Communication intercommunale - Elus municipaux, élus communautaires, "aimez-vous les uns les autres"
"Il faut que les élus apprennent à s'aimer les uns les autres", a invité le sociologue Denis Muzet, jeudi 14 février, au second jour des deuxièmes Rencontres nationales de la communication intercommunale, qui réunissaient 130 participants à Evry (Essonne). Le fondateur de l'Institut Médiascopie, société d'étude et de conseils médiatiques, venait de répondre à une directrice de communication d'une communauté de communes du sud de la France qui témoignait du blocage entrepris par les maires des communes membres de sa communauté à l'encontre de tout rapprochement des responsables de communication.
Une situation qui est loin d'être marginale. Selon le baromètre 2013 de la communication intercommunale (voir encadré ci-dessous), les services de communication sont pour 56% des communautés "pas coordonnés du tout". Et quand ils le sont, c'est officieux dans 30% des cas, autrement dit "en cachette des élus".
Communication de clocher contre communication intercommunale
"La communication intercommunale est un fourre-tout qui nous aide à maintenir notre communication de clocher", a avoué un élu d'une communauté de commune. En milieu urbain, même constat : "J'en connais [NDLR : des maires] qui reprennent à leur compte des réalisations intercommunales ; j'en connais qui n'aiment pas quand le président de la communauté vient inaugurer un équipement culturel entièrement financé par l'intercommunalité sur ses terres communales ; j'en connais qui disent que rien ne s'est passé chez eux alors que la communauté a investi 15 millions d'euros dans une médiathèque…", égraine également François Chouat, président de la communauté d'agglomération Evry Centre Essonne. L'élu francilien perçoit "un sentiment de dépossession" chez les maires, alors même que tous font partie de la conférence des maires qui se réunit chaque semaine.
"On a tendance à municipaliser les réussites et à communautariser les échecs", a résumé Marc Fesneau, président de la communauté de communes de Beauce et Forêt.
Si tout le monde, aux deuxièmes Rencontres de la communication intercommunale, reconnaissait ces pratiques et les a contestées, élus comme agents, personne ne songerait à fusionner la communication de toutes les communes membres. "Pourquoi Rennes Métropole donnerait des informations sur le terrain de pétanque de Corps-Nuds ?", estime son président, Daniel Delaveau, également président de l'ADCF. "Chacun doit communiquer à bon escient, de manière ciblée, réfléchie et pondérée", approuve Denis Muzet, avant d'ajouter, "la règle c'est : chacun sur ses missions".
C'est le tramway de Bordeaux, plus que Vincent Feltesse, qui "fait intercommunalité"
"La communication intercommunale de Evry Centre Essonne porte sur des sujets qui relèvent des compétences intercommunales et qui parlent aux citoyens", témoigne, en bon élève, François Chouat. Et de citer : la mise en régie publique de l'eau ("la première communication est la facture que les gens reçoivent, avec un logo qui a changé mais aussi un tarif plus bas en bas de colonne"), le chauffage urbain, la mise en réseau des équipements culturels. "C'est ça qui développe l'identité de notre communauté et du sens", estime-t-il.
Le "sens" : voici bien le mot qui doit guider la communication intercommunale telle que la voit Denis Muzet. "On a besoin de moins de communication, mais de plus de sens", répète-t-il. "Les gens sont paumés sur l'économie, sur la mondialisation... alors l'intercommunalité... il ne faut pas s'étonner qu'ils pataugent : l'intercommunalité doit apporter aussi du sens à la société". "C'est évidemment plus facile quand l'intercommunalité est ancienne et quand elle peut afficher un projet phare", ajoute-t-il : "C'est le tramway de Bordeaux plus que Vincent Feltesse qui 'fait intercommunalité'."
Il n'empêche que l'élu a toute sa place car "un projet, il faut le porter devant nos habitants pour lui donner du sens, l'incarner", rappelle Catherine Lockhart, présidente de la communauté de communes du Pays Vendômois.
Un nom à soi
Alors qu'une communauté sur cinq envisage de changer de nom à court ou moyen terme (voir les résultats du baromètre 2013 ci-dessous), là encore Denis Muzet appelle à donner du sens à ce nouveau baptême. Il conseille d'engager une démarche participative auprès des habitants, dont le but serait de "dégager les pistes d'une marque qui aurait du sens à leurs yeux".
La marque, outil du marketing territoriale, ne serait selon lui efficace que si elle se construit d'abord sur le "rassemblement" (rassemblement des habitants autour d'un nom qui fait consensus parce qu'il leur "appartiennent") avant de se lancer dans le "rayonnement" (attractivité territoriale dirigée vers les acteurs extérieurs au territoire).
Il s'agit de ne pas prendre à la légère "la fermeture de l'habitant vis-à-vis de l'Autre" qui va avec "le replis sur soi de notre société" et qui "rime avec la peur de l'autre", estime Denis Muzet. Il faut rectifier "l'idée que le territoire est à vendre ou peut être vendu" et répondre à "l'inquiétude d'en être dépossédé, par de nouveaux habitants, par des touristes, par des maisons secondaires, des parisiens, des propriétaires terriens…"
La mutualisation, un mot "magique"
Une autre inquiétude traverse l'habitant-citoyen-contribuable : la santé budgétaire des collectivités en particulier et des pouvoirs publics en général. Dans ce contexte, la mutualisation des services serait un excellent sujet de communication auprès des habitants, selon le sociologue. "C'est un mot magique", a-t-il pu observer. Un terme tout à fait "compris par les gens" qui lui attribuent "une double promesse" : une promesse d'efficacité économique (réduction des dépenses budgétaires supposées induites par la suppression des doublons) ; une promesse d'"harmonie humaine et de solidarité sociale".
"Dès que vous le pouvez, communiquez sur ce que vous faites en matière de mutualisation", conseille-t-il ainsi aux communicants et aux élus présents dans la salle.
D'autant que la notion "fait des merveilles" quand elle est associée à l'intercommunalité ("qui est né sous le signe du 'tous ensemble', comme son nom l'indique", souligne-t-il), alors qu'elle a moins de succès lorsqu'elle est associée aux départements ou aux régions.
Communication électorale : que doit-on rendre lisible ?
Le mot "sens" s'invite également dans la préparation aux prochaines élections municipales, en mars 2014, qui organisera pour la première fois l'élection directe des élus intercommunaux. Pendant la campagne, "que doit-on rendre lisible ?", interroge Marc Fesneau en excluant les sujets complexes tels que la fiscalité locale, pour privilégier ce qui parle aux gens, en matière d'offre de services publics par exemple. "Rien n'empêche de présenter un projet pour la communauté", ajoute-t-il (comme l'avait fait la liste de Daniel Delaveau, à Rennes, aux dernières élections), ou encore de présenter les listes municipales en identifiant le binôme souhaité maire/président. Une "filiation" des listes qui se pratique déjà - et "ce n'est pas une obligation", précisera Nicola Portier, délégué général de l'ADCF - dans le cadre des élections des maires d'arrondissement de Paris, Lyon et Marseille.
Pour l'heure, seulement 5% des directeurs de communication en communauté considèrent que les élections municipales de mars 2014 constituent l'un des principaux enjeux de communication d'aujourd'hui. Pour autant, 49% envisagent tout de même de communiquer sur ce sujet dans les deux ans à venir.
Elus municipaux non communautaires, quelle importance ?
Autre sujet qui tient particulièrement à cœur l'ADCF : la communication en direction des élus municipaux non communautaires. Là encore, le sujet ne passionne pas les communautés sur le terrain, qui placent ce public en dernière position (à égalité avec les agents), derrière les habitants (1ère position, sans surprise), suivis des entreprises, des nouveaux habitants potentiels, des élus communautaires, des touristes puis des médias.
Rares sont en effet les dircom tels que Sophie Bettig, de la communauté de communes de l'Argonne Ardennaise (2C2A), convaincue que "les élus communautaires sont des relais importants. Ils ont un contact direct avec les habitants. Il est donc essentiel pour nous de communiquer vers eux et de faire en sorte qu'ils s'approprient l'information".
"C'est la relation au citoyen qui est posée"
"Comment convaincre nos élus que la communication ne doit pas être la dernière roue du carrosse ? ", s'inquiétait encore, en fin de matinée, une communicante d'une communauté de communes rurale. Peut-être en citant Daniel Delaveau, lorsqu'il explique que "la communication est une politique publique en tant que telle, car c'est la relation au citoyen qui est posée". "On ne peut pas parler d'implication citoyenne si on ne se donne pas les moyens financiers et humains", a encore déclaré le président de Rennes Métropole, "il ne faut pas avoir de complexe". D'autant que "lorsqu'un élu ne communique pas, on l'accuse de travailler dans son coin, sans transparence".
Valérie Liquet
Les chiffres clés du baromètre 2013 de la communication intercommunale
- 1 communauté sur 5 envisage de changer de nom ;
- 55% des communautés de communes dans une perspective de fusion envisagent de changer de nom (6% des communautés d'agglomération dans une perspective de fusion) ;
- 5% des Dircom de communauté considèrent que les élections municipales de mars 2014 constituent l'un des principaux enjeux de communication (49% envisagent tout de même de communiquer sur ce sujet dans les deux ans à venir) ;
- 69,2% des communautés sont dotés d'un service communication (98% dans les communautés d'agglomération et urbaines), contre 49,6% en 2011 et 47% en 2008 ;
- 41,3% des communautés sont dotées d'un plan ou d'une stratégie de communication, contre 30% en 2011 et 25% en 2008 ;
- 6,69 agents en moyenne ont des fonctions relatives à la communication dans les communautés d'agglomération (0,91 agents dans les communautés de communes) ;
- 8,9% des budgets communication sont supérieurs à 500.000 euros (3,8% en 2011) ;
- 32,5% des budgets communication sont inférieurs à 10.000 euros (46,2% en 2011) ;
- 31% des Dircom de communauté ont une perspective d'augmentation de leur budget (49,6% en 2011) ;
- 25,42% des communautés d'agglomération craignent une diminution de leur budget (0 en 2011) ;
- 8,8% des services communication des communautés sont coordonnés avec ceux des communes, mais 58,8% ne le sont "pas du tout" ou se définissent comme "concurrents" ;
- 59% des Dircom estiment que les habitants ont une perception brouillée des messages municipaux et communautaires, voire qu'ils ne font pas la différence entre les deux (65,6% en 2011)
Sources : Epiceum/ADCF, enquête réalisée en octobre et novembre 2O12, auprès des directeurs de communication (ou, à défaut, des DGS) de 205 communautés de communes et 59 communautés d'agglomération et urbaines. Méthode du questionnaire auto-administré sur internet.