Gestion locale - La mutualisation tiendra-t-elle toutes ses promesses ?
Maîtriser les dépenses de fonctionnement sans réduire la voilure des services publics mais, au contraire, en améliorant leur qualité. Les collectivités se trouvent face aujourd'hui à des défis redoutables. Pour y répondre, elles tentent d'optimiser leurs moyens, notamment par la mutualisation. Il s'agit pour plusieurs administrations, le plus souvent des communes et leur intercommunalité, de mettre en commun des personnels, des machines, ou des locaux. Cette solution n'est pas nouvelle, mais, dans le contexte actuel de tension sur les finances publiques, elle présente un intérêt accru chez les élus locaux, qui sont nombreux à s'y intéresser. Le gouvernement les incite à aller dans cette voie. Venue clore un colloque sur ce thème organisé le 11 septembre à Paris par l'Association des maires de France (AMF) et l'Assemblée des communautés de France (ADCF), Marylise Lebranchu, la ministre de la Réforme de l'Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique, a estimé que les "coopérations au sein du secteur local" sont "d'autant plus nécessaires que celui-ci assure des compétences de proximité". Avant d'affirmer que "les mutualisations de services sont un enjeu majeur pour les collectivités territoriales". La Cour des comptes abonde en ce sens. "Nous attendons beaucoup de la mutualisation, qui peut être un levier d'amélioration du service rendu, d'harmonisation et de cohérence sur un territoire", a souligné lors ce colloque Jean-Philippe Vachia, conseiller maître à la Cour des comptes.
De substantielles économies
Il apparaît qu'il n'est en fait plus guère nécessaire de convaincre les élus locaux sur le bien-fondé de la mutualisation. D'après une enquête de l'ADCF, 80% des présidents de communauté comptent engager ce chantier d'ici à la fin du mandat. Il faut dire qu'aujourd'hui, tous les feux sont au vert. L'époque où la Commission européenne s'interrogeait sur la conformité de cette pratique aux traités européens et, du coup, la rendait incertaine, est révolue. La loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 a définitivement sécurisé le cadre juridique de la mutualisation et a mis à la disposition des collectivités une boîte à outils très étoffée.
De plus, les résultats des collectivités les plus en avance sont encourageants. Si dans un premier temps, l'harmonisation des régimes indemnitaires par le haut génère des coûts supplémentaires, les économies sont, dans un second temps, au rendez-vous. Bruno Romoli, directeur général des services de la ville et de la communauté d'agglomération de Chalon-sur-Saône s'attend à des "gains de productivité très importants" du fait de la mutualisation d'une grande partie des services des deux entités qu'il dirige. "Il n'y a plus qu'un directeur de cabinet et qu'un directeur de la communication au lieu de deux auparavant... Globalement, les effectifs vont être stabilisés en fonction des départs à la retraite", a-t-il expliqué.
A Nice, la création, en janvier 2010, de services communs pour les fonctions supports de la ville et de son agglomération a permis de réduire les charges de 2,7% dès la première année, ce qui a représenté 1,2 million d'euros. L'année suivante, l'économie a atteint le double.
Accompagner les agents dans le changement
Pour obtenir de tels résultats, les collectivités doivent déployer pas mal d'efforts, notamment la direction des ressources humaines (DRH) qui est appelée à jouer un rôle d'accompagnement des agents. "Nous n'avons jamais perdu de vue que la mutualisation peut déstabiliser les agents dans leurs conditions de travail", a témoigné Philippe Pradal, conseiller de Nice Métropole en charge des finances. En pratique, la DRH doit régler moult questions concrètes. Comme s'assurer que les agents auront bien un nombre de places de parking suffisant après le déménagement de leur service, ou que telle mère de famille pourra continuer à aller chercher son enfant à la crèche sans difficulté, a raconté l'élu niçois. Parfois, les questions soulevées par la recherche de nouveaux locaux pour réunir les services mis en commun n'ont pu être résolues, a-t-il précisé. "Nous avons dû abandonner la mutualisation dans certains cas. Nous n'avons pas voulu aller à marche forcée, car il est important de prendre en compte la dimension humaine dans la mutualisation", a souligné Philippe Pradal.
Selon certains élus, comme Françoise Descamps-Crosnier, maire de Rosny-sur-Seine et présidente de la commission fonction publique territoriale de l'AMF, une erreur consisterait à engager la mutualisation uniquement dans l'optique de réaliser des économies. Pour elle, la mutualisation doit être mise en cohérence avec le projet de territoire pour rendre possible sa réalisation.
"Préserver les communes"
Sujet en apparence technique, la mutualisation s'avère être, en définitive, une question éminemment politique. D'où des choix parfois radicalement opposés. Par exemple, les communes membres de la communauté de communes d'Issoudun n'ont transféré aucun agent à celle-ci : elles mettent leurs personnels à la disposition de l'intercommunalité. "Nous avons veillé à ne pas déposséder les maires de leurs relations avec les personnels", a expliqué le président de la communauté, André Laignel. "Nous voulons préserver les communes. L'intercommunalité est la condition de l'avenir des communes et pas de leur absorption", a poursuivi celui qui est aussi secrétaire général de l'AMF. Les transferts de services et la mutualisation des fonctions supports engagés en 2010 par la communauté d'agglomération de l'Albigeois va se traduire très différemment. "Nous mettons progressivement en place une administration locale unique. Si nous décidons de remplacer un départ à la retraite, le nouvel agent est forcément recruté par la communauté", a précisé le président, Philippe Bonnecarrère.
La loi laisse les élus libres d'organiser la mutualisation. Mais la Cour des comptes les incite plutôt à favoriser l'intégration communautaire. "Nous pensons que les mises à dispositions ascendantes [des communes vers la communauté] sont inévitables. Mais il y a un moment où il faut franchir le cap et constituer des services communs", a déclaré Jean-Philippe Vachia. Et selon lui, pour aller plus loin dans la mutualisation, il faudrait rendre "plus directifs" les schémas de mutualisation que la loi du 16 décembre 2010 impose de mettre en place dans chaque intercommunalité en 2015. En s'exprimant ainsi, le magistrat a visiblement suscité quelques inquiétudes.