Départements en difficulté - Les recettes de Pierre Jamet suffiront-elles ?
"La fin du premier semestre 2010 va être cruciale" pour les départements les plus fragiles financièrement, diagnostique Pierre Jamet dans le rapport qu’il a remis le 22 avril au Premier ministre. Au moment de voter les décisions budgétaires modificatives pour 2010, un certain nombre d'entre eux ne pourront sans doute pas faire face aux dépenses sociales, compte tenu de l’envolée du coût du RSA et de l’APA. Le budget de ces conseils généraux se trouvera alors en déséquilibre, ce que la loi interdit formellement. Pour le DGS du Rhône, l’Etat devra "abonder à titre exceptionnel" les recettes de ces collectivités. Selon lui, "une centaine de millions d'euros" en 2010 et autant en 2011 pourraient suffire. Qui sont ces départements au bord de l’impasse ? Le DGS du Rhône ne les recense pas de manière exhaustive, mais en cite onze : la Creuse, les Ardennes, le Cher, la Haute-Loire, le Pas-de-Calais, le Val-d’Oise, la Corrèze, l’Indre, la Haute-Saône, la Meuse et… la Seine-Saint-Denis - dont le budget primitif 2010 a été, avec grand bruit, voté en déséquilibre.
Pour identifier précisément les départements qui auront besoin de l’aide temporaire de l’Etat, un comité de suivi, sorte d’observatoire des dépenses d’intervention sociale, serait installé afin d’être opérationnel dès le mois de juin. Il demeurerait actif en 2011. "Ce délai de deux ans donnerait le temps d’étudier, hors précipitation, une modification des règles de compensation et de péréquation des dépenses d’intervention sociale", affirme Pierre Jamet. Celui-ci indique quelques pistes de réforme dans ces domaines, comme la stabilisation des dépenses du RSA ou la garantie des recettes procurées par la journée affectée à la dépendance, l’abandon de la référence à des situations obsolètes telle que celles de 2003 et 2004 pour la compensation du RSA, la révision du fonctionnement du Fonds de mobilisation départementale pour l’insertion, ou encore le renforcement de la péréquation sur des bases modernisées.
Mieux connaître le coût des politiques
Sauf celles qui concernent la péréquation, ces propositions sont très peu développées. C’est que le DGS du Rhône a respecté la commande du Premier ministre, qui était centrée sur l’optimisation des dépenses d’action sociale, l’amélioration de leur pilotage, la mutualisation des fonctions et la péréquation. La contrainte étant de "ne pas augmenter les prélèvements obligatoires déjà élevés". Sur chacun de ces axes, Pierre Jamet s’avère donc plutôt prolixe. Mais – commande oblige ? - pas toujours original dans les recettes qu’il énonce. La nécessité d’un travail sur les normes déjà engagé par la Commission nationale d’évaluation des normes est rappelé, tout comme la nécessité d’approfondir les mutualisations entre fonctions et services, entre collectivités ou avec l’Etat. Autres pistes explorées, mais qui ne sont là encore pas nouvelles, la simplification de la présentation des documents budgétaires, la mise en place de référentiels de coûts permettant des comparaisons et une meilleure évaluation des politiques, le recours à la télégestion pour améliorer le contrôle de la mise en œuvre des prestations liées à l’APA. De nombreuses simplifications administratives, sources d’économies, sont par ailleurs préconisées : l’unification des services médicaux de la PMI et des établissements scolaires, l’unification des établissements départementaux de l’enfance...
"Le compte n’y est pas"
Dans le contexte de réforme et de clarification des compétences des collectivités, Pierre Jamet propose de nouveaux transferts de compétences dans le champ social, essentiellement entre le département et la région. A noter aussi, l’appel qui est fait aux services de l’Etat de tirer les conséquences de la décentralisation. Plus fondamentalement, il suggère d’"inciter les départements à un certain désengagement du soutien à l’investissement communal (qu’il estime à 3 milliards d’euros par an), le relais devant être pris par l’intercommunalité. Sur cette idée, le débat a déjà commencé, rappelons-le, et le projet de loi de réforme des collectivités territoriales voté en février dernier au Sénat pose le principe d’un encadrement plus étroit des cofinancements.
On notera l’appel à la prudence lancé par Pierre Jamet : "La simple recommandation adressée aux départements de se recentrer sur leurs dépenses obligatoires est simpliste et illusoire." En effet, "les économies attendues ne sont pas à la hauteur des enjeux". L’étude de l’agence Standard & Poor’s sur la situation des départements, parue trois jour avant le rapport de Pierre Jamet, l’affirmait aussi avec netteté. La seule action sur la dépense peut-elle finalement suffire pour remettre à flot les départements ? "En ne jouant que sur la dépense, la correction de la dégradation budgétaire sera lente", reconnaît le DGS du Rhône. De quoi alimenter les arguments de l’opposition...
Pour l’Assemblée des départements de France (ADF), l’amélioration des outils de gestion n’est pas le cœur du sujet. "Déjà mise en œuvre par les départements", elle "ne permet plus aujourd’hui que de piloter à la marge l’évolution du coût des politiques sociales". Et, selon l’ADF, il ne faut point attendre deux ans pour engager les réformes essentielles de la compensation et de la péréquation des charges sociales. De plus, avec 100 millions d’euros, "le compte n’y est pas", réagit le président de l’ADF, Claudy Lebreton, qui estime à 3,8 milliards d’euros la note de l’Etat à l’égard des collectivités et à 28 le nombre des départements en position périlleuse.
Thomas Beurey / Projets publics
Stabilité des dépenses des départements sur longue période
Comment maîtriser les dépenses des départements ? Au fond, c’est à cette question que répond pour l’essentiel Pierre Jamet, comme le souhaitait le Premier ministre, rejoignant ainsi les préoccupations du gouvernement en pleine préparation de la conférence des déficits publics – qui doit en principe se tenir le 20 mai. Nul doute que ses préconisations alimenteront les réflexions du groupe de travail présidé par Gilles Carrez sur la dépense locale. Au cours de ses premières réunions, celui-ci s’est justement beaucoup penché sur la situation des départements. Avec à la clé de bonnes surprises ! "Les études de Bercy ont montré que, hors transferts de compétences, les dépenses des départements sont restées stables entre 1980 et 2008, s’établissant à 2,8% du PIB", insiste-t-on à l’ADF. "Cela fait des années que nous savons maîtriser nos dépenses", commente Thierry Carcenac, président du conseil général du Tarn et membre du groupe de travail.