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Transports - Ferroviaire : la réforme ne doit pas s'arrêter en pleine voie, estime une mission parlementaire

La mission parlementaire chargée d'évaluer la mise en œuvre de la loi de réforme ferroviaire du 4 août 2014 a présenté ses conclusions le 19 octobre. Tout en estimant son bilan globalement satisfaisant, Bertrand Pancher et Gilles Savary, co-rapporteurs de la mission, estiment nécessaire de compléter la réforme sur plusieurs points. Ils proposent notamment de garantir un niveau soutenu de financements publics du réseau et de donner aux régions davantage de moyens pour assumer leurs missions d'autorités organisatrices de la mobilité.

Une mise en œuvre "globalement satisfaisante", ont jugé les députés Bertrand Pancher (UDI, Meuse) et Gilles Savary (PS, Gironde) en présentant le 19 octobre, devant la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, les conclusions de leur mission de suivi de la réforme ferroviaire votée le 4 août 2014. Cette réforme a notamment consisté à créer un groupe public intégré constitué d'un Epic (établissement public à caractère industriel et commercial) "de tête" "mère", la SNCF, et de deux EPIC "filles"" : SNCF Réseau - réunissant l'ex-RFF, SNCF Infra et la direction des circulations ferroviaires -, chargé de la gestion de l'infrastructure ferroviaire, et SNCF Mobilités, l'exploitant ferroviaire. Elle a également renforcé le pilotage du système par l'Etat et donné plus de poids au régulateur du système, l'Arafer
Les co-rapporteurs commencent par souligner "deux points forts" de la réforme. Tout d'abord, "la performance managériale remarquable qui a conduit à transférer 50.000 cheminots de SNCF Mobilités à SNCF Réseau, en bon ordre" ainsi que "des gains de productivité importants" (683 millions d'euros en 2015). En second lieu, "une plus-value incontestable en matière de transparence et de correction des incohérences du système ferroviaire, liée au renforcement très substantiel des prérogatives du régulateur".

Risque de nouveau dérapage de la dette

Mais "plusieurs éléments, exogènes à la réforme, suscitent une certaine inquiétude", estiment les deux députés. Ils pointent ainsi "l'importance du différentiel de conditions de travail reconduit entre l'accord de branche et l'accord d'entreprise SNCF, au détriment potentiel de cette dernière", ce qui pourrait être un élément de fragilisation dans la perspective de l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs au niveau national et régional – 1er janvier 2020 pour les TGV, 1er janvier 2023 pour les Intercités et les TER.
Les co-rapporteurs alertent aussi sur "une nouvelle fuite en avant de grands projets d'investissements, de nature très politique, à l'évaluation économique et sociale approximative, au risque hautement probable d'un nouveau dérapage de la dette". Ils dénoncent aussi "la tentation manifeste de l'Etat de 'contourner' la 'règle d'or' (…) sensée maîtriser l'endettement du système ferroviaire en la défaisant par voie législative, projet par projet". Bertrand Pancher a illustré ce propos en citant le cas du projet Charles de Gaulle Express et de la reprise de réseaux déficitaires comme Perpignan-Figueras. Selon lui, "la réflexion sur la dette n'a pas bougé". Au 30 juin 2016, celle de SNCF Mobilité s'élevait à 8,2 milliards d'euros et celle de SNCF Réseau à 40,8 milliards. "On ne peut pas continuer sans se poser la question de savoir qui va payer", a alerté Bertrand Pancher.

Un nouveau statut juridique pour SNCF Mobilités

Les deux députés jugent donc nécessaire de parachever la réforme, à la fois pour mieux préparer la SNCF à la concurrence d'autres opérateurs ferroviaires ou modes de transport, mais aussi pour maîtriser la dette et rendre les investissements dans le ferroviaire plus indépendants du pouvoir politique.
Ils préconisent la transformation de SNCF Mobilités en société anonyme à capitaux 100% publics. "C'est comme ça que le Front populaire a créé la SNCF, ce n'était pas un Epic à l'origine", a souligné Gilles Savary. Ce statut permettrait selon les deux députés de disposer de "règles de comptabilité plus efficientes pour le pilotage de l'entreprise et d'un conseil d'administration plus ouvert", avec par exemple des représentants de l'industrie ferroviaire. Fret SNCF pourrait aussi évoluer vers le même statut. Les députés proposent aussi de faire évoluer le statut des gares. Pour réaliser une véritable unification patrimoniale et garantir une totale indépendance dans la perspective de l'arrivée de la concurrence, l'entité Gares et Connexions, qui dépend aujourd'hui de SNCF Mobilités, pourrait être transférée à l'Epic SNCF Réseau, voire transformée en filiale, avec le statut de société anonyme publique.

Un "niveau soutenu de financements publics" pour le réseau

Dans la lignée d'un récent rapport sénatorial (lire notre article ci-contre), ils proposent aussi d'instaurer "impérativement" une programmation prévisionnelle des investissements ferroviaires. Selon eux, il faudrait "orienter les investissements prioritairement vers la régénération des 'étoiles ferroviaires' et des contournements d'agglomérations, sans préjudice du maintien et de la modernisation de grandes lignes interurbaines structurantes, étroitement connectées aux autres modes".
Ils jugent aussi indispensable de "garantir un niveau soutenu de financements publics du réseau" pour ne pas plomber la dette du groupe ferroviaire. Pour Bertrand Pancher, "la politique d'investissement ne doit pas être soumise à l'aléa politique permanent". Les deux députés recommandent ainsi de "sécuriser impérativement les ressources de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) et ne pas s'interdire, après l'échec de l'écotaxe, de relancer une réflexion sur l'instauration d'une recette dédiée (régionalisée)", ou "eurovignette".

Donner plus de moyens aux régions

Une partie des recettes de cette eurovignette pourrait donc aller à l'Afitf et l'autre aux régions "pour qu'elles aient la responsabilité pleine et entière de leurs infrastructures". L'approfondissement de la régionalisation ferroviaire est en effet nécessaire, estiment les co-rapporteurs. Ils se disent favorables à une expérimentation anticipée de la concurrence sur les TER à condition de bien la préparer. "Il faut préalablement qu'il y ait une négociation du cadre social des transferts de personnels, a expliqué Gilles Savary. Dans les transports publics urbains, quand on change de délégataire, les personnels sont repris par le nouveau. Actuellement, rien ne pévoit ça pour les chemins de fer". Autre pré-requis selon les co-rapporteurs : mettre sur pied au niveau national une cellule d'appui en ingénierie qui pourra notamment aider les régions à préparer l'ouverture à la concurrence car "ça ne s'improvise pas", a souligné Gilles Savary.
Avec Bertrand Pancher, il propose aussi de permettre aux régions d'acquérir et de gérer de manière autonome des matériels de transport et de leur déléguer une partie du réseau, voire de créer un réseau ferroviaire régional.

Instaurer de nouvelles relations avec l'industrie ferroviaire
 

Enfin, les deux députés appellent à "normaliser les rapports des industries ferroviaires avec la SNCF". Des rapports pour le moins biaisés, comme l'a encore illustré la commande de rames TGV destinées au réseau classique pour sauver le site Alstom de Belfort. "Aujourd'hui, une grande partie de l'industrie ferroviaire est déterminée non pas par l'usager mais par les trains que nous produisons", a pointé Gilles Savary. "Ce qui explique que quand on veut faire des Intercités, soit on les achète à l'étranger et ils coûtent 11 millions d'euros pour un train roulant à 250 km/h, soit on met un TGV à 30 millions d'euros et il roule à 200 km/h. On le fait pour faire fonctionner notre industrie, ce qui n'est pas illégitime. Mais il ne faut pas que l'industrie en fasse une rente de situation." "Nos rames TER sont aussi plus chères que si elles étaient mises en concurrence et notre industrie n'est pas pour autant tirée d'affaire", a-t-il ajouté. Or, "quand les régions seront propriétaires de leur matériel, qu'elles feront des appels d'offres et qu'elles auront des réponses 30% moins chères, face à des usagers qui ne veulent pas que l'on augmente le billet de train, je suis persuadé qu'elles y regarderont à deux fois. Il ne faut pas que l'industrie ferroviaire fasse l'offre mais qu'elle s'adapte aux usagers".

 

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