. Pourtant, fait valoir l'association, aucune étude, ni aucune évaluation n'ont démontré une quelconque défaillance des régions dans cette mission. "Nous ne comprenons pas cette éventuelle décision de suppression d'une compétence majeure pour l'avenir de nos territoires", insiste le président de Régions de France dans sa lettre, tout en menaçant de mettre "fin à l'ensemble de nos interventions sur ce champ d'action publique" si le gouvernement confirmait ce transfert vers les branches professionnelles.
La veille, le 19 décembre, lors d'une conférence de presse organisée au siège de Régions de France, les régions avaient d'ores et déjà annoncé vouloir suspendre leurs investissements concernant l'apprentissage jusqu’en janvier prochain, tout en appelant le gouvernement à la raison. "Tous les projets d’investissement en Normandie sont suspendus jusqu’en janvier ou février 2018", a ainsi signalé Hervé Morin, précisant qu'il s'agissait de "mesures de bonne gestion" et que les régions ne quittaient pas pour autant la concertation en cours, dont la prochaine réunion doit avoir lieu le 22 décembre, avec la réunion du 25 janvier au cours de laquelle un pré-rapport sera présenté.
"Le gouvernement se trompe lourdement de modèle"
Pour le président de Régions de France, ce transfert de l'apprentissage aux branches professionnelles viendrait démentir les propos du Premier ministre tenus lors de la Conférence nationale des territoires du 14 décembre. Il provoque la consternation unanime des présidents de région. "Le gouvernement se trompe lourdement de modèle s’il confie aux Opca le financement de l’apprentissage", a déclaré Hervé Morin, pointant notamment le risque de conflits d’intérêts entre des branches qui seraient à la fois en charge de la gestion des fonds alloués aux centres de formation d'apprentis (CFA) et de la gestion des centres de formation. Il a en outre appelé l’auditoire à consulter deux rapports de la Cour des comptes qui émettent des critiques sur la gestion des Opca.
"Nous n'avons pas vocation à être une branche d’aneth sur le saumon fumé", a-t-il ensuite ironisé pour s’opposer à la perspective de continuer de confier aux régions les dépenses d’investissement, tandis que le fonctionnement des CFA relèverait à l’avenir des branches. "L’apprentissage ne doit pas devenir l’otage de la campagne du Medef pour la désignation de son futur leader. Il mérite mieux." Hervé Morin a aussi rappelé qu’aujourd’hui, ce sont les régions qui pourvoient à l’équilibre budgétaire des CFA les moins riches et s’interroge sur le devenir de ces derniers si l’on transfère la taxe d’apprentissage aux branches, avec le risque que ce soit les plus grandes d’entre elles qui en profitent.
Valérie Debord, vice-présidente de la région Grand Est chargée de l’emploi, a pour sa part souligné les difficultés de financement que pourrait subir le secteur sanitaire et social si l’apprentissage était confié aux branches professionnelles, alors qu'il y a de forts besoins de recrutement dans ce secteur sur tout le territoire.
Les CCI sont inquiètes elles aussi
"Notre position n'est pas un enjeu de pouvoir et nous partageons avec le gouvernement l'objectif de voir progresser l'apprentissage", a souligné Hervé Morin. Un domaine qu'il faut selon lui réformer d'où les dix-huit propositions formulées le 8 novembre par les régions en matière de formation, emploi et apprentissage.
Le modèle actuel ne fonctionne pas pour des raisons conjoncturelles d’abord, dont la crise qui entraîne moins d’embauches, mais aussi à cause du "yoyo" sur l’apprentissage durant le précédent quinquennat, avec l'annonce puis l'annulation de primes de soutien aux entreprises. Les raisons sont aussi structurelles avec des normes trop lourdes imposées aux entreprises, notamment à propos des apprentis mineurs, et un mode d'orientation qui assimile encore trop souvent l'apprentissage à une voie de garage. Quant au manque de réactivité reproché par l'Etat aux régions, Hervé Morin répond : "Libérez-nous, nous serons enfin allégés de procédures et de règles insupportables."
Les régions ne sont pas les seules à s'inquiéter de leur sort. Le gouvernement pourrait écarter les chambres de commerce et d'industrie de la collecte de la taxe d'apprentissage au profit des branches professionnelles. Le réseau consulaire craint que le financement de ses établissements, 141 CFA, en soit impacté.
Dans un entretien à l'agence AEF, publié le 20 décembre, la présidente de la concertation, Sylvie Brunet, estime que "dans tous les pays où l’alternance obtient de bons résultats, ce sont les branches et les entreprises qui pilotent l’apprentissage". Et elle appelle les régions à se "garder des postures qui relèvent de la politique à l’ancienne". Compte tenu du climat, Sylvie Brunet n'exclut pas un aménagement du calendrier. Pourtant, dans son allocution télévisée du 17 décembre, le président de la République a confirmé vouloir un vote de la loi sur l'apprentissage, la formation professionnelle et l'assurance chômage d'ici l'été 2018.