Les services sociaux toujours perturbés par les conséquences de la crise sanitaire
Une enquête flash réalisée en avril par la fondation Abbé-Pierre et la Fapil auprès de 58 associations témoigne des difficultés rencontrées par les personnes que les associations accompagnent en termes d'accès et de suivi par les services sociaux communaux et départementaux. La crise a renforcé les difficultés existantes ("fonctionnement à flux très tendu", dématérialisation...).
La fondation Abbé-Pierre publie les résultats d'une enquête flash sur les possibilités d'accès aux travailleurs sociaux. La crise sanitaire et les confinements ont en effet fortement perturbé le travail social et l'accompagnement des personnes en difficulté, pour lesquels les échanges en distanciel peuvent difficilement remplacer le contact direct. L'enquête a été réalisée en France métropolitaine, au mois d'avril, auprès de 58 associations membres du réseau "Accompagnement aux droits liés à l'habitat", des délégations et équipes locales du Secours catholique, ainsi que d'associations adhérentes du réseau de la Fapil (Fédération des associations et des acteurs pour la promotion et l'insertion par le logement).
Pour 83% des répondants, le fonctionnement n'est pas revenu à la normale
L'objectif de l'enquête est "de capitaliser et objectiver les difficultés évoquées depuis mars 2020 par les partenaires et les personnes qu'elles accompagnent quant à l'accès, au suivi et à l'accompagnement social proposé par les services sociaux (majoritairement municipaux et départementaux) en cette période de crise sanitaire". Il s'agit donc de mesurer le ressenti de ces acteurs sur le fonctionnement des services sociaux "institutionnels". La fondation prend d'ailleurs bien soin de préciser que l'étude ne vise pas à "dénoncer la qualité du travail et des missions réalisées par l'ensemble des services sociaux", mais à rappeler que "le rôle des services sociaux se situe en première ligne, afin d'apporter l'aide et le soutien nécessaire pour permettre l'ouverture et le maintien de droits, d'aides, l'accès aux recours".
Ces préalables posés, l'enquête montre que, pour 83% des associations interrogées, le fonctionnement des services sociaux n'est pas revenu à la normale, entendue comme la situation précédant la crise sanitaire, "qui était déjà un fonctionnement à flux très tendu". Ainsi, l'organisation actuelle des services sociaux paraît "insatisfaisante" pour 47% des répondants et "dysfonctionnante" pour 31%. Ceci se traduit par la difficulté, pour les ménages accompagnés, d'obtenir un premier rendez-vous avec un travailleur social, "souvent" (64% des répondants) ou "parfois" (33%). Lorsqu'il s'agit de prendre rendez-vous avec leur travailleur social habituel, les taux sont respectivement de 48% et 34%. Par ailleurs, 45% des répondants disent constater que de nouvelles modalités d'accès ont été mises en place pendant la crise sanitaire, et 50% d'entre eux que l'organisation habituelle a, au contraire, été maintenue.
Des difficultés d'accès aux droits
Il en résulte des difficultés d'accès aux droits. Les répondants sont ainsi 64% à constater "souvent" un manque d'information (et 36% "parfois"), la non-ouverture de certains droits (40 et 59%) ou le manque de soutien pour l'ouverture de ces droits (43 et 50%). En particulier, plus d'un tiers (34%) des associations disent avoir rencontré des difficultés dans la mise en œuvre de la demande de mobilisation du fonds de solidarité logement (FSL) par les travailleurs sociaux (60% n'ayant toutefois pas constaté de difficultés particulières). Sur les raisons de ces difficultés, 38% des répondants citent "un manque de moyens permanent" et 31% l'impact de la crise sanitaire. Près de la moitié d'entre eux (47%) ont d'ailleurs interpellé les autorités locales sur ces difficultés.
Au-delà de ces données quantitatives, l'enquête de la fondation apporte aussi des éléments plus qualitatifs. Elle montre ainsi que certaines associations ont entrepris d'engager elles-mêmes les démarches d'ouverture des droits. Elles ont également fait appel à des partenariats locaux privilégiés pour débloquer certaines situations. Les répondants évoquent aussi la nécessité de "faire face aux conséquences de la dématérialisation de multiples démarches, qui est en soi un frein à leur réalisation pour beaucoup de ménages devant faire face à une précarité numérique, plus encore dans un contexte de fermeture ou d'accès limité aux lieux permettant l'accès à des outils (ordinateur, scanner, imprimante...) et à une aide afin d'expliquer et de faciliter ces démarches".
De "fortes inquiétudes" sur l'avenir
De façon plus large, les associations interrogées ont le sentiment que "la crise sanitaire a renforcé la précarité, l'isolement et la souffrance d'une grande partie de la population". Elles expriment également "une forte inquiétude concernant les mois et années à venir, face notamment à la précarisation attendue de nombreuses personnes, et à la 'vague' d'expulsions prévue à compter de juin : les services sociaux se sentent submergés et impuissants, d'autant qu'il y a déjà pénurie de logements et d'hébergements". Elles estiment donc que "les moyens humains et financiers des services sociaux doivent indéniablement être renforcés de manière pérenne, au risque d'accroitre encore l'impact social dont seront victimes en premier lieu les personnes les plus précaires".
Seul bémol à cette étude, mais qui est inhérent à son principe même : compte tenu de la rapidité du déconfinement et de l'apparent retour à la normale, les constats d'avril ne sont plus forcément valables à la fin du mois de juin. Il serait donc intéressant – sous réserve que la pandémie ne reprenne pas – que la fondation Abbé-Pierre puisse renouveler cette enquête flash dans quelques mois, afin de vérifier si la situation a évolué.