La crise sanitaire a contribué à l'émergence de nouvelles pratiques du travail social
Le Haut Conseil du travail social (HCTS) publie un rapport sur les "pratiques émergentes du travail social et du développement social" basé sur une vaste enquête par questionnaire auprès des professionnels du travail social. À partir des remontées de terrain, il a choisi de prioriser quatre thématiques : les conférences familiales, les pratiques encourageant l'"aller-vers", la "pair aidance" et les modes de coordination/intervention pluridisciplinaires. La crise sanitaire a servi à la fois de révélateur et d'accélérateur dans l'évolution des pratiques.
Le Haut Conseil du travail social (HCTS) publie un rapport sur les "Pratiques émergentes du travail social et du développement social". Ce travail, qui rejoint un intéressant document sur un sujet voisin publié par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) il y a deux ans (voir notre article du 9 janvier 2019), a été réalisé dans le cadre de journées d'échanges organisées par le Haut Conseil. Les pratiques émergentes s'entendent comme créant une rupture avec l'existant, répondant à des questions et problématiques sociales ou éducatives nouvelles et s'appuyant sur une construction sur le terrain, souvent interinstitutionnelle.
Les conférences familiales en protection de l'enfance
En pratique, le groupe de travail du HCTS a collecté et identifié les pratiques émergentes via une enquête par questionnaire, adressée à des professionnels du travail social et qui a fait l'objet de près de 1.800 retours. Les réponses viennent majoritairement des conseils départementaux (23%), des CAF (14%), du secteur de la santé (11%) et des CCAS (9%). À partir de ces remontées, le HCTS a choisi de prioriser quatre thématiques : les conférences familiales, les pratiques encourageant l'"aller-vers", la "pair aidance", et les modes de coordination/intervention pluridisciplinaires avec les partenaires. Bien sûr, ces thématiques n'ont pas attendu la pandémie de Covid-19 pour commencer à émerger. Mais la crise sanitaire, parce qu'elle a remis en cause – notamment durant les confinements – les fonctionnements traditionnels, a servi à la fois de révélateur et d'accélérateur dans l'évolution de nombreuses pratiques professionnelles.
En protection de l'enfance, les conférences familiales désignent un processus de prise de décision par une famille et son réseau en vue de la réduction du danger vécu par un enfant. Cette pratique "invite la famille à s'accorder sur la nature d'un problème et choisir, avec les personnes de son environnement, les ressources à mettre en œuvre pour sa résolution. Le groupe constitué établit un plan d'action comme les acteurs le jugent nécessaire et souhaitable de façon indépendante des institutions qui l'accompagnent". Le rapport du HCTS détaille les modalités pratiques de cette approche. Il propose en annexe des fiches sur l'expérimentation de cette approche par plusieurs départements (Ardèche, Gironde, Nord, Pyrénées-Orientales, Seine-Saint-Denis).
L'"aller-vers", une pratique en plein développement
La seconde pratique émergente est à la fois plus connue et plus visible. Il s'agit en effet de l'"aller-vers" : "Déclinées sous différentes formes : maraude, équipe mobile, visite à domicile, action hors-les-murs, action sociale de proximité, travail social de rue, permanence délocalisée..., les démarches d'aller-vers sont hétérogènes et de nature différente selon leur caractère plus ou moins formalisé". Cette approche se déploie "sans théorie développée, mais fortement outillée par des expériences et des pratiques". En d'autres termes, il s'agit davantage d'une approche organisationnelle et pratique plutôt que conceptuelle.
L'élément central de cette démarche "pourrait être le changement du rapport entre l'intervenant et le public ciblé : c'est l'intervenant qui recherche et provoque la rencontre, qui initie la relation, et se déplace là où se trouve le public. Le déplacement peut être physique mais aussi virtuel (la personne peut être contactée par mail, téléphone... alors qu'elle n'a formulé aucune demande)". La démarche repose sur une dimension relationnelle importante et comprend aussi une dimension éthique. Elle est par ailleurs un des axes prioritaires du plan national de formation des travailleurs sociaux. Cette démarche est également illustrée par quatre fiches illustrant des démarches proactives
"Pair aidance" : "une reconnaissance réciproque de soi dans l'expérience de l'autre"
La "pair aidance" consiste à rechercher le soutien de ses pairs. Elle suppose "une reconnaissance réciproque de soi dans l'expérience de l'autre" et repose également sur "une proximité expérientielle". Assez courante dans certains champs professionnels (par exemple entre psychiatres), elle est encore peu répandue dans le champ sanitaire et social. Il est vrai que la pair aidance suppose une transformation des pratiques. Alors que les travailleurs sociaux sont formés à "l'expertise sur autrui", il s'agit d'accepter les regards des pairs, en créant des conditions favorisant l'émergence et la prise en compte de la parole de tous : professionnels, pairs et personnes concernées, afin de trouver un équilibre entre les différents types de compétences et de savoirs. Comme l'explique le HCTS, "s'ouvrir à la pair-aidance nécessite d'accepter les incertitudes, l'expérimentation collective, les remises en question et les changements éventuels à tous les niveaux de l'institution". Trois fiches exemples viennent étayer cette assertion.
On notera au passage que cette notion de pair-aidance figure – même si elle n'est pas évoquée sous ce terme – dans le projet de loi relatif à la protection de l'enfant. Celui prévoit en effet la possibilité, pour les juges des enfants, de faire appel, sur une base volontaire, à leurs pairs pour évaluer des situations ou prendre des décisions complexes.
Dynamique d'acteurs et capacité à agir
Enfin, le quatrième thème, plus "traditionnel", concerne la façon de fédérer une dynamique d'acteurs, à travers les réseaux, le partenariat et les interventions pluriprofessionnelles. Cela suppose au préalable d'identifier un besoin précis. La pratique peut alors contribuer à "rompre la logique de silos, génératrice d'exclusions". Néanmoins, "pour les travailleurs sociaux impliqués dans ce partenariat, le soutien de leur hiérarchie est fondamental, afin de leur permettre d'expérimenter, de se confronter librement et de retrouver du pouvoir d'agir". Le HCTS identifie également un certain nombre de leviers et facteurs de réussite : la communication, des temps d'analyse de la pratique, ainsi que des temps d'évaluation des actions.
Un cinquième thème, qui ne figure pourtant pas dans ceux figurant dans la présentation initiale est également évoqué. Il s'agit du développement du pouvoir d'agir (Empowerment en anglais), qui trouve sa source dans les années 60 aux États-Unis. Ce pouvoir d'agir concerne aussi bien les individus que les communautés. Contrairement aux thèmes précédents, sa pratique fait l'objet d'une approche et d'une méthodologie assez normalisée. Cinq fiches exemples – concernant notamment l'Eure, la Gironde, les Bouches-du-Rhône – montrent la diversité des champs d'application de cette approche.