Finances - Les normes dans le collimateur des élus... et du gouvernement
Les élus locaux continuent de faire savoir qu'ils en ont assez des normes en tout genres édictées par le Parlement et l'Etat qui coûtent chaque année un bon milliard d'euros aux collectivités locales et dont l'utilité est parfois discutable. Philippe Adnot, président du conseil général de l'Aube, est particulièrement exaspéré. "Dans la dernière année, on a doublé le nombre de sorties par les pompiers car un nouveau référentiel se met en place avec l'hôpital." Il poursuit : "On vient par ailleurs de faire une augmentation colossale des fouilles archéologiques." Des motifs de colère, les élus locaux en ont à foison. Ils évoquent par exemple le fait que la loi oblige les communes à installer des rampes d'accès y compris là où ne réside aucune personne handicapée. Elle les oblige aussi à aménager tous les cars assurant les transports scolaires alors que les élèves handicapés se déplacent souvent dans des véhicules spécifiques. "Il faut interdire les normes nouvelles, on en a tous les jours", s'insurge Philippe Adnot qui, avec ses collègues sénateurs, reconnaît qu'ils sont, il est vrai, les premiers à les voter. Le débat organisé au Sénat le 5 mai sur la situation financière des départements leur a donné l'occasion de revenir largement sur le sujet. Albéric de Montgolfier, sénateur et président du conseil général de l'Eure-et-Loir, ironise : "Il faudrait taxer les amendements !" Amusé par ce bon mot, Gérard Longuet, président du groupe UMP au Sénat, approuve. François Fortassin, sénateur et vice-président du conseil général des Hautes-Pyrénées, a une solution tout aussi radicale : "C'est à l'Etat de payer les normes qu'il nous impose !"
Etudier les normes déjà en vigueur
Selon le bilan d'activité pour 2009 de la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) - installée en 2008 à la demande des élus locaux pour évaluer et tenter d'infléchir l'impact financier des textes réglementaires sur les collectivités locales -, les mesures concernant les agents territoriaux représentent à elles seules, en 2010, 58% du coût des normes nouvelles, tandis que celles concernant le logement et l'écologie ont un impact respectivement de l'ordre de 15% et 6%. Les mesures réglementaires d'application des lois représenteraient 33% du coût des textes qui ont été soumis à la commission en 2009. L'activité normative propre au gouvernement engendrerait 10% des coûts. Ce qui, selon ce bilan présenté le 4 mai au Comité des finances locales (CFL), "permet de nuancer le discours selon lequel les normes édictées par le gouvernement sont directement à l'origine de la hausse des dépenses locales".
Dans son rapport, la CCEN estime que sa création "a eu un effet direct (...) sur le flux des textes réglementaires pesant sur les budgets locaux". Cela encourage son président, Alain Lambert, à vouloir aller encore plus loin. Devant le CFL, celui-ci a plaidé pour que l'instance s'attaque désormais au "stock" de normes : à chaque fois que lui serait soumis un nouveau projet de texte réglementaire, la commission examinerait les textes existants dans le même domaine. Le gouvernement serait favorable à cette évolution. Une autre proposition émise par Alain Lambert consisterait à élargir le champ de compétence de la CCEN aux propositions de textes communautaires ainsi qu'aux prescriptions édictées par les fédérations sportives. "Cette consultation permettrait de dresser un bilan quasi-exhaustif des normes produites chaque année qui pèsent sur les collectivités locales." Tout cela serait sûrement un plus, mais un problème reste entier, critique Thierry Carcenac, qui préside pour sa part la commission consultative d'évaluation des charges : la CCEN demeure une instance consultative rendant un simple avis. "Aucune conséquence n'est tirée derrière", estime le président du conseil général du Tarn. Du côté des départements justement, on rappelle aussi que la CCEN peut en principe aussi être consultée par le gouvernement sur tout projet de loi… mais que cela n'a jamais été le cas. Or, souligne-t-on à l'Assemblée des départements de France, c'est bien "au moment de la préparation des lois" et non des décrets que se joue souvent l'essentiel de l'impact des réformes.
Contrepartie
Les revendications des élus locaux pour réduire le coût des normes ont de bonnes chances d'être entendues par le gouvernement. Gilles Carrez, qui préside le groupe de travail sur la dépense locale installé dans le cadre de la conférence des déficits publics, se fera leur avocat. Et le député a déjà indiqué que le problème des normes figurera en bonne place dans le rapport qu'il remettra le 20 mai. Par ailleurs, le ministre du Budget, François Baroin, mettant en avant son "expérience d'élu local" en tant que maire de Troyes, se dit sensible à ce problème. Il reconnaît d'ailleurs que l'Etat, parce que préoccupé par la lutte contre les déficits publics, y trouvera son intérêt : "Je suis convaincu que c'est une source d'économies considérable. Je vais tâcher d'être le plus rapide et le plus efficace dans les prochains mois pour réduire les coûts", a-t-il déclaré le 5 mai au Sénat. De plus, d'aucuns penseront qu'en contrepartie de la réduction du poids des normes, les élus locaux pourraient accepter un peu plus facilement le gel absolu des dotations de l'Etat aux collectivités dont l'annonce doit être prochainement officialisée.
Thomas Beurey / Projets publics