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Coopération intercommunale - Une "entente" intercommunale en toute légalité... qui refait surface

Le Conseil d'Etat est revenu sur les conditions de validité d'une "convention d'entente intercommunale", un mécanisme ancien inscrit dans le Code général des collectivités territoriales. Un système conventionnel qui semble justement retrouver une certaine actualité dans le cadre de la refonte de la carte intercommunale : certains y voient l'un des outils possibles pour répondre au problème des compétences à géométrie variable dans le cas de fusions ou d'élargissements d'EPCI. Jean-Marc Peyrical, président de l'Association pour l'achat du service public (Apasp), revient sur cette forme de coopération intercommunale, mais aussi sur les questions qu'elle pose, estime-t-il, par rapport au droit de la commande publique et au droit communautaire.

A l'occasion d'un arrêt rendu le 3 février 2012, le Conseil d'Etat est revenu sur les conditions de validité d'une "convention d'entente intercommunale".
Dans les faits, la commune de Veyrier-du-Lac avait passé avec la communauté d'agglomération d'Annecy une convention pour la mutualisation d'un service public, en l'occurrence celui de la distribution d'eau potable sur le territoire de la commune. Sur saisine de la Lyonnaise des eaux-France, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble avait annulé la convention "au motif qu'elle était constitutive d'une délégation de service public, conclue en méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence inhérentes à la passation de telles conventions".
La nature de cette convention répondait-elle ou non aux règles de la commande publique ? Le Conseil d'Etat rappelle que l'article L.5221-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) réglemente l'entente conclue entre deux personnes publiques "sur les objets d'utilité communale ou intercommunale compris dans leurs attributions et qui intéressent à la fois leurs communes, leurs établissements publics de coopération intercommunale ou leurs syndicats mixtes respectifs".
Pour être valable, cette convention doit répondre impérativement à deux conditions. Premièrement, l'entente doit avoir pour objet un "même service public, en continuité géographique". Deuxièmement, elle ne peut être conclue "à des fins lucratives" au profit d'une personne publique, de manière à empêcher la mise en oeuvre de toutes pratiques concurrentielles. Le tarif de la prestation applicable à l'usager doit se rapporter au montant des investissements à réaliser et au coût de production, à savoir la recherche d'un équilibre des recettes et dépenses.
Dès lors que les conditions sont remplies, la délégation de service public peut être écartée au profit d'une convention d'entente. Cette dernière échappe alors aux dispositions relatives à la mise en concurrence et aux règles de publicité. Par conséquent, l'entente telle que conclue par la commune de Veyrier-du-Lac et la communauté d'agglomération d'Annecy ne pouvait être contestée par la voie d'un référé contractuel.

L'Apasp

ententes entre collectivités locales :
l'analyse de Jean-Marc Peyrical

Au titre du CGCT, l'entente est une forme de coopération intercommunale, à l'instar des chartes intercommunales de développement et d'aménagement ou encore des commissions syndicales chargées de gérer des biens et droits indivis entre plusieurs communes.
Le mécanisme de l'entente – terme assez peu adéquat et suspect au regard du droit de la concurrence –, défini par l'article L.5221-1 du CGCT, est en tout cas ancien.
S'il a déjà donné lieu à quelques jurisprudences (voir CE, 9 janvier 1970, commune de La Teste-de-Buch, rec. p. 12, à propos d'une entente entre communes concernant des droits d'usage dans une forêt privée), il est peu utilisé et finalement peu connu.
L'arrêt du Conseil d'Etat, commune du Veyrier-du-Lac du 3 février 2012, vient de rappeler son existence.
Il précise ainsi qu'une commune peut conclure avec d'autres personnes publiques une convention constitutive d'une entente afin d'exercer en commun avec elles des missions de service public.
Il s'agit selon lui d'un procédé de mutualisation de moyens dédiés à l'exploitation d'un service public qui se trouve hors du champ de la commande publique et donc des procédures de publicité et de mise en concurrence qui gouvernent les contrats qui en font partie.
La seule limite posée par le juge est que l'entente ne doit pas aller à l'encontre du droit de la concurrence. Plus précisément, elle ne doit pas permettre une intervention d'une personne publique à des fins lucratives, cette dernière ne pouvant donc agir comme un opérateur sur un marché concurrentiel.
Une telle approche n'est pas sans soulever plusieurs questions.
Tout d'abord, la détermination de la frontière entre une collectivité locale agissant en tant qu'opérateur économique et la même intervenant de manière neutre, sans impact sur le marché, est nécessairement difficile à définir.
Le principe est que, d'évidence, la mise à disposition des moyens résultant de l'entente ne peut faire l'objet que d'une stricte compensation, sans surcompensation et donc bénéfice pour la collectivité.
Or, ainsi qu'a pu le dire le Conseil d'Etat il y a bientôt quatorze ans (arrêt du 20 mai 1998, communauté de communes du Piémont de Barr, AJDA 1998, 403), l'absence de caractère lucratif d'une activité n'est pas un obstacle au caractère onéreux du service rendu. En d'autres termes, un simple remboursement de frais ne suffit pas à écarter la présence d'un prix et donc d'un marché public.
Par ailleurs, on peut s'interroger sur la compatibilité de ce mécanisme de l'entente avec le droit communautaire.
Il est vrai que, le 28 septembre 2011, la Commission européenne a abandonné la procédure d'infraction engagée contre la France concernant la conclusion sans mise en concurrence de contrats de prestations des services entre collectivités locales en vertu de l'article L.5211-4-1 du CGCT, le contenu de l'article ayant été quelque peu modifié et le contrat de prestations apparaissant comme le complément d'un transfert de compétences.
De même, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que la réglementation des marchés publics n'était pas applicable à un contrat instaurant une coopération entre deux collectivités locales ayant pour objet d'assurer la mise en oeuvre d'une mission de service public commune aux collectivités (arrêt du 9 juin 2009, Commission c/ RFA, Aff. C480/06).
En se fondant sur ces dispositions, le procédé de l'entente, qui a pour objet de mutualiser la gestion d'un service public entre collectivités publiques, pourrait effectivement trouver une justification.
On peut tout de même rester réservé sur la mise en oeuvre de ce procédé dont la mise en oeuvre n'est pas sans risques juridiques dès lors qu'il repose sur des notions (celles d'opérateur économique notamment) particulièrement difficiles à délimiter.

Jean Marc Peyrical, président de l'Apasp, avocat

 

Références : CE, 3 février 2012, commune de Veyrier-du-lac ; CE, 9 janvier 1970, commune de La Teste-de-buch ; CE, 20 mai 1998, communauté de communes de Piémont de Barr ; CJCE, 9 juin 2009, Commission c/ RFA.

 

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