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Commande publique - Mutualisation des achats : centrale d'achat, GIP, simple mise en commun des pratiques...

La mise en commun de moyens, de compétences ou de prestations de services en matière de commande publique commence à intéresser bon nombre de collectivités territoriales dans un souci, avant tout, de réduction des coûts. Les règles juridiques encouragent d'ailleurs les acheteurs publics à se regrouper en leur offrant un large éventail de modalités pour y arriver. A partir de là, "comment travailler ensemble ?", "une mutualisation peut-elle se faire sans mise en concurrence entre les uns et les autres ?" Ces questions ont nourri échanges et témoignages lors d'un colloque que l'Association pour l'achat dans les services publics (Apasp) consacrait début juin à "la mutualisation des achats publics".

Traditionnellement, la mutualisation peut se faire via la coordination des achats d'une personne publique (article 7 du Code des marchés publics, CMP), la création d'un groupement de commandes (article 8) ou le recours à une centrale d'achat (article 9). L'Ugap (Union des groupements d’achats publics) s'est vu reconnaitre la fonction de centrale d'achat en 2004. A titre principal, elle acquiert des fournitures et des services destinés aux pouvoirs adjudicateurs. Son activité d'achat pour revente a connu un développement exponentiel permettant de réduire son taux de marge (qui est passé de 11,46% en 2001 à 6,34% en 2011). L’Ugap garantit à ses clients publics des "prix bas, en moyenne, tout le temps", selon les termes de son président Alain Borowski, qui intervenait lors du colloque de l'Apasp. Elle s'engage ainsi à garantir un certain équilibre des coûts quelles que soient les fluctuations du marché. Dernièrement, cette centrale d'achat s’est quelque peu transformée, passant d’une Ugap "fournituriste" et "cataloguiste", caractérisée par un recours occasionnel et aléatoire à la structure, à une Ugap "partenariale" prônant un engagement dans la durée, sur un taux de marge minoré et dans un cadre contractuel. Pour Alain Borowski, avec cette évolution du "modèle partenarial, l’Ugap prépare l’achat public de demain". A court terme, les objectifs stratégiques de l’Ugap sont d’aligner le coût de l’achat pour revente sur le prix du produit référencé et de devenir la centrale d'achat des groupements d'achats localisés.
La mutualisation peut également se faire par le truchement d'une structure telle que la société d'économie mixte (Sem), la société publique locale (SPL), le groupement d'intérêt public (GIP) ou le groupement de coopération sanitaire (GCS). Cette forme de regroupement garantit d'ailleurs une certaine pérennité à la politique d'achat.
Exemple de GIP, lesquels sont soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005, qui offre plus de souplesse que les règles du CMP : le GIP Réseau des acheteurs hospitaliers d'Ile-de-France (Resah-IDF), créé en 2008. Ce groupement a pour objectif de "mutualiser et professionnaliser les achats des établissements de santé et médicosociaux franciliens", a résumé son directeur, Dominique Legouge. Il réunit cinquante groupements de commande qui passent par une centrale d’achat pour les produits standardisables. Le besoin est standardisé dans le sens où il se limite à proposer le produit le plus basique.
De même, en 2012 a été créée la plateforme logistique Concordia au niveau de quatre établissements sanitaires de la communauté du Neubourg (Eure). Le directeur de l'hôpital du Neubourg, Daniel Bussy, parle de "groupement besoins-besoins" dans la mesure où le catalogue proposé s’intéresse aux gros volumes, tels que les produits d’entretien, les produits d’hygiène, les produits d’incontinence, les fournitures de bureau, etc. Le GIP cherche à être le fournisseur des produits les plus utilisés, voire les plus coûteux, plutôt que le fournisseur exclusif de tout l’établissement. Avec cette nouvelle configuration, deux nouvelles relations se sont instaurées : en amont, chaque établissement échange avec la plateforme concernant ses besoins, livraisons et facturations ; en aval, les fournisseurs n'ont désormais plus qu’un seul client : la plateforme. Le lieu de livraison et le jour de la commande deviennent uniques. Ce fonctionnement a pour effet de réduire les intermédiaires ainsi que d’optimiser les moyens humains et matériels.
En marge de ces formes traditionnelles de mutualisation, le paysage local de la coopération a connu de récents changements. La décision du Conseil d'Etat du 3 février 2012, commune de Veyrier-du-Lac, a remis au goût du jour la convention d'entente intercommunale de l'article L.5221-1 du Code général des collectivités territoriales (voir notre article du 14 février 2012 ci-contre). La conclusion d'une telle entente, hors des règles de la commande publique, a été admise dans la mesure où elle permettait l'exercice de missions similaires et n'avait aucune finalité lucrative. La Cour de justice des communautés européennes, dans son arrêt du 9 juin 2009, a quant à elle validé une coopération contractuelle sans mise en concurrence entre structures publiques locales pour la mise en oeuvre d'une mission de service public commune. Si ces évolutions offrent de nouvelles perspectives aux acheteurs publics, les conditions de mise en place de l'entente s'avèrent sensibles voire "dangereuses", a estimé le président de l'Apasp, Jean-Marc Peyrical. Ceci, par manque de définition claire de l'opérateur économique qui reste soumis à la réglementation du CMP.

Valorisation et mutualisation des savoirs

Le choix peut également être fait de se regrouper afin d'être plus performant au niveau de la technique de passation des marchés publics et de l'achat stratégique. Sur ce terrain, Annick Duribreux-Present, chef du service achat logistique de la communauté urbaine de Lille métropole, a présenté la démarche de son EPCI. Cette communauté comprend 85 communes (dont la moitié compte moins de 5.000 habitants). Les compétences communautaires sont particulièrement étendues (développement économique, environnement, aménagement urbain, foncier, transports publics et stationnement, eau et assainissement, espaces publics, habitat, sport et culture...). La signature de "contrats de territoire" a contribué à la recherche d'une "mutualisation des pratiques et des réflexions des communes entre elles et entre Lille métropole et les communes", a témoigné Annick Duribreux-Present. Le premier effet escompté par cette mutualisation est d'ordre financier à travers l'économie d'échelle réalisée, la réduction du travail administratif lié à l'élaboration des cahiers de clauses des marchés publics et au suivi des procédures de passation. En outre, la qualité devrait être améliorée grâce à la mise en commun des expertises et l'échange des bonnes - comme des mauvaises - pratiques et des retours d'expériences. Enfin, ce regroupement allégerait la politique d'achat d'une majorité de communes qui ne disposent pas d'acheteur spécifiquement dédié à cette fonction.
Cette communauté n'entend toutefois aucunement jouer le rôle d'une centrale d'achat ni de centre logistique. D'ailleurs, Lille métropole dispose depuis peu d'une convention de partenariat avec l'Ugap afin d'assurer une tarification solidaire à toutes les communes adhérentes, quelle que soit leur taille. Reposant initialement sur une adhésion volontaire, Lille métropole s'est dotée d'un club d'acheteurs métropolitains en 2011. Dans ce cadre, sept groupes de travail se réunissent autour de thématiques spécifiques (par exemple, les modalités de rechargement des véhicules électriques). Les réunions portent avant tout sur les familles de produits les plus facilement mobilisables et les plus intéressantes financièrement ou en termes de qualité de service.

L'Apasp

L'Europe aussi encourage le regroupement des activités d'achat
Actuellement, la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2011 souhaite offrir au pouvoir adjudicateur une "boite à outils" des procédures pour la passation de marchés par voie groupée, avec notamment la centrale d'achat ou la conclusion de marchés conjoints (qui ne sont pas des contrats mutualisés mais permettent à des pouvoirs adjudicateurs de différents Etats membres de passer conjointement des marchés publics transnationaux).
L'article 2 du projet de directive tend à distinguer les activités d'achat centralisées qui sont celles menées en permanence et les activités d'achat auxiliaires qui consistent à fournir un appui aux activités d'achat (tels que les moyens techniques, les conseils ou les procédures). Alors que le choix par les pouvoirs adjudicateurs de recourir à une centrale d'achat lui permet de se soustraire aux règles de la passation des marchés publics (article 35 du projet de directive), les activités d'achat auxiliaires resteront soumises aux règles de mise en concurrence et de publicité (article 36 du projet de directive).
De façon tout à fait novatrice, les centrales d'achat pourraient organiser leurs rémunérations. De même, la centrale d'achat pourrait délivrer une prestation de conseil, alors qu'actuellement elle ne peut vendre que ce qu'elle achète.
Enfin, le projet de directive prévoit la création d'un organe de contrôle indépendant chargé de "surveiller l'application des règles relatives aux marchés publics et les pratiques des pouvoirs adjudicateurs, et notamment des centrales d'achat" (article 84). Est-ce à dire qu'il y aurait une certaine méfiance ? En droit français, cela fait directement écho au mouvement inverse qui a conduit à la suppression récente de la mission interministérielle d'enquête sur les marchés publics (voir notre article du 18 avril 2012 ci-contre).

Références: CE, 3 février 2012, n°353737, commune de Veyrier-du-lac et communauté d'agglomération d'Annecy 1 ; CJCE, 9 juin 2009, affaire C-480/06, Commission c/ RFA.