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Pauvreté - Vers un "service public de l'insertion" et un "revenu universel d'activité"

Emmanuel Macron a lancé ce jeudi 13 septembre la "stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté", principalement assise sur un accompagnement renforcé vers l'emploi, une future fusion de plusieurs prestations et un accent mis sur la petite enfance et les jeunes. Plusieurs dispositions vont conduire les collectivités, à commencer par les départements, à rénover leurs politiques d'insertion.

Difficile de le rater, c'était écrit en grand. "Faire plus pour ceux qui ont moins". Une devise au léger goût de déjà-vu (Jean-Marc Ayrault, Comité interministériel des villes, 2013... par exemple), doublée d'un autre slogan traduisant assez bien l'esprit de la "stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté" lancée ce 13 septembre par Emmanuel Macron : "Investir dans les solidarités pour l'émancipation de tous".
Au fil d'un discours de 1 heure 20 prononcé au musée de l'Homme à Paris devant quelque 400 personnes, il s'agissait pour le chef de l'État non seulement d'annoncer les principales décisions composant cette stratégie quinquennale mais aussi de mettre en avant des lignes directrices et une ambition. Il s'agit ni plus ni moins, a-t-il dit, de "refonder un État providence contemporain", de "mobiliser toutes les forces de la nation", de "lutter contre les déterminismes", de "ne plus oublier personne", de "changer de regard", d'"éradiquer la grande pauvreté dans notre pays d'ici une génération"... "Ce plan n'est pas un plan charité", a-t-il insisté, déclarant également : "Je ne veux pas d’un plan pour que les gens pauvres vivent mieux la pauvreté, je veux leur donner la possibilité d’en sortir." En sortir... avant tout par le travail. Et Emmanuel Macron de replacer cela dans le "triptyque" qui guiderait l'ensemble de l'action de l'exécutif : "productif ; éducatif ; solidariste et humaniste".

Une "loi d'émancipation sociale" en 2020

Déclinée en deux "piliers" - la prévention de la précarité, notamment chez les plus jeunes, et l'accompagnement vers l'emploi -, cinq "engagements" et 21 "mesures", la stratégie dévoilée ce jeudi se présente comme le produit d'une phase de consultation ayant largement associé tous les acteurs : collectivités locales, associations, travailleurs sociaux... et les bénéficiaires des politiques sociales. Journées en région, consultation en ligne, sans oublier bien sûr les travaux des groupes thématiques qui avaient rendu leurs propositions en mars dernier. Deux rapports remis il y a quelques jours – sur l'accompagnement des bénéficiaires du RSA et sur la "juste prestation" – sont venus s'y ajouter.
L'intervention d'Emmanuel Macron avait été précédée d'une séquence "témoignages" animée par Olivier Noblecourt, le délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, cheville ouvrière du dispositif et du dialogue avec les représentants des collectivités et du monde associatif.
Une chose est certaine : les collectivités, à commencer par les départements, mais aussi les communes, sont bien en première ligne de la plupart des mesures avancées et vont être largement mises à contribution dans la mise en œuvre. Ceci, notamment, pour les deux annonces les plus structurantes, qui s'inscriront toutes deux dans une même "loi d'émancipation sociale" qui sera "votée en 2020" et donneront toutes deux lieu à des travaux préparatoires et concertations dès ce mois d'octobre, les choses restant encore largement à préciser.

Un "lieu unique" avec l'État pour "garant"

Il s'agit, d'une part, de la volonté de créer "un véritable service public de l'insertion", dont l'État sera "le garant" et qui sera "déployé sur tout le territoire". "Ce service public de l'insertion, c'est pour moi la clef", a insisté Emmanuel Macron, estimant qu'il "n'est pas acceptable que dans un département, 90% des bénéficiaires du RSA se voient proposer un suivi et que dans un autre département, ils ne soient plus que 40%". Il faut "un lieu qui assure un continuum", que chaque bénéficiaire puisse "se rendre dans un lieu unique, un même guichet, simple", doté d'une "gouvernance unique". Quant à la façon dont les acteurs et services existants devront se rapprocher... "nous devons ensemble trouver la solution la plus intelligente avec les départements, les communes, les régions, les métropoles" et "inventer un système de gouvernance", avec "une clarté des financements", en "s'appuyant sur les collectivités". Olivier Noblecourt a ensuite précisé à la presse que cette "logique unifiée" laissera toutefois "aux acteurs des territoires" des marges de manœuvre en fonction de l'existant, citant Pôle emploi, les maisons des services sociaux départementaux, les centres communaux d'action sociale, les associations délégataires...
"Si l'on part des bassins de vie, si on rassemble tous les acteurs de proximité, cela peut avoir du sens ; s'il s'agit en revanche d'une approche descendante, avec la volonté de venir donner des leçons, alors ça ne marchera pas", a réagi Frédéric Bierry, président du Bas-Rhin et de la commission solidarités et affaires sociales de l'Assemblée des départements de France.

Contractualisation avec les départements

Le dossier de présentation du plan précise que l'objectif premier est bien d'instaurer un "droit" à un "accompagnement global" à tous les bénéficiaires de minima sociaux en traitant "de manière simultanée" l'insertion professionnelle et "les problèmes du quotidien". Et de créer une "garantie activité combinant accompagnement social renforcé et insertion dans l'emploi" pour 300.000 allocataires par an. "La garantie activité sera l'une des briques du service public de l'insertion", a confirmé la ministre Agnès Buzyn à la presse. Avec, pour commencer, une obligation de réaliser sous un mois l'instruction de la demande et l'orientation de tout nouveau bénéficiaire.
Plus globalement, l'exécutif entend instaurer "une nouvelle relation contractuelle avec les départements", comme le suggérait d'ailleurs le tout récent rapport Pitollat-Klein. Les départements et autres collectivités volontaires s'engageraient sur des résultats et verraient leurs efforts soutenus par un fonds de lutte contre la pauvreté et l'accès à l'emploi de 200 millions d'euros (sur le quinquennat). Dix territoires démonstrateurs sont déjà prêts à "creuser le sillon de cette nouvelle contractualisation", selon les termes d'Olivier Noblecourt (bassin minier, Meurthe-et-Moselle, Bas-Rhin, Indre-et-Loire, Gard, Nantes Métropole, Lyon Métropole, Toulouse Métropole, Réunion, Seine-Saint-Denis) et les autres départements seront invités à le faire dès 2019.
Le tout devra s'accompagner d'une "rénovation du travail social" – formation, développement des pratiques "d'aller vers", reconnaissance de nouveaux métiers ou de nouveaux diplômes universitaires, centres de ressources...

Fusionner RSA, APL et prime d'activité... et d'autres prestations

Après avoir évoqué la nécessité de "revoir en profondeur le système des minima sociaux" pour sortir de la "sophistication administrative" et "l'empilement des aides", Emmanuel Macron a fait part de sa volonté de créer par la loi un "revenu universel d'activité" qui viendrait "fusionner un maximum de prestations" et "dont l'État sera entièrement responsable" tout en "associant toutes les parties prenantes". Reste à en déterminer le périmètre, le montant, les "droits et devoirs" qui y seront liés... "Il existe déjà le contrat d'engagements réciproques avec le RSA, mais celui-ci est souvent signé trop tardivement, n'est pas toujours respecté", a relevé Olivier Noblecourt.
"Il n'y a aucune intention cachée de remettre en cause certains droits", a d'emblée tenu à assurer Agnès Buzyn, précisant que ce futur revenu intégrera au minimum le RSA, les APL et la prime d'activité. Pour d'éventuelles autres prestations, "tout est ouvert", "nous avons six mois pour y travailler", a-t-elle dit.
Faut-il comprendre que la fusion entraînera de facto une recentralisation pure et simple du RSA et de son financement ? "L'État sera garant", mais "on ne veut pas en faire un totem, le débat central", répond Agnès Buzyn. Là encore, les termes devront donc être précisés. Le revenu universel d'activité "sera conçu de façon concertée avec les collectivités, les associations, les bénéficiaires et les travailleurs sociaux", assure en tout cas Emmanuel Macron, avec de possibles expérimentations en amont sur des territoires volontaires.
Parallèlement, le chef de l'État entend "encourager" l'essaimage de plusieurs dispositifs d'insertion jugés pertinents, notamment Territoires zéro chômeur, ou encore Convergence, Tapaj et Sève.

Petite enfance : deux "bonus" pour l'accueil collectif

S'agissant du pilier "prévention", le plan égrène une série de mesures allant de la petite enfance jusqu'aux jeunes majeurs. En partant du postulat que les déterminismes se jouent dès le plus jeune âge, notamment en termes d'acquisition du langage. D'où l'intention de former et accompagner 600.000 professionnels de la petite enfance pour améliorer la qualité éducative de l'accueil en crèche et chez les assistantes maternelles.
Les collectivités retiendront en outre la création d'un "bonus mixité sociale" pour 90.000 places d'accueil collectif ainsi que d'un "bonus territoires" devant permettre aux communes les plus en difficulté de ne plus avoir à leur charge que 10% du coût de construction d'un nouvel équipement. La création d'ici 2020 de quelque 300 crèches à vocation d'insertion professionnelle (on en compterait une quarantaine aujourd'hui) est également au programme. Quant aux familles ayant recours à l'accueil individuel, elles bénéficieraient dès 2019 du "tiers payant" pour le complément mode de garde.
Dans le même temps, Emmanuel Macron mise sur une "transformation de la PMI", dont les missions seraient renforcées, y compris sur le suivi prénatal (accompagnement des femmes en situation de précarité dès le quatrième mois de grossesse).
Sur la tranche d'âge suivante, celui de la scolarité, on retiendra principalement la volonté d'offrir des tarifs de cantine plus accessibles, par la mise en place d'un mécanisme d'aide à certaines communes (communes "fragiles" de moins de 10.000 habitants) prêtes à instaurer une tarification sociale ramenant la tranche la plus basse du barème à moins de 1 euro le repas.

Repérage "massif" des décrocheurs et garantie jeunes

Sur le front de la jeunesse, Emmanuel Macron a notamment ciblé les décrocheurs, ces "jeunes pauvres qui deviennent peu à peu des perdus de vue"... et a annoncé l'instauration d'une obligation de formation jusqu'à 18 ans. Ce qui impliquera dans un premier temps "un repérage massif et en continu" puis une "obligation de proposer une solution", qu'il s'agisse de scolarité, de formation ou d'accompagnement vers l'emploi. Les missions locales seront au cœur du dispositif et seront soutenues financièrement pour cela. Côté "solutions", le développement des écoles de la deuxième chance, l'apprentissage et le "plan d'investissement dans les compétences" porté par Muriel Pénicaud sont mis en avant.
Également annoncée : une extension de la garantie jeunes à 500.000 bénéficiaires d'ici 2022. Ce qui, a relevé Emmanuel Macron, revient à "généraliser" cette garantie jeunes.
Enfin, il sera demandé aux départements d'empêcher les "sorties sèches" de l'aide sociale à l'enfance (ASE), comme l'a notamment mis en avant la récente proposition de loi portée par Brigitte Bourguignon, en cours d'examen parlementaire. Autrement dit, ils devront s'engager sur le sujet des jeunes majeurs avec, à la clef, une contractualisation et une enveloppe de 50 millions d'euros pour les y aider.
S'agissant des moyens, la stratégie nationale affiche des crédits s'élevant au total à 8,5 milliards d'euros sur le quinquennat. "Ce montant ne recouvre que des mesures nouvelles", a souligné Agnès Buzyn. Pour l'année 2019, tous les crédits sont bien inscrits dans le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, a-t-elle précisé.
 

À NOTER ÉGALEMENT

La revalorisation de la prime d'activité engagée en 2018 sera poursuivie en 2019 et jusqu'en 2022. Cette augmentation ciblée, qui bénéficiera à 3,2 millions de ménages, selon le gouvernement, permettra de l'augmenter jusqu'à 80 euros par mois au niveau du Smic.

Extension de la CMU-C - Pour faciliter l'accès aux soins des plus vulnérables, l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS) sera intégrée à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) avec une participation financière inférieure à 1 euro par jour. Cette fusion doit permettre de réduire "drastiquement" le taux de non-recours à l'ACS, supérieur à 50%, tout en diminuant les dépenses de santé des personnes âgées ou handicapées. Au total 200.000 personnes supplémentaires pourront bénéficier de la CMU-C et le panier d'offres sera amélioré pour 1,4 million de personnes.

Le secteur de l'insertion par l'activité économique devra accueillir quelque 100.000 salariés supplémentaires sur la durée du plan. Des crédits à hauteur de 450.000 euros sont prévus pour permettre cette augmentation du nombre d'aides au poste.

 

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