Commande publique - Les acheteurs, entre grandes réformes européennes et petites questions pratiques...
Quels sont les principaux sujets qui préoccupent ou interrogent actuellement les praticiens et experts de la commande publique ? Apparemment, ces sujets ne manquent pas. Les échanges entre participants lors du dernier colloque organisé début avril par l'Association pour l'achat dans les services publics (Apasp) en ont largement témoigné. Il faut dire qu'en lever de rideau, la directrice des affaires juridiques de Bercy, Catherine Bergeal, était venue leur délivrer un point d'étape sur les différents chantiers en cours ou à venir : l'élaboration d'un nouveau Code des marchés publics (CMP) pour le début d'année 2014, la transposition de la directive sur les délais de paiement, le projet de règlement européen sur la réciprocité dans les marchés publics, les négociations sur les directives Marchés publics et Concessions...
C'est d'ailleurs également aux dossiers européens que s'est intéressé Florian Linditch, professeur à l'université Paul-Cézanne-Aix-Marseille III et avocat au barreau de Marseille, se penchant sur les dernières innovations discutées à la Commission européenne : la disparition des services prioritaires et non prioritaires avec une mise en retrait des "services sociaux, de santé et d'éducation", l'avancée du développement durable avec le calcul du coût du cycle de vie du produit, le "rêve fou" du passeport européen… Il a lui aussi évoqué la réduction des délais, qui risquent selon lui de modifier les règles de passation des marchés publics. Mais aussi la rénovation de la "procédure concurrentielle avec négociation", qui introduirait plus de sécurité en donnant des "balises" de négociation. Hormis les clauses portant sur l'objet du marché, les exigences minimales techniques et les critères d'attribution, tous les autres éléments sont susceptibles d'être négociés, a relevé Florian Linditch. Autre nouveauté, enfin : les nouveaux "partenariats d'innovation" soutenus par Bruxelles, qui invitent à découper les différentes phases du processus recherche et innovation selon les objectifs de l'acheteur.
Parallèlement, les dernières modifications législatives ou réglementaires hexagonales suscitent elles aussi des questions. Tel est notamment le cas du nouveau seuil de dispense de publicité et de mise en concurrence de 15.000 euros HT. Lors de cette session d'études de l'Apasp, Daniel Guilmain, avocat au barreau de Lille, est ainsi revenu sur ce sujet, afin d'attirer l'attention des acteurs de la commande publique sur le caractère surprenant de la coexistence du décret du 9 décembre 2011 et de la loi Warsmann du 22 mars 2012. Par rapport au régime antérieur, une différence est de taille : les formalités exigées. En effet, alors qu'au dessous de l'ancien seuil de 4.000 euros HT, aucune formalité n'était exigée, aujourd'hui, l'acheteur public doit se conformer aux trois prescriptions tendant "à choisir une offre répondant de manière pertinente au besoin, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même prestataire lorsqu'il existe une pluralité d'offres potentielles susceptibles de répondre au besoin". Et Daniel Guilmain de relever que la preuve de l'existence d'un seul fournisseur sur le marché peut se faire notamment via le recensement sur les pages jaunes ou la publication annuelle des petits achats programmés.
L'éternelle question des supports de publicité continue visiblement de faire débat. Jehan Bejot, avocat au barreau de Paris, a ainsi insisté sur les aspects contentieux propres à ces supports de publicité, en préconisant de choisir la procédure la plus contraignante pour une meilleure sécurité des marchés. De même, le thème sensible de la centralisation des appels d'offres a été développé, notamment par Isabelle Darnel, directrice des marchés publics au conseil général de l’Aube, qui s'est dite plutôt en faveur d'une labellisation des plateformes déjà en place. Et qui propose que ces dernières alimentent une plateforme nationale centralisatrice. Le Boamp serait alors destinataire de l'ensemble des publications des marchés publics sans aucune formalité ni augmentation de coût pour les collectivités et les entreprises.
Autre dossier ayant donné lieu à quelques clarifications et recommandations : le régime complexe des prix. En notant au passage qu'un guide de l'OEAP (Observatoire économique de l'achat public) sur les prix est en préparation. Ce guide devrait être publié début 2013 et venir ainsi remplacer la circulaire de 1987. Concernant la formule de révision de prix, il a été rappelé qu'à ce jour, l'indice officiel est celui de la Deal, direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement. Et que lorsque les nouveau indices ne sont pas encore connus au moment d'une révision de prix, il semble préférable d'indiquer dans le cahier des charges que le mois N0 est en fait le mois N-3. Si cette clause de décalage ne semble pas être de l'avis de la DAJ, les juges ne se sont pas encore prononcés sur sa validité. Si le recours à la révision de prix paraît "inévitable", il nécessite en tout cas une expertise assez fine. De façon pratique, il est conseillé d'être le plus exhaustif possible dans le BPU (bordereau des prix unitaires), ce qui peut revenir à faire du BPU un critère de notation imposant des connaissances techniques très spécifiques. Mais à l'inverse, laisser la compétence à l'entreprise pour fixer sa propre formule des prix peut se révéler très défavorable à l'acheteur public.
Concernant les contrats globaux, Jean-Ghislain Lepic, du cabinet Infrafinances, s'est plus particulièrement attaché à développer le critère de la "performance énergétique" dans les achats publics. S'il a convenu qu'il fallait être ambitieux en matière d'environnement, l'intervenant a aussi insisté sur la nécessité d'être réaliste quant à l'exécution du marché public. A ce titre, Jean-Ghislain Lepic a posé, en guise de conseil, un postulat incontournable : la personne publique doit d'avoir une très bonne connaissance de son patrimoine et doit bien définir les objectifs, ce qui suppose d'avoir procédé à une analyse à la fois technique, financière et juridique de la situation. Cette analyse est d'ailleurs d'autant plus indispensable que le contrat de performance énergétique (CPE) est un contrat jeune et novateur qui, de par son hybridité, est complexe. A la question du délai pour mettre en place un CPE, celui-ci a été estimé entre 12 et 18 mois. La procédure est en effet très cadrée et la phase de mise au point parfois incertaine.
Le colloque s'est conclu sur un sujet qui prête à discussions : les variantes. Sur la base d'un rappel de la définition et du cadre juridique qui régit ces variantes (l'article 16 du décret du 25 août 2011 qui modifie les dispositions de l'article 50 du CMP), mais aussi de leur objectif, à savoir favoriser l'accès des entreprises innovantes aux marchés publics, l'accent a été mis sur une mise en garde : la confusion possible entre "variante" (à l'initiative des candidats) et "option" (qui provient du pouvoir adjudicateur). Enfin, quelques éléments de procédure ont été reprécisés. Ainsi, dans le silence du cahier des charges, les variantes sont interdites dans le cadre d'une procédure formalisée mais sont en revanche autorisées dans le cadre d'un marché à procédure adaptée (Mapa). Dans ce dernier cas, il convient de respecter quelques exigences minimales, notamment pour ce qui est des modalités de présentation.
Et aussi...
- La suppression de la Mission interministérielle d'enquête sur les marchés publics introduite par la loi du 22 mars 2012 a été évoquée avec une certaine nostalgie. Cette disparition n'est pas sans rappeler l'actuelle opposition de la France quant à la mise en place d'un organe de contrôle européen hybride.
- Il semblerait qu'au quotidien, le Guide des bonnes pratiques soit devenu un outil juridique appliqué à la lettre. Or ce guide, a-t-il été rappelé, ne peut avoir pour vocation de devenir une "norme d'achat". Ainsi par exemple, il semble imposer la négociation dès lors que celle-ci a été annoncée. Alors que dans les faits, certains tribunaux administratifs (Marseille et Nantes) ont consacré une solution inverse : le fait que le pouvoir adjudicateur se réserve le droit de négocier n'impliquerait pas une obligation de négocier.
- Françoise Sartori, avocat, a annoncé la publication prochaine par l'ordre des avocats d'un guide permettant aux acheteurs publics de vérifier convenablement la qualité des candidats aux marchés de services juridiques. De sérieuses dérives pèseraient en effet sur ces marchés: offres de prix anormalement basses, extension du périmètre d'intervention à des non avocats pour la partie conseil juridique...
L'Apasp
Références : décret n° 2011-1853 du 9 décembre 2011 modifiant certains seuils du code des marchés publics ; loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives ; directive n° E6987 relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux; directive n° E6988 sur la passation des marchés publics ; directive n° E6989 sur l'attribution des contrats de concession ; décret n° 2011-1000 du 25 août 2011 modifiant certaines dispositions applicables aux marchés et contrats relevant de la commande publique.