Action sociale - Les marges de manoeuvre des départements encore affaiblies
La dépense nette d'action sociale des départements de métropole s'est élevée à 18,5 milliards d'euros en 2006, soit une augmentation de près de 7%, indique l'enquête annuelle de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (Odas) présentée le 21 septembre. "Cette évolution renforce les inquiétudes déjà exprimées l'an passé sur les capacités d'intervention des départements pour résoudre les multiples défis d'une précarité qui s'étend", résume d'emblée l'Odas, en soulignant qu'il s'agit bien d'évaluer l'évolution des dépenses correspondant à une charge nette pour les départements : dépenses obtenues après déduction des divers abondements de l'Etat (TIPP, dotations de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie / CNSA, dotation exceptionnelle pour le RMI...). L'inquiétude est donc d'autant plus forte que la contribution de la CNSA a été importante en 2006 mais risque de l'être beaucoup moins sur les années suivantes. De même, les départements n'ont pour l'heure aucune garantie quant au devenir, au-delà de 2007, de l'abondement accordé par l'Etat pour le RMI via le fonds de modernisation départemental d'insertion (FMDI).
L'aide sociale à l'enfance (ASE), qui représente toujours le principal poste des dépenses nettes d'action sociale des départements (29% du total) a augmenté sensiblement en 2006 (+5,8%) alors même qu'il avait connu un léger infléchissement en 2005. Ceci du fait d'une hausse du "coût du service rendu", qu'il s'agisse des frais d'hébergement ou de la rémunération des assistants familiaux. Jean-Louis Sanchez, le délégué général de l'Odas, met à ce titre l'accent sur le fait que 80% des dépenses concerne l'hébergement en établissement en établissement ou en famille d'accueil, contre seulement 20% pour les interventions et le suivi en milieu ouvert. "Il faudrait que cette proportion soit rééquilibrée au profit de la part milieu ouvert, de la prévention, pour lesquels les crédits restent insuffisants", estime-t-il. En sachant que la mise en oeuvre de la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l'enfance ira normalement dans ce sens.
RMI : la décentralisation porte ses premiers fruits ?
S'agissant du soutien aux personnes handicapées, la hausse des dépenses nettes est plutôt faible (+2,2%), pour un montant de 3,68 milliards d'euros, grâce aux recettes provenant de la CNSA. L'Odas confirme que l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) a continué à se développer tandis que la prestation de compensation du handicap (PCH) n'a pas décollé en 2006. La donne pourrait toutefois changer : "Selon les premiers échos que nous avons, la PCH commence à démarrer", indique-t-on à l'Odas, en rappelant par ailleurs que cette PCH concernera aussi, dès 2008, les enfants.
Le volet personnes âgées (21% du total des dépenses nettes) poursuit quant à lui sa courbe ascendante, avec pas moins de 11,3% de hausse en 2006 - une hausse toujours liée au poids de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), mais aussi à "une reprise sensible de la dépense d'aide sociale à l'hébergement", elle-même causée par l'augmentation des tarifs en établissement. "Depuis de longues années, on assistait à une atténuation des inégalités de situations entre départements. Or aujourd'hui, on craint que ces inégalités ne se renforcent à nouveau, au détriment des départements les plus âgés", met en garde Jean-Louis Sanchez.
Les dépenses liées au RMI, comme l'ont indiqué plusieurs études récentes, connaissent "une certaine stabilisation" - celle-ci correspondant toutefois à une hausse de 4,5% - du fait de la baisse du nombre de bénéficiaires. Les crédits d'insertion, eux, augmentent sensiblement (ils sont passés en un an de 550 à 730 millions d'euros) avec, notamment, un recours accru aux contrats d'avenir. "Ainsi, la décentralisation du RMI vers les départements semble bien en passe de produire les effets escomptés", se réjouit cette fois l'Odas.
Enfin, les "autres dépenses" (23% du total), qui correspondent en tout premier lieu aux dépenses de personnel, ont peu augmenté en 2006. Mais l'on sait déjà que des réformes telles que celle de la protection de l'enfance ou celle des tutelles risquent fort d'impliquer de renforcer les équipes des départements.
Bientôt de simples guichets de distribution de prestations ?
"Les lois récemment votées sont loin d'être effectivement mises en oeuvre : handicap, protection de l'enfance, tutelles...", insiste Michel Dinet, président de l'Odas, président du conseil général de Meurthe-et-Moselle, réitérant de ce fait la demande constante des départements, celle d'une "vraie pause", même si l'année 2007 sera "sans doute un peu plus calme" pour cause de calendrier électoral.
En tout cas, face à la hausse de 7% constatée en 2006, Michel Dinet est clair : "Nous craignons que si cette tendance venait à s'amplifier, les départements n'aient plus les moyens de mener une action sociale de proximité." Il est donc aujourd'hui essentiel, explique-t-il, de "clarifier ce qui relève, d'une part, des prestations individuelles - et donc en principe de la solidarité nationale - et, d'autre part, ce qui relève d'une action sociale globale correspondant à un engagement sur fonds propres des départements".
"L'Odas a toujours eu une vision très positive de la décentralisation, estimant que celle-ci permettait de passer d'une action sociale réparatrice à une action sociale préventive. Or aujourd'hui, nous n'avons plus la même impression. Ce mouvement est en effet perturbé par le poids que prend la pure distribution de prestations au détriment d'engagements nouveaux des départements. Il s'agit là, au niveau qualitatif, d'un phénomène très inquiétant", analyse de même Jean-Louis Sanchez.
"Ce poids des prestations individuelles fait que l'on risque de fonctionner de plus en plus en tuyaux d'orgue, de tronçonner nos actions par secteur de financements", ajoute Michel Dinet. Enfin, pour le président de l'Odas, l'autre grand "enjeu majeur" du moment se situe au niveau des relations entre départements et communes - sur la capacité des deux niveaux de collectivités à aller, si besoin, vers une délégation d'une partie des compétences sociales du département à la ville ou à l'EPCI, par conventionnement.
Nul doute que le prochain congrès de l'Assemblée des départements de France (ADF), les 17 et 18 octobre à Marseille, reviendra sur ces enjeux. Le thème choisi pour ce 77e rendez-vous annuel des présidents généraux ? "Les politiques de solidarité et leur financement".
Claire Mallet